Diaire sur sol

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jeudi 29 mai 2008

Concours Reine Elisabeth 2008 - XV - le palmarès et le point

Le palmarès et les conclusions se trouvent sur CSS.

Concours Reine Elisabeth 2008 - XIV - Michèle Losier

Demi-finale avec piano

Et à nouveau Michèle Losier (mezzo-soprano central). Un peu sombre pour de la mélodie française, mais quel plaisir ! La diction n'est pas mauvaise, l'expression vraiment soignée, et la voix totalement maîtrisée, pleine, sans aspérités dommageables ni cris. Une belle plénitude, les sons sont superbement soutenus. On sent aussi déjà beaucoup de métier.

Son Schubert (Du bist die Ruh') est vraiment à pleurer, tout y est : couleur, ton, sûreté vocale, diction, qualité de l'allemand, expression.

Très belle interpétation de la commande du concours. On ne comprend pas plus que les autres ce qu'elle dit, mais sans partition, avec beaucoup d'abandon et de rigueur, une voix chaleureuse, beaucoup d'intensité dans l'expression, on se régale (la pièce est vraiment belle, en plus, et beaucoup n'en ont pas profité).

La berceuse de Montsalvatge, dans un espagnol correct, est d'une volupté lascive tout à fait étonnante, qui transcende franchement la pièce sympathique initiale. Et une densité dans les poitrinés admirables. Il faut comparer ça à la version Bartoli pour ce faire une idée de l'abîme de caractérisation qui les sépare ici...

Les aigus sont plus poussés dans Bellini, un peu cassants et durs, et il est vrai qu'il s'agit d'un mezzo avec une extension aiguë limitée. On songe, pour les poitrinés en italien, à Larmore, côté timbre. On la sent aussi moins à son aise avec le style (et les aigus difficiles peuvent être abrégés).
Résultat largement convaincant même ici, cela dit.
La cabalette a un impact assez fou, beaucoup d'arrogance, et le jeu de scène fascine...

Dans la Romance à l'Etoile, outre la qualité de timbre déjà décrite, la qualité du diminuendo-morendo, les pianissimi totalement timbrés sont très impressionnants. L'attitude contemplative, sur scène, se montre toujours juste.

Le monologue du Komponist est peut-être ce qui semble le moins soigné vocalement, s'appuyant essentiellement sur des déplacements scéniques et multipliant inutilement les difficultés dans l'aigu pour elle.
... avec un résultat qui reste assez convaincant.

Une canadienne francophone, mais qui parle parfaitement anglais et a sûrement étudié avec des professeurs de technique américaine, en réalité, ce qui expliquerait bien des choses : cette technique très pleine, avec articulation un peu en arrière, un français tout de même très bon mais un peu en arrière.

Une valeur sûre que je serais ravi d'entendre en récital ou dans un grand rôle. Un superbe récital, déjà ici.

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Finale avec orchestre

(Visionnée avant la demi-finale.)

En train de visionner la prestation de Michèle Losier. Voix très construite, un peu artificielle peut-être, on perd donc en diction en français, mais des possibilités très intéressantes. Ce qu'est en train de confirmer son excellent Mahler à présent (c'était l'épreuve finale avec orchestre). Très expressive scéniquement.

Juste après son Ravel, je vous recommande les commentaires lorsqu'on la voit en coulisses :

LA DAME
Ca va ?
ELLE, se jetant sur les mouchoirs ...
LA DAME
Il faut arrêter de pleurer, ma grande...
LE MONSIEUR
Ben oui !
LA DAME
Il faut arrêter de pleurer sur scène, parce qu'après il y a le nez qui coule.


... et la voilà repartie pour chanter Mahler.


Dans Mahler, c'est justement très équilibré, très construit comme voix, superbes poitrinés, allemand parfait, expression précise, grande tenue. On aime beaucoup beaucoup par chez nous.


Très beau programme au passage : deux Shéhérazade (Ravel), deux Fahrenden (Mahler), et Parto de la Clémence...


