Tchaïkovsky - La Dame de Pique - Rozhdestvensky, Dodin
Par DavidLeMarrec, jeudi 14 août 2008 à 19:09 :: Opéra :: #133 :: rss
Une esquisse, quelques pistes.
Visionné tout récemment la mise en scène parisienne très décriée de Lev Dodin. En effet, le choix de la situation dans l'asile, donc à l'issue de la folie d'Hermann (qui ne mourrait pas), qui peut sembler cohérent, se révèle extrêmement stérilisant.
- Toutes les alternances de groupes qui scandent le drame et en particulier l'acte I sont réduites à un défilé en hauteur, hallucinations figées au-dessus du lit d'Hermann. Jusqu'à l'opéra mozartien du II, tout est présenté sur cette estrade figée, où des personnages en haillons, camarades de folie ou créatures imaginaires, posent, immobiles, interminables.
- Toute variété, tout mouvement sont proscrits, aucune action ne se déroule sur scène - ce qui est tout de même un non-sens assez important lorsqu'on réalise une mise en scène.
- La cohérence du procédé s'effrite au fil des actes, lorsque des personnages descendent dans l'arène, ou lorsqu'Hermann vient menacer la vielle comtesse. Qui sont-ils, à quoi servent-ils ? Le parti pris, totalement stérile en lui-même (puisqu'il n'apprend rien que l'on ne sache et sabote totalement la logique dramatique de l'oeuvre et sa respiration vive), se trouve donc de surcroît largement pris en défaut.
- Ajoutons à cela que la partition n'est pas épargnée, puisque la cohérence du récit de Tomsky est brisée par l'intervention au discours de la Comtesse dans son monologue, ce qui est un non-sens dans une séance de conteur, et accessoirement du charcutage musical...
Pour ne rien arranger, la direction de Ghennady Rozhdestvensky, vraiment lente et dépourvue d'angles (et pourtant pressée de relâcher le dernier accord), accentue ce caractère lisse et contemplatif.
L'ensemble est sauvé par les chanteurs. Vladimir Galouzine, contrairement à ce que pouvaient laisser penser ses incarnations italiennes pâteuses et rustaudes, n'est absolument pas en perte de moyens, loin s'en faut. Le placement en arrière imposé par le russe correspond beaucoup mieux à son émission qui repose assez sur la gorge. Il compose un personnage d'une variété, d'une force de conviction et d'une insolence vocale hors du commun, tenant à lui seul ce qui reste de drame dans cette lecture scénique terriblement pauvre. Si bien que la voix en finit légèrement plus mate à la fin de l'oeuvre, tant le chanteur refuse de se ménager, et s'investit à corps perdu dans les affres du dément.
Il paraît, de surcroît, que sa puissance en salle est assez extraordinaire.
Hasmik Papian, loin de la réputation braillarde que lui ont procuré des prestations peut-être écoutées trop rapidement,
Hasmik Papian, loin de la réputation braillarde que lui ont procuré des prestations peut-être écoutées trop rapidement, développe une très belle ligne de chant, et, dans la mesure de ce que lui permet la mise en scène, une belle force de conviction. Nicolai Putilin, manifestement fatigué (temps qui passe ou méforme d'un soir ?), propose tout de même un Tomsky d'une précision verbale très enviable, qui compense amplement le caractère un peu terni du registre aigu.
Ludovic Tézier, malgré une ligne de chant extraordinaire, une sorte de modèle de technique italienne dans ce qu'elle produit de meilleur, campe étrangement, aidé par son naturel réservé, un Prince Yeletsky d'une indifférence assez peu croyable visuellement, les yeux comme enfoncés dans la tête, le regard ailleurs. Pour l'éloge de la fiancée, c'en est terrifiant, alors même que le chant, sans être volubile, n'en est pas pour autant inexpressif. Irina Bogatcheva enfin, belle voix pas du tout vieillie, mais dont les poitrinés ne font pas tout à fait merveille dans la chanson de Grétry. Très belle voix - gris moiré -, cela dit.
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Tout de même pénible à voir, mais un couple de jeunes premiers survolté, extrêmement convaincant. On peut toutefois se contenter d'écouter, vraiment, tant le choix forcé d'une "transposition" n'apporte ici aucun sens, juste une évidence martelée au détriment de toute l'architecture esthétique et dramatique de l'oeuvre. Un massacre.
[On se permet un brin plus de sévérité pour une mise en scène que pour une interprétation musicale, parce qu'elle bénéficie de tout le temps nécessaire pour se concevoir, et qu'au contraire des musiciens, les metteurs en scène n'hésitent pas à contredire l'oeuvre, avec les risques inhérents à ce genre d'exercice : abîmer l'oeuvre.]
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