Représentations et retransmission très attendues. Le résultat est intéressant, car il n'intéresse pas où on pouvait le prévoir.

La surprise n'émane pas des deux barytons : le premier, Armando Noguera, est un peu robuste pour le rôle (et son français coloré d'un accent qui ne l'aide pas), pas particulièrement subtil dans les intentions – étant difficile d'auditionner pour Pelléas, il a dû impressionner grandement par son la 3, d'une sûreté et d'un éclat admirables en effet.

Quant à Jean-François Lapointe, il doit être marquant en salle, comme souvent, mais en retransmission, la voix paraît forcée, comme si ce Pelléas s'efforçait sans cesse d'entrer dans les chaussures de Golaud – le déplacement forcé du centre de gravité est audible. Sinon, son portrait de Golaud, vif et assez brutal, à l'élocution directe et claire rejoint de près celui d'un autre métamorphosé, François Le Roux – sans la même variété d'intentions, mais il est probable, vu l'instrument et les habitudes du style, que ce devienne un grand Golaud, à l'instar de Laurent Naouri (qui avait fort mal commencé, d'ailleurs, comme en témoigne le terne disque Naïve).

Stéphanie d'Oustrac était un vrai pari : serait-elle trop incarnée dans un rôle évanescent, trop charnue pour le mystère, trop affirmative pour l'absence de réponse ? On pouvait espérer que sa générosité tire Mélisande du côté d'un personnage fascinant par son verbe et sa présence, quitte à être plus décidé qu'à l'ordinaire. À l'écoute (mais ici encore, prise de rôle), c'est plutôt l'hypothèse négative qui se confirme : la voix est vraiment celle de Geneviève plutôt que d'une Mélisande mezzo-soprano ; d'abord techniquement, car les transitions sont audibles dans le médium aigu, et les allègements impossibles ; la diction aussi est intimement liée à l'émission lyrique, et pas « indépendante » comme chez la plupart des grands interprètes de Pelléas, ce qui rend la mobilité expressive plus difficile, alors qu'elle est capitale en Mélisande. Pis, les contrainte vocales mènent parfois d'Oustrac à adopter un ton d'autorité, voire d'agressivité, que je peine à relier à Mélisande malgré mes bonnes dispositions envers son inspiration d'interprète. Dans le grave, la lourdeur de l'instrument (terni par la tessiture) n'a plus grand rapport avec les aphorismes d'un rôle conçu pour la touche légère des sopranos pépiants (Mary Garden).
Néanmoins, pour qui l'a entendue en salle, on devine, malgré un petit abus de couverture (sans doute la prudence des premières représentations), la présence physique de la voix, toujours très saisissante.

En somme, pas de quoi faire un disque sans doute, mais ce devait être très dépaysant et très chouette dans la salle.

Certes, on a pris la peine de distribuer Geneviève à un instrument plus sombre, grâce à l'excellent mezzo grave Cornelia Oncioiu, mais on se retrouve finalement avec une Mélisande-Geneviève et une Geneviève trop héroïque, là où la partition requiert peu de volume au profit d'une déclamation délicate.

Mais la soirée reste fascinante, contre toute attente du côté orchestral : l'Orchestre National des Pays de Loire, malgré sa modestie en virtuosité et timbres, joue impeccablement une partition qu'il possède à la perfection, et la familiarité avec la partition de Daniel Kawka, spécialiste de la musique contemporaine, est complètement audible. Transparence maximale qui n'est pas seulement due à l'effectif réduit, je ne crois pas avoir déjà entendu une telle radiographie de Pelléas, où les motifs sont exaltés sans être jamais soulignés, et où la mise en valeur de chaque plan n'empêche pas une poussée permanente. Il faut au moins écouter la scène de la grotte (II,3), miraculeuse... chaque détail est saillant, et pourtant on a l'impression d'être sans cesse rejeté par l'avant. Et quelle élégance suprême dans le grand duo de l'acte IV – par exemple le hautbois dans « on dirait qu'il a plu dans mon cœur », qui prend son temps avec liberté, ineffable comme jamais.
Les équilibres, les respirations, tout force l'admiration. Une des grandes directions de Pelléas.