Et pour Mozart, au contraire, moins de feu et de mordant, un italien perfectible, une conviction moindre. Mais tout de même, avec une couleur un peu germanique, une très belle incarnation bien équilibrée et dense.

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De très loin l'interprète la plus intéressante pour nous, au-dessus d'un niveau de concours, une artiste pleinement accomplie. Elle a déjà chanté un certain nombre de rôles sur scène, donc quelques premiers (Dorabella au début des années 2000 à Mérignac-près-Bordeaux, Lazuli de L'Etoile de Chabrier à Montréal).
Tout y est, et avec naturel : densité du timbre, équilibre vocal, intelligence des phrasés, qualité linguistique, persuasion de l'interprétation, maintien scénique.

On a réécouté par deux fois ses deux récitals, avec un enchantement toujours croissant.

Concours Reine Elisabeth 2008 - XIII - Layla Claire

Demi-finale avec piano

On y constate la même densité de timbre qu'en finale, avec une présence vocale impressionnante, et beaucoup d'émotion dans le Pétrarque imposé de Wim Henderickx.

Son Debussy n'est pas très idiomatique, et chanté un peu large et lyrique, comme on pouvait s'y attendre, mais le résultat demeure très esthétique.

Très beau Strauss pudique, avec un allemand un peu opaque également.

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Finale avec piano

Layla Claire (soprano lyrique) à présent. Sans doute une déformation perverse de ma part, mais à la vue de son programme, je songe vraiment qu'une finale avec piano, si j'exclus le plaisir pour l'auditeur d'entendre Kazushi Ono, ce qui constitue toujours un privilège, aurait été plus intéressante en termes de pièces choisies et d'étalon pour l'interprétation.

Surtout que vu l'ampleur de sonorisation, on ne cherche pas particulièrement à jauger leur façon de passer l'orchestre. [Addendum : Laurent signale que si, quand même.

Belle voix bien équilibrée, assez chaleureuse, mais l'aigu est d'une qualité moindre, se file un peu ; ça n'a rien de gênant ni de rédhibitoire, mais ça vous plombe l'avis d'un jury comme un rien.

L'air de Fiordiligi est absolument impeccable, mais il est tellement joué qu'il est difficile de s'y imposer comme unique. Surtout qu'un petit aigu tiré, une respiration avant le dernier mot sont le genre de chose que retiennent des professionnel du chant, je le crains - alors que ça n'a à peu près aucun intérêt, puisque la technique est là pour soutenir une prestation, et non pas objet d'intérêt en soi.


... grand Dieu, ces lieder de Strauss orchestrés, quel sirop, j'en suis marri à chaque fois, alors que les originaux pour piano sont souvent très réussis. Et effectivement, c'est chanté comme une aria.

Après l'air extrait de Peter Grimes qui change un peu des programmes habituels, on a droit à la sempiternelle valse de Juliette, qui met très en valeur les voix et ne permet guère de se faire une opinion : toute jolie voix y donne de beaux résultats.
Ici, on peut admirer un très beau médium légèrement corsé pour un soprano lyrique, avec de belles couleurs ocre-orangé. Quelques tendances au legato-glissando ici ou là.
Résultat d'une volupté assez remarquable.

(La pauvrette manque tous ses suraigus à la fin... elle hésite à faire le dernier, très exposé, et se prend les pieds dans le tapis, n'atteint même pas la note et descend en glissando jusqu'à la dernière note qu'elle trouve tout de même sans difficulté.)

Sur le strict plan de la densité du timbre, une des toutes meilleures candidates, vraiment agréablement charnu, et avec mesure. Côté l'interprétation, pas follement engagé, mais tout à fait suffisant.

mercredi 28 mai 2008

Concours Reine Elisabeth 2008 - XII - Elizabeth Bailey

Demi-finale avec piano

Ici, le manque d'arêtes et surtout le français... anglais sont nettement moins intéressants. (On croirait véritablement qu'elle chante en anglais, à un point d'incurie qu'on croyait seulement accessible aux français... en anglais.)

