Diaire sur sol

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jeudi 29 mai 2008

Concours Reine Elisabeth 2008 - XV - le palmarès et le point

Le palmarès et les conclusions se trouvent sur CSS.

Concours Reine Elisabeth 2008 - XIV - Michèle Losier

Demi-finale avec piano

Et à nouveau Michèle Losier (mezzo-soprano central). Un peu sombre pour de la mélodie française, mais quel plaisir ! La diction n'est pas mauvaise, l'expression vraiment soignée, et la voix totalement maîtrisée, pleine, sans aspérités dommageables ni cris. Une belle plénitude, les sons sont superbement soutenus. On sent aussi déjà beaucoup de métier.

Son Schubert (Du bist die Ruh') est vraiment à pleurer, tout y est : couleur, ton, sûreté vocale, diction, qualité de l'allemand, expression.

Très belle interpétation de la commande du concours. On ne comprend pas plus que les autres ce qu'elle dit, mais sans partition, avec beaucoup d'abandon et de rigueur, une voix chaleureuse, beaucoup d'intensité dans l'expression, on se régale (la pièce est vraiment belle, en plus, et beaucoup n'en ont pas profité).

La berceuse de Montsalvatge, dans un espagnol correct, est d'une volupté lascive tout à fait étonnante, qui transcende franchement la pièce sympathique initiale. Et une densité dans les poitrinés admirables. Il faut comparer ça à la version Bartoli pour ce faire une idée de l'abîme de caractérisation qui les sépare ici...

Les aigus sont plus poussés dans Bellini, un peu cassants et durs, et il est vrai qu'il s'agit d'un mezzo avec une extension aiguë limitée. On songe, pour les poitrinés en italien, à Larmore, côté timbre. On la sent aussi moins à son aise avec le style (et les aigus difficiles peuvent être abrégés).
Résultat largement convaincant même ici, cela dit.
La cabalette a un impact assez fou, beaucoup d'arrogance, et le jeu de scène fascine...

Dans la Romance à l'Etoile, outre la qualité de timbre déjà décrite, la qualité du diminuendo-morendo, les pianissimi totalement timbrés sont très impressionnants. L'attitude contemplative, sur scène, se montre toujours juste.

Le monologue du Komponist est peut-être ce qui semble le moins soigné vocalement, s'appuyant essentiellement sur des déplacements scéniques et multipliant inutilement les difficultés dans l'aigu pour elle.
... avec un résultat qui reste assez convaincant.

Une canadienne francophone, mais qui parle parfaitement anglais et a sûrement étudié avec des professeurs de technique américaine, en réalité, ce qui expliquerait bien des choses : cette technique très pleine, avec articulation un peu en arrière, un français tout de même très bon mais un peu en arrière.

Une valeur sûre que je serais ravi d'entendre en récital ou dans un grand rôle. Un superbe récital, déjà ici.

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Finale avec orchestre

(Visionnée avant la demi-finale.)

En train de visionner la prestation de Michèle Losier. Voix très construite, un peu artificielle peut-être, on perd donc en diction en français, mais des possibilités très intéressantes. Ce qu'est en train de confirmer son excellent Mahler à présent (c'était l'épreuve finale avec orchestre). Très expressive scéniquement.

Juste après son Ravel, je vous recommande les commentaires lorsqu'on la voit en coulisses :

LA DAME
Ca va ?
ELLE, se jetant sur les mouchoirs ...
LA DAME
Il faut arrêter de pleurer, ma grande...
LE MONSIEUR
Ben oui !
LA DAME
Il faut arrêter de pleurer sur scène, parce qu'après il y a le nez qui coule.


... et la voilà repartie pour chanter Mahler.


Dans Mahler, c'est justement très équilibré, très construit comme voix, superbes poitrinés, allemand parfait, expression précise, grande tenue. On aime beaucoup beaucoup par chez nous.


Très beau programme au passage : deux Shéhérazade (Ravel), deux Fahrenden (Mahler), et Parto de la Clémence...


Et pour Mozart, au contraire, moins de feu et de mordant, un italien perfectible, une conviction moindre. Mais tout de même, avec une couleur un peu germanique, une très belle incarnation bien équilibrée et dense.

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De très loin l'interprète la plus intéressante pour nous, au-dessus d'un niveau de concours, une artiste pleinement accomplie. Elle a déjà chanté un certain nombre de rôles sur scène, donc quelques premiers (Dorabella au début des années 2000 à Mérignac-près-Bordeaux, Lazuli de L'Etoile de Chabrier à Montréal).
Tout y est, et avec naturel : densité du timbre, équilibre vocal, intelligence des phrasés, qualité linguistique, persuasion de l'interprétation, maintien scénique.

On a réécouté par deux fois ses deux récitals, avec un enchantement toujours croissant.

Concours Reine Elisabeth 2008 - XIII - Layla Claire

Demi-finale avec piano

On y constate la même densité de timbre qu'en finale, avec une présence vocale impressionnante, et beaucoup d'émotion dans le Pétrarque imposé de Wim Henderickx.

Son Debussy n'est pas très idiomatique, et chanté un peu large et lyrique, comme on pouvait s'y attendre, mais le résultat demeure très esthétique.

Très beau Strauss pudique, avec un allemand un peu opaque également.

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Finale avec piano

Layla Claire (soprano lyrique) à présent. Sans doute une déformation perverse de ma part, mais à la vue de son programme, je songe vraiment qu'une finale avec piano, si j'exclus le plaisir pour l'auditeur d'entendre Kazushi Ono, ce qui constitue toujours un privilège, aurait été plus intéressante en termes de pièces choisies et d'étalon pour l'interprétation.

Surtout que vu l'ampleur de sonorisation, on ne cherche pas particulièrement à jauger leur façon de passer l'orchestre. [Addendum : Laurent signale que si, quand même.

Belle voix bien équilibrée, assez chaleureuse, mais l'aigu est d'une qualité moindre, se file un peu ; ça n'a rien de gênant ni de rédhibitoire, mais ça vous plombe l'avis d'un jury comme un rien.

L'air de Fiordiligi est absolument impeccable, mais il est tellement joué qu'il est difficile de s'y imposer comme unique. Surtout qu'un petit aigu tiré, une respiration avant le dernier mot sont le genre de chose que retiennent des professionnel du chant, je le crains - alors que ça n'a à peu près aucun intérêt, puisque la technique est là pour soutenir une prestation, et non pas objet d'intérêt en soi.


... grand Dieu, ces lieder de Strauss orchestrés, quel sirop, j'en suis marri à chaque fois, alors que les originaux pour piano sont souvent très réussis. Et effectivement, c'est chanté comme une aria.

Après l'air extrait de Peter Grimes qui change un peu des programmes habituels, on a droit à la sempiternelle valse de Juliette, qui met très en valeur les voix et ne permet guère de se faire une opinion : toute jolie voix y donne de beaux résultats.
Ici, on peut admirer un très beau médium légèrement corsé pour un soprano lyrique, avec de belles couleurs ocre-orangé. Quelques tendances au legato-glissando ici ou là.
Résultat d'une volupté assez remarquable.

(La pauvrette manque tous ses suraigus à la fin... elle hésite à faire le dernier, très exposé, et se prend les pieds dans le tapis, n'atteint même pas la note et descend en glissando jusqu'à la dernière note qu'elle trouve tout de même sans difficulté.)

Sur le strict plan de la densité du timbre, une des toutes meilleures candidates, vraiment agréablement charnu, et avec mesure. Côté l'interprétation, pas follement engagé, mais tout à fait suffisant.