Représentation du 20 janvier (dernière).

Pendant une semaine, tout le monde semblait en extase dans la presse et chez les spectateurs. À juste titre.

Plateau remarquable :
¶ du côté de Lakmé : Sabine Devieilhe, timbre tès nettement focalisé, avec des couleurs à la Gillet ; vocalisation sobre, très raffinée, maîtrisant le vibrato ; médium qui reste dense malgré sa luminosité ;
¶ de Gérald : Frédéric Antoun, dont la voix s'élargit au fil de la représentation, avec ses aigus tous délicieusement mêlés du son [ou] ;
¶ de Frédéric : Jean-Sébastien Bou, mordant, esprit, éloquence, tout y est pour l'un des plus beaux rôles de tout le répertoire ;
¶ des fiancées : Marion Tassou (Ellen) et Roxane Chalard (Rose), nettement articulées et pleines de fraîcheur, sans aigreletteries.

Confier Mistress Bentson à l'immense Hanna Schaer était un contre-sens : elle reste souveraine dans des répertoires difficiles et dans le lied, mais l'abattage comique et les poitrinés ne sont pas spécialités, si bien que le rôle occulte ses qualités.

Et je n'ai pas aimé (comme d'habitude) Élodie Méchain : je trouvais que la voix était très engorgée, épaisse, opaque et mal articulée (ce qui est assez rédhibitoire pour moi, surtout dans le répertoire qui est le sien), mais elle a de plus mal vieilli. Cela bouge beaucoup, on dirait une voix qui a quarante ans de carrière, alors qu'elle doit être dans sa trentaine (d'années de vie, pas de carrière !). Rien de déshonorant non plus, mais à l'aune de la réputation flatteuse qui la précède partout, je suis frustré de ne pas entendre ce que les autres lui reconnaissent.

Grâce à Accentus, je n'avais jamais entendu les chœurs (à l'occasion complexes, mais rarement raffinés) de Lakmé chantés avec autant de netté et de clarté. Comme d'habitude avec eux (oratorio,opéra,motets, encore opéra...).

Orchestralement, les instruments d'époque des Siècles et la disposition circulaire (pour recréer l'orchestre de dos, face à la scène, tel qu'on le pratiquait au XIXe siècle) permettaient d'obtenir de très beaux équilibres. Les timbres en eux-mêmes sont assez rêches, mais cela empêche le fondu et le legato, ce qui est un atout pour la transparence (et un rempart assez puissant contre la sirupification). Autre avantage : présence sonore très discrète qui permet d'entendre les chanteurs sans effort, et donc pour eux de soigner la diction plutôt que de renforcer leur métal.
Surtout, François-Xavier Roth se montre un grand chef, attentif aux détails de phrasés très délicats, à l'opposé des formules mécaniques d'accompagnement qu'on peut entendre chez les spécialistes du belcanto qui jouent cette œuvre.

Visuellement, Lilo Baur parvient, tout en restant parfaitement traditionnel, à éviter l'abus de couleur locale et l'immobilité. Le talus du I oblige les chanteurs à se déhancher un peu... et le très beau saule exotique du III, dans les lumières changeantes et poétiques de Gilles Gentner, compense en atmosphère ce que le (bon) livret de Gondinet et Gille peut avoir de distendu – car si la matière en est stimulante, la temporalité en est souvent paresseuse.

La partition elle-même est un enchantement, on y entend de jolis motifs récurrents (pas de véritables leitmotive), la préfiguration des tuilages obsédants du marché de l'Aladdin de Nielsen, et surtout de très belles harmonies : très souvent, Delibes remplace l'accord principal attendu par un accord proche (deux notes en commun sur les trois). Par exemple un fa mineur ou un ut mineur à la place d'un la bémol majeur dans « Fantaisie aux divins mensonges », ce qui procure de petits contrastes d'éclairage, sans rien de spectaculaire, mais instinctivement sensibles. Il y a quelque temps déjà que je comptais en exposer le détail, ce sera fait à l'occasion.