Finale avec orchestre

Elizabeth Bailey (soprano lyrique) chante uniquement du belcanto, d'une voix très ronde, avec une très belle expression, un excellent legato. Tout juste pourrait-elle tonifier un peu la voix, qui n'a pas beaucoup d'angles, toujours des attaques très douces.
Mais les récitatifs sont très habités, la tessiture parfaitement homogène, et les grands cantabile parfaits - et pourtant, elle choisit des airs qui peuvent se révéler longuets sans un minimum d'engagement. Excellent.

Dommage que pour la finale, elle n'ait choisi que des airs de caratère semblable, très contemplatifs, on ne sait pas ce qu'elle produirait ailleurs. Quelques petites baisses d'intonation dans le Mozart (en baisant le vibrato sur des coloratures lentes) lui ont sans doute coûté cher, puisqu'elle n'a rien remporté non plus.
Ici, le caractère un peu paisible, les attaques légèrement molles sont moins convaincants, mais le résultat demeure vraiment habité et très maîtrisé.

Vibrato un peu forcé dans Glitter and be gay de Candide, et manque de tonicité beaucoup plus dommageable ici. Tessiture de toute façon un peu grave pour elle, elle peine plus à projeter et soutenir. Elle semble avoir une tessiture assez haut placée qui l'aide beaucoup pour les cantilènes belcantistes.
Mais vraiment courageux de présenter un air autant fourni en suraigus (et quelques agilités) sur un tel enjeu...

Parce que contrairement à une discipline instrumentale, il peut arriver que la voix ne réponde pas parfaitement un soir donné, indépendamment de l'émoi de l'interprète...

Et elle n'a rien eu non plus, peut-être parce que pas assez polyvalente pour eux ? J'ignore les critères du jury, ce serait intéressant de les connaître un peu. La composition très variée du jury ne permet pas de se faire une idée précise de ses attentes potentielles. A Bordeaux pour le Quatuor, en tout cas, la désignation des Atrium était au contraire récompenser d'excellents spécialistes pas très aventureux (ou alors allègrement hors style - avec beaucoup d'efficacité d'ailleurs).

Concours Reine Elisabeth 2008 - XI - Szabolcz Brickner

On commence ici à aborder des prestations vraiment assez complètes, aussi bien du point de vue du chant que du théâtre. Surtout pour les trois dernières lauréates.

Demi-finale avec piano

Voir ci-après.

Finale avec orchestre

Szabolcs Brickner (ténor lyrique demi-caractère), n'est pas très lourd pour les rôles qu'il chante, mais au moins apporte plus de fraîcheur que d'émotions paraglottiques. Extrême aigu un peu farineux, mais sinon, vraiment sympathique.

Dans les Illuminations de Britten, français bien plus faible que pour son Meyerbeer (les exigences d'accentuation et de débit sont bien plus contraignantes). Mahler, avec un allemand un peu bizarre aussi, révèle vraiment une jolie voix obligée de forcer avec orchestre, ce qui abîme le timbre. Pourquoi pas pour du lied avec piano, mais il semble avoir plus de talent pour le cantabile que pour la déclamation. [N.B. : L'écoute partielle de la demi-finale conforte ces impressions. Mais la voix reste assez identique dans l'aigu à la soirée de la finale.]
A la fin d'Um Mitternacht, pris très lent par Ono (et un peu amorphe côté phrasés), le pauvret est épuisé. Ca n'a pas l'air, mais ces longues phrases mahleriennes sont absolument épuisantes.

Le médium rappelle à plusieurs reprises Carreras (par forcément dans ses jeunes années).

