Après la télédiffusion des représentations de Caen de ce saint Alexis, puis l'exécution à Paris, CSS, à défaut de disposer du temps de rédiger un produit finit, propose quelques pistes sur DSS.

L'oeuvre
  • Répété partout, seulement des contre-ténors dans tous les rôles, y compris féminins, à l'exception du père et du diable.
    • (Ce qui est authentique sur le plan de la « vraisemblance sexuelle » ne l'est pas sur celui de la nature vocale, puisqu'il s'agissait à l'origine de castrats, pour pallier l'interdiction de la participation des femmes au rite scénique religieux à Rome.) Voir CSS pour la distinction.
      • Un accroc dans la réclame, fondée ici essentiellement sur l'authenticité.
  • Musique très décriée. Il est vrai que Landi module très peu, très peu de variations de couleurs, avec sur la longueur un risque d'uniformité du récitatif d'une simplicité proche de la psalmodie. L'intérêt est ailleurs - on se situe dans la perspective de l'esthétique florentine de Peri et Cavalieri. Du texte brut mis en animation musicale.
    • A titre individuel, CSS, lorsque la chose est habitée, se déclare tout à fait satisfait. Ce fut le cas, William Christie et Benjamin Lazar nous ayant très agréablement surpris. [Au passage, on peut recommander la Rappresentazione d'Anima et di Corpo de Cavalieri par Christina Pluhar - et ses couleurs orchestrales comme d'habitude hors du commun.]
  • Très beaux trios d’affliction au début du III. Petits pas de danse avec objets allégoriques. Tout cela plus chatoyant que la moyenne de la pièce.
  • Démon convoqué dans des scènes de nature comique - bien qu'il ne soit, comme il se doit, jamais mis en doute, que la convention théâtrale ne se déchire jamais. Cet humour demeure donc dans le cadre prétendument mimétique du drame - pas de mise en doute de l'instance qui met en scène, on n'est pas chez Cervantes (encore que dans son théâtre, il n'en aille pas nécessairement de même que dans le Quichotte).
