Gounod - Faust - Plasson, Orange 2008
Par DavidLeMarrec, jeudi 14 août 2008 à 19:47 :: Opéra :: #134 :: rss
En plus, la mise en scène de Nicolas Joël ressemblait fortement à du bâclage (ou alors quelque problème de nous inconnu l'a empêché de produire ce qu'il pouvait). Aucune direction d'acteurs (seul Alagna, tout à son enthousiasme d'être en contact avec son public, riait et bondissait sans arrêt). Une esthétique du sabre et du goupillon (pourtant décriée par le metteur en scène). Des chanteurs perdus, aucun mouvement (la scène foisonnante du II, où Faust et Méphisto se frayent un chemin parmi les danseurs, ne voit que trois couples de valseurs au milieu de la scène immense), et plusieurs sabotage de l'économie dramatique de l'oeuvre. Entrée pour ainsi dire par la porte du démon au I, et surtout avancée paisible de Faust écoutant Marguerite à la fin du III, alors que la surprise par l'amant du moment d'aveu solitaire porte à elle seule tout le tragique de ce qui suit - l'enfant, la mort, la damnation potentielle. Tout est donc aplani sans la moindre recherche, jusqu'à saper ce qui est bien écrit.
Une idée séduisante cependant, à la toute fin : le retour à l'état initial de Faust, sorte de punition qui le condamne à mourir vieux et fatigué, la damnation en plus.
Côté orchestre, une direction lente, sans grand relief, mais soignée, avec de belles couleurs, de la part de Michel Plasson. Les choeurs, bien que nombreux, disposent d'un timbre proportionné, très agréable, et d'une diction à peu près correcte, ce qui est rare et doit être salué comme il se doit.
Côté interprètes, on note avec un peu d'étonnement un début très précautionneux pour René Pape, qui peine à trouver les voyelles justes avant le III, et peine à s'investir - alors que la radiodiffusion new yorkaise, en 2006, montrait un démon certes un peu noir pour un Méphisto goethéen, mais très complet et assuré. Comme on ne peut pas prétendre que l'absence de mise en scène ait troublé un habitué des versions de concert et surtout du Met, on peut penser à une soirée de relative méforme - mais attention, malgré un manque total d'originalité, l'ensemble était vocalement parfaitement assumé, et surtout, il faut toujours se méfier des voix de basse, qui ont un impact énorme en salle, pas toujours rendu par les micros (c'est le cas par exemple de Fernand Bernadi et de Nicolas Testé, voix très peu phonogéniques, et pourtant d'une présence extraordinaire en vrai). Il est donc possible qu'une présence très particulière se soit tout de même manifestée - alors que la retransmission donnait l'impression à tous les coups fallacieuses d'une projection un peu difficile !
Inva Mula a, en peu d'années, abandonné sa luminosité un peu monochrome au profit d'une voix plus ferme, légèrement plus dramatique, d'une diction plus affirmée, d'une qualité d'attaque supérieure. Le timbre en est moins séduisant, mais le résultat combien plus varié et intéressant ! Il est rare que les artistes soient capables, au sein du galop d'une carrière, de modifier ainsi leurs qualités propres, c'est à saluer.
Jean-François Lapointe semble résoudre de plus en plus nettement sa tendance à l'engorgement, et parfois au prosaïsme, avec une présence scénique tout à fait honorable dans le monde anesthésié de cette soirée. Pour un baryton martin, l'aigu n'est pas très libre et beau, mais son Valentin convainc. Un chanteur de plus en plus intéressant, dont le Pelléas très viril nous avait d'ailleurs étonné il y a peu.
Enfin, Roberto Alagna,
Enfin, Roberto Alagna, malgré les critiques lues en plusieurs endroits, s'est montré ce soir-là à la hauteur de sa réputation autoproclamée de meilleur ténor du monde. Pas seulement par l'évidence absolue de sa diction, mais aussi par la force de son verbe, servi par un timbre très dense et lumineux (avec une patine depuis quelques années, nettement moins "italienne" que le métal de ses débuts, mais au moins aussi belle). La série des imprécations au I, rendue paradoxalement plus libre par le tempo lent, se montre d'une force de conviction sans égale, et la variété de caractérisation des moments (jusqu'à faire chevroter le grave en tant que vieillard).
L'aigu se montre moins facile qu'autrefois - il ne l'a jamais été, mais était irréprochable à Covent Garden en 2005 et au Met en 2006 -, et on entend cette attaque à palier des le sol, opérée en deux fois, une sorte d'inertie dans la voix, très audible. Ce qui est totalement compensé par le soin stylistique et par l'investissement, encore accrus depuis ses précédentes prestations.
Suite, paraît-il, à un ratage dans l'aigu de son air lors de la première représentation, Alagna a choisi de chanter le contre-ut (ajouté par Gounod à la demande d'un autre ténor cabot) en falsetto [1]. Il est évident qu'il n'aurait pu émettre, ce soir-là, un beau contre-ut en pleine poitrine, et on se doute bien que dans le cas contraire, le connaissant, il ne s'en serait nullement privé. Néanmoins, cet aigu en fausset, au sein d'un air fade qu'on n'a jamais entendu aussi passionnant, pleinement habité à chaque phrase (un ténor qui ne pense pas qu'à l'aigu...), se révèle comme un évidence expressive, si bien qu'on ne l'échangerait qu'à la condition d'un ut de poitrine ppp (à la rigueur) - ce qui est hors de portée qu'à peu près tous les titulaires de Faust passés et présents. Au lieu de couronner de façon peu naturelle (y compris mélodiquement) un air presque élégiaque par un braillage ostentatoire, il prolonge une émotion censée être ineffable et douce.
Et surtout, la réalisation technique en était stupéfiante, préparée par un passage progressif (sans passer "en arrière" comme jadis sur tous ses piani) en voix mixte, et réalisant le changement de registre sur la consonne "z" de "présence", si bien que la rupture (physiologiquement obligatoire) était proprement inaudible (il nous a fallu plusieurs écoutes pour saisir comment cette impossible continuité des registres pouvait se produire). Son falsetto était plein et superbe, loin des sons filandreux et en arrière qu'il produisait souvent avec ce mécanisme. Et retour en voix de poitrine piano, pour une fin délicate et intense. Du grand art - ou comment compenser (et dépasser) une faiblesse technique objective par du style, du goût et de l'expression.
Tout sa soirée est à l'image de ce tour de force. Sans un aigu arrogant, une incarnation d'une sûreté et d'une plénitude, aussi bien vocales et musicales que verbales et stylistiques, assez stupéfiantes.
--
Très belle soirée, malgré une mise en scène misérable, grâce à l'exécution musicale, et spécifiquement grâce à l'interprétation mémorable de Roberto Alagna, qu'on avait pourtant entendu en 2005 et 2006 - mais ici scéniquement radieux, pour ne rien gâcher.
Notes
[1] C'est-à-dire totalement en voix de tête / fausset.
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Ajouter un commentaire