Pour l'instant, c'est vraiment Michèle Losier qui l'emporte de plusieurs têtes sur tout le monde. (Mais, grand Dieu, que ce public peut être froid... [Mais pas, on s'en apercevra plus tard, pour les airs les plus spectaculaires, même pas trop réussis, ce qui signifie vraisemblablement qu'il s'agit d'un public peu habitué - soit de type 'néophyte' et c'est tant mieux, soit de type 'apparat'.])

Dans le Verdi léger comme Macduff, même si, en bon hongrois, il ouvre un peu fort ses voyelles italiennes et que l'accentuation des mots est un peu aléatoire, il a énormément de charme. Léger, expressif, tout à fait chouette.

Depuis le début, j'ai l'impression étrange que la respiration est haute de temps à autre, mais il tient bien la longueur de souffle, ma foi !

Beau Lenski sensible pour finir.

Concours Reine Elisabeth 2008 - X - Bernadetta Grabias

Finale avec orchestre

Bernadetta Grabias (mezzo grave) accentue vraiment très platement son italien, amusant comme la voix est totalement comparable à Ewa Podles - je ne serais qu'à moitié étonné qu'elle ait suivi son enseignement.
Les graves extrêmement forts et poitrinés, un peu de souffle "sur" le timbre, cette volonté de chanter aussi un air de contralto (Isabella), ce besoin de montrer l'agilité, beaucoup de choses y font penser. Le public adore.

Elle semble beaucoup préoccupée de sa rondeur vocale et de son impact, ce n'est pas trop pour me plaire. Les phrases sont totalement écrasées, on se repose sur les voyelles, les articulations consonantiques (pourtant bien plus importantes en polonais qu'en italien !) sont faites mais comme ignorées.

En français, les voyelles, sans être indifférenciées, sont d'abord adaptées à la plénitude vocale, et les consonnes utilisées essentiellement lorsqu'elles servent d'appui.
Le chant a quelque chose de touchant, mais c'est assez terrifiant, comme incarnation, pour la petite Charlotte de Werther. Plus adapté au vérisme en effet.

A part cela, le programme mélange oeuvres célèbres et peu jouées. Et chantées avec beaucoup d'aplomb et d'impact. Sans doute impressionnant sur place.

Dans le Liber scriptus du Requiem de Verdi, le latin est un peu concassé. L'aigu, peu entendu jusqu'à présent, est assez urgent et électrique, ici aussi on peut penser à Podles (ou, pour une voix toute différente, Verrett). Après, difficile de jauger dans ce programme le potentiel aigu et donc l'inscription éventuelle comme contralto un peu "gonflé" plutôt qu'en tant que mezzo comme annoncé.
Ce Verdi est très impressionnant, tout de même, la vindicte divine est plutôt saisissante.

Le Mozart, évidemment, est linguistiquement en bouillie et vocalement assez... ailleurs, tant le type de voix étonne pour Chérubin. Le timbre est un peu plus acide aussi, du fait des efforts d'allègement (et concomitamment aux sourires...). Vraiment étrange, on dirait ici également un personnage bien campé, mais un autre personnage.

Même caractéristiques pour le Tchaïkovsky (La Pucelle d'Orléans), très vigoureux et inquiétant, pas très articulé non plus.

Le public est très impressionné, manifestement, il faut dire que ce type de voix et cette assurance sont rares.

Concours Reine Elisabeth 2008 - IX - Isabelle Druet

Demi-finale avec piano

Isabelle Druet (mezzo-soprano central) me laisse étrangement mitigé. Italien mauvais (systématiquement accentué comme du français, et voyelles déformées ou tout de bon modifiées), mais un jeu attachant dans Chérubin.
Son Debussy est terriblement vivant (on voit qu'en tant qu'ancienne comédienne, elle a beaucoup a dire sur un texte), mais un peu vulgaire d'expression aussi.
La voix n'est pas très gracieuse, un peu dure. Le tissu de la voix sonne toujours comme déchiré... et rappelle assez (étonnamment) la façon d'émettre un peu braillée de pas mal d'acteurs actuels en théâtre.
Pas enthousiaste, mais il y a de belles qualités très exploitables. J'avoue que son Debussy, sans m'avoir séduit, m'a beaucoup intéressé pour sa très grande liberté vis-à-vis de la musique, presque une forme mélodrame, c'est très étrange vu le type du poème - et le traitement toujours distancié de Debussy.

