Défis et paradoxes
acoustiques des grands formats
Longtemps attendue, plusieurs fois reportée (départ de Harding, année
sabbatique, covid…), la voici, cette Huitième, ultime maillon de
l'intégrale
Harding !
Johanni
van Oostrum, soprano
Sarah Wegener, soprano
Johanna Wallroth, soprano
Jamie Barton, mezzo-soprano
Marie-Andrée Bouchard Lesieur, mezzo-soprano
Andrew Staples, ténor
Christopher Maltman, baryton
Tareq Nazmi, basse
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Chœur d'enfants de l'Orchestre de Paris
La Maîtrise de Paris du CRR de Paris
Le Jeune Chœur de Paris du CRR de Paris
Chœur de l'Orchestre de Paris
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Orchestre du Conservatoire de Paris
Orchestre de Paris
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Richard Wilberforce, chef de choeur
Edwige Parat, cheffe de choeur
Rémi Aguirre Zubiri, chef de choeur associé
Edwin Baudo, chef de choeur associé
Désirée Pannetier, cheffe de choeur associée
Béatrice Warcollier, cheffe de choeur associée
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Daniel Harding , direction
Je n'avais jamais vu, depuis les débuts de la Philharmonie, un concert
qui
reste affiché complet pendant des
mois. Au sein d'un remplissage globalement plus difficile, cette
saison les concerts se sont vraiment polarisés, avec Boston vide au
tiers mais Stockhausen et Mahler 8 pleins dès le premier jour
d'ouverture des réservations, et sans aucun retour de place pendant des
mois, quasiment jusqu'à la date du concert !
On profite à plein (si l'on est bien placé) des
qualités de la salle Pierre Boulez :
l'ampleur douce qui saisit d'emblée, grâce aux balcons-nuages qui
laissent le son remonter par devant et par derrière, c'est une
expérience physique assez exceptionnelle.
Pour autant, je me fais la même réflexion à chaque fois pour les très
grandes œuvres de ce type : on a besoin du
concert pour en ressentir l'
impact physique, mais on a aussi
grand besoin du
disque pour
entendre précisément ce qui s'y
passe – avec toutes ces informations sonores et ce volume, le détail
finit par se brouiller, si bien que l'on entend surtout la mélodie et
quelques motifs épars, très loin de la richesse réelle de l'écriture.
Au disque, on se rend compte qu'il manque la sensation d'ampleur
titanesque, les différences d'échelle entre
pianissimi d'un fragment
d'orchestre et
fortissimi des
tutti, mais en salle, il faut
bien admettre qu'on n'entend pas très bien le détail de ce qui se passe
; et vu la densité en motifs, assez complexe, de cette Huitième, on ne
peut vraiment pas comprendre sa construction sans un passage par
l'étude ou par le disque. Paradoxe difficile à intégrer
émotionnellement.
Très belle
interprétation lumineuse,
en particulier du Prélude de la seconde partie, parfaitement étagé,
très intensément habité. Le choix de chœurs amateurs permet d'éviter
d'écraser l'orchestre sous des harmoniques de solistes, et de proposer
un fondu doux que je trouve toujours très convaincant. On perçoit
toutefois la différence entre le
Chœur de l'Orchestre de Paris
(aux couleurs limpides) et la fusion de cette formation avec le
Jeune Chœur de Paris, formé
d'étudiants au CRR de Paris, dont les voix ne sont pas pleinement
développés – les timbres sont plus ternes et opaques (on entend que ça
pousse un peu chez les ténors) et la diction moins nette qu'à
l'accoutumée. Pour autant, vu l'ampleur de l'œuvre, le choix de voix
pas totalement charpentées est un excellent choix d'équilibre.
Impressionné par ailleurs par
Jamie
Barton (alto 1 & Samaritaine) et
Christopher Maltman (Pater
Ecstaticus)
qui se font aisément entendre dans cette
salle défavorable, et environnés de ces masses orchestrales et
chorales.
Rêveries – Passions
Un spectateur qui venait pour la première fois (mené par une amie très
informée sur l'œuvre et la production) se met, tout joyeux, à entonner
un chant de stade pendant les saluts. Et je me prends à rêver :
j'aimerais beaucoup entendre, sur le modèle des ländler mahlériens, un
compositeur construire
une grande
symphonie épique à partir de motifs tirés de Gloria Gaynor, de
Nous sommes les Bordelais ou de
Les Marseillais, on va les ***… Ce
serait à coup sûr très réjouissant – et la matière simple et
reconnaissable permettrait de produire quelque chose de très personnel
et ambitieux.
Je n'ai pas les moyens compositionnels pour composer une symphonie de
Mahler, mais si un jour cela advient, je suis assez motivé par la
démarche !
(Sinon, plus prévisiblement, je me suis pris à rêver, pendant le
concert, d'une version à
un par
partie, où l'on pourrait bien mieux entendre les différentes
composantes de chaque ensemble, tout en conservant un effet de masse
non négligeable ! Mais je suppose qu'il ne faut y voir qu'une des
nombreuses marques de la perversion de mon esprit malade.)