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Finale avec orchestre

Carmen assez sage, mieux timbrée, moins éloquente. Moins original en fin de compte.

Concours Reine Elisabeth 2008 - VIII - Gabrielle Philiponet

Demi-finale avec piano

A présent la demi-finale de Gabrielle Philiponet (soprano lyrique). Voix de soprane qui tient des rôles relativement légers, mais avec beaucoup de corps et manifestement une vraie puissance. C'est phrasé, soigné, habité, parfaitement maîtrisé vocalement, toutes les contorsions, les déformations comiques ne la mettent pas en peine, toujours parfaitement timbré.

Et oser la Folie de Platée un jour de concours, où il faut vraiment s'investir et prendre des risques, chapeau. Et pas de difficultés, tout juste le suraigu un brin dur (et le pianiste perplexe sur le style à adopter...).

Au passage, les accompagnateurs, sans chercher à interpréter pour ne pas interférer, bien sûr, sont tous excellents, superbe son, très beaux phrasés, bien en style et tout et tout.

Et puis quel programme ! Des Wolf et Korngold peu fréquents, la Folie, C'est l'extase langoureuse selon Debussy, le plus bel air de Mithridate (Nel grave tormento), et l'air d'Urbain des Huguenots.
On dirait que c'est à moi qu'elle a demandé conseil, ou bien elle cherchait à me faire plaisir.

Très beau Debussy, vraiment, du climat. Et puis beaucoup de conviction dans son Meyerbeer. Vraiment très bon.

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Finale avec orchestre

Et voici donc la finale de Gabrielle Philiponet (soprano lyrique avec extension aiguë). Effectivement, comme lu ailleurs, la voix est un peu poussée, ce qui donne une sorte de surdensité. Un problème d'ampleur, de souffle, d'appuis ? Si elle force comme cela pour Ännchen, je ne donne pas cher de sa peau (du cou) lorsqu'il faudra chanter régulièrement sur les scènes.
L'allemand dans Freischütz est assez terrifiant. Mais elle fait l'effort d'habiter, indubitablement. (L'alto solo est assez acide, d'ailleurs, on est étonné vu l'excellent niveau de l'orchestre par ailleurs, notamment les cors.) C'est au minimum vraiment intéressant, mais la voix est un peu dure dès qu'elle monte, elle force en permanence pour faire du volume, on comprend bien mieux les réactions de certains commentaires.

Dans Les Mamelles de Tirésias, c'est vraiment parfaitement prononcé, et toujours habité, mais en effet, cette façon de forcer les moyens en permanence, on souffre un peu pour elle. La voix risque vite s'abîmer et le contrôle se perdre.

[Etrange concept de les filmer jusque dans la coulisse. On constate ainsi qu'elle boit beaucoup, avidement, soit que la peur l'ait asséchée, soit qu'elle ait un peu forcé...]

Dans Strauss, elle s'obstine à faire jouer son aigu facile, et ça blanchit sérieusement. A son âge...

Etrange qu'ils l'aient mise au palmarès, du coup : plutôt que l'encourager (avec ses qualités très réelles), il faudrait peut-être lui suggérer de faire une petite "révision", et éventuellement de changer de professeur pour ne pas poursuivre dans cette voie...

Le public applaudit comme toujours au milieu de l'air de Manon (et plus d'une fois...). Le suraigu se fatigue sérieusement, s'élime... Les ports de voix sur le thème principal ne sont pas de très bon goût non plus. Il faut bien convenir qu'on se fatigue un peu à la longue. Vraiment, le Massenet est chanté en effort constant, avec une loudeur assez dommageable au propos, alors même que les intentions sont louables.

Public en délire... et elle boit comme un trou dans l'intervalle.

La voix est un peu dure l'aigu pour Linda di Chamounix, mais ça semble, plus sobre, beaucoup mieux convenir.

On a l'impression d'une voix facile qui a insuffisamment travaillé le détail et l'endurance et qui de ce fait fatigue. Dommage, vraiment. Les aigus, attaqués durement, bougent et sont stridents.


Par ailleurs, je trouve ça tout à fait bien, mais je me fais juste du souci pour l'avenir.

Concours Reine Elisabeth 2008 - VII - Changhan Lim

Finale avec orchestre

A présent, nous en sommes à Changhan LIM (baryton-Verdi). Comme d'habitude, le même problème avec les chinois et coréens de l'école actuelle. Voix impeccables, puissantes, pleines.

Mais la diction reste floue, même s'ils sont très appliqués, et l'expression très lointaine. C'est avant tout direct, ça ne "parle" pas beaucoup.

Son Posa reste impressionnant (un tout petit couac comme si la voix n'était pas chaude, vers la fin, mais sur une note expressive, impeccable), même si le récitatif est manqué. Ono (à l'orchestre) est bouleversant comme toujours dans Verdi, d'une imagination débordante (les textures, les phrasés...).

Son Quichotte de Ravel (le premier, le plus ironique des trois) est d'un sérieux un peu consternant : c'est joli, mais totalement hors sujet, faute de comprendre le sens profond du poème...

Bien sûr, il y a des exceptions, Soon-Won Kang par exemple (mais vu la qualité de son français, il est peut-être bien français ou nationalité semblable...).

Essentiellement vocal, donc. Mériterait aussi, de ce point de vue, plus de variété d'émission, de nuances, de couleurs.

Concours Reine Elisabeth 2008 - VI - Anna Kasyan

Demi-finale avec piano

Anna Kasyan (soprano lyrique léger) chante en effet un beau Vivaldi extrait du Tigrano et également présent avec un autre texte dans Motezuma. Mais la voix sonne étrangement, comme si certains aigus étaient criés, avec beaucoup de souffle qui passe (mais les vidéos du concours en ligne saturent, très difficile d'être catégorique).
La voix semble parfois un peu épaisse pour la nature vocale, mais tout cela est bien fait. Les piani peuvent être beaux.
Néanmoins, pour ce type de voix, on en voit beaucoup, et d'autres autrement plus impressionnantes.

Son Berg (Die Nachtigall, rien de subversif) sonne un peu artificiel, mais avec les défauts de la reproduction sonore, on n'arrive pas à discerner si le son est très puissant ou juste trop alourdi. Cette musique ne coule pas de source pour elle, mais c'est chanté avec une certaine conviction.

De toute évidence, elle est pénalisée par l'apprentissage de langues peu semblables à la sienne. Un véritable effort louable pour mêler italien, allemand, russe et français, même si tout n'est pas impeccable.

Concours Reine Elisabeth 2008 - V - Yuri Haradzetsky

Finale avec orchestre

Le programme très conformiste d'Anna Kasyan ne nous a pas tenté (seulement des airs de concert italiens rebattus), alors nous avons mis Yuri Haradzetsky (ténor lyrique léger), mais il s'agit vraiment d'un format très léger, même Haydn lui pose des problèmes sérieux dans l'aigu. Voix très fluette, un peu blanche.

Même en russe, où tout est pourtant plus en arrière et flatteur, il reste raisonnablement peu voluptueux.

Accessoirement, il est rigide comme tout et mort de trouille.

Concours Reine Elisabeth 2008 - IV - Tatiana Trenogina

Demi-finale avec piano

Concernant Tatiana Trenogina (soprano lyrique), je dois rejoindre ce qui a pu être dit ; à part un Tchaïkovsky bellement expressif, c'est beau mais extrêmement banal.
Son Fauré, son Elsa de Lohengrin, sa création contemporaine imposée (Wim Hendrickx), son Puccini, son Mozart - tout se ressemble, et assez flou linguistiquement parlant.

Concours Reine Elisabeth 2008 - III - Julie Martin du Theil

(Non sélectionnée pour la finale.)

Julie Martin du Theil rappelle furieusement Daphné Touchais (sans l'aisance scénique confondante) : un lyrique léger, assez métallique, pas original mais avec beaucoup de qualités.
Dans la commande du concours de Wim Henderickx, l'émission se durcit très fortement, et son italien est incompréhensible.
De même en allemand, pas bien compréhensible (et pas terrible de toute façon), et le timbre se densifie en se durcissant, jusqu'à l'aigreur. Peut-être aussi les effets du stress, parce qu'elle semble très crispée.
Mais ça ne me paraît pas tout à fait au niveau d'une victoire dans un concours prestigieux.

En Titania, ses détachés ne sont pas timbrés (dommage, l'air est justement fondé dessus), et la voix se durcit façon "conservatoire". Non, ce n'est pas encore tout à fait ça, et ça manque de personnalité, d'aisance, d'investissement.

Soit dit depuis mon fauteuil, le lendemain de l'épreuve, hein. Ca reste d'un niveau professionnel, elle a d'ailleurs dû, je suppose, recevoir des engagements pour des petits rôles.

(Aïe, pour Norina, pas le moindre sourire (complètement crispée), pas beaucoup d'interprétation, et surtout on s'empêtre dans le sillabando, et des vocalisations criées sur les "virages", des aigus un peu criés aussi... Ca, ça va lui coûter sa place.)

Concours Reine Elisabeth 2008 - II - Jung Nan Yoon

Finale avec orchestre

Et la dernière que nous ayons écoutée de la série, Jung Nan YOON (soprano lyrique). Qui débute fort mal avec un Wolf dont je suis incapable de comprendre un mot, et une voix opaque et impersonnelle, pas trop ma tasse de thé. Très bref de toute façon, comme cela on peut passer au vérisme sérieux.

Pour elle aussi, déjà un vibrato un peu forcé pour l'âge de la voix !

Le français (Juliette aussi...) est absolument incompréhensible à nouveau, et l'italien ne vaut pas mieux. Le style est passe-partout, et un peu lourd. Et comme plusieurs autres, son suraigu est mal assuré (la fin de Sempre libera est douloureuse)...

C'est vraiment la seule du lot que nous renverrions étudier. Non pas qu'on n'ait pas conscience qu'il est toujours extrêmement difficile pour les coréens d'apprendre une nouvelle phonation indo-européenne, mais le résultat, sans juger les personnes, est ce qu'il est. On n'entend que de la musique, et absolument aucun texte (qui n'est pas habité de surcroît). Là, il y a une carence grave dans l'apprentissage. Et c'est très vilain aux professeurs de laisser passer ça, et aux étudiants de s'en moquer éperdument, parce qu'après, on se récolte le résultat dans les théâtres, nous pauvres spectateurs !

Vocalement, la base est bonne, mais peut-on s'en contenter exclusivement ? Tout dépend des attentes, évidemment - mais la dimension poétique ou théâtrale est totalement bannie, en tout cas.

mardi 27 mai 2008

Concours Reine Elisabeth 2008 (chant)

Quelques impressions sur les lauréats de cette édition, avec quelques impressions négligemment jetées au fil de l'écoute et publiées de façon informelle sur un autre support.

Pour plus de clarté, on regroupera par interprète, en progressant dans notre ordre d'intérêt croissant.

samedi 17 mai 2008

Congrès du Nouveau Centre

On s'amuse comme on peut - avec les discours politiques en passant l'aspirateur en vaquant.

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Un peu de compassion à l'écoute du sympathique discours d'Hervé Morin, un jeu de jolis équilibres à l'image du logo Nouveau Centre (un tiers de rouge sur la gauche et deux tiers de bleu sur la droite... mignon comme tout).

Un discours soigné (bien écrit, d'ailleurs), respectant à la lettre les articulations logiques (même si, avec le flou généralistes des discours politiques, il est difficile d'y percevoir un fil particulièrement signifiant).

Et c'est là où l'on peut sourire, en voyant ce solide second devenir líder, sans une réelle préparation. Sa formation est moins complète que d'autres (IEP de Paris sans ENA), son talent pour la parole publique moins mis à l'épreuve.
Si les commentateurs surestiment souvent les talents d'orateur de François Bayrou (surtout piètre rhéteur, à vrai dire), le contraste n'en est pas moins saisissant. L'ensemble du discours est prononcé en hésitant, en trébuchant, interrompant brièvement des groupes de mots, toujours en équilibre pour ne pas s'empêtrer, la prononciation comme en retard sur le débit de parole. Ce qui entraîne à plusieurs reprises et des erreurs plus ou moins malheureuses : un "ne" au milieu d'une phrase purement affirmative ou, plus amusant, un "moi" remplaçant un "nous".

Au milieu de ce discours équilibré sans ridicule et stylistiquement agréable, des lieux communs un peu usés se baladent, uniques références mal digérées d'une formation très généraliste :
- « l’homme un loup pour l’homme » (signal : moi aussi j'ai de la culture latine)
- « comme maître et possesseur » (signal : j'ai assimilé Descartes au point de pouvoir le paraphraser)
- « nature / culture » (signal : d'ailleurs j'ai eu une super note en philo au bac)
- « soulever des montagnes » (signal : hou-hou ! la vraie démocratie chrétienne, c'est par ici !).

Etrange décalage entre la qualité de l'écriture, la difficulté de l'élocution et la banalité presque drolatique des références.

En tout cas attachant. Le pauvret était soulagé de finir.

samedi 10 mai 2008

Quatuors Quiroga & Ardeo (concert)

Quelle soirée - je viens de faire
Et quel bis extraordinaire...

(Bande son.)

jeudi 8 mai 2008

Ernest Chausson - SYMPHONIE - Svetlanov

De même que pour Le Roi Arthus [1], Chausson y réalise un compromis idéal entre les ductilités d'un esprit français sans superficialité et ses influences wagnériennes, avec à la clef richesse d'écriture, recherches d'orchestration, atmosphère crépusculaire.

Epoustouflant.

Et ce qu'autant plus que Svetlanov en donne une lecture tendue et habitée, avec un orchestre ample mais incisif (profondeur des cordes exceptionnelle, et les cuivres acidulés sont un plaisir).

Notes

[1] Plus de deux ans déjà que nous l'avons abordé pour CSS, et nous nous sommes promis d'y revenir aussi prochainement que possible.

Guillaume Tell de Rossini - protomeyerbeerien

Difficile de faire plus évident que ce constant : le Guillaume Tell est à l'origine du 'Grand Opéra à la Française', le patron qu'illustrera à son plus haut degré Meyerbeer].

En fin de compte, alors qu'on songerait plutôt à cette intrication structurelle des récitatifs et des ensembles, ou bien à ces récitatifs extrêmement bien écrits prosodiquement (et un peu chantants peut-être par rapport à la vérité de la langue), l'illustration la plus éclatante s'en trouve, étrangement, au sein de l'ouverture.

En somme, le reste de la langue rossinienne est plus sommaire dans les 'numéros' [1] aussi bien rythmiquement qu'harmoniquement (sans même évoquer l'orchestration...). Mais dans la première moitié de cette ouverture (avant l'orage convenu et la calvalcade pas extrêmement nourrissante), on rencontre des modulations surprenantes pour ce type d'exercice. Ce type de gratuités extrêmement bienvenues qui font le sel de Meyerbeer.

On sait donc pourquoi c'est si chouette, Guillaume Tell.

Notes

[1] Les numéros : c'est-à-dire les parties lyriques closes : airs, duos, ballets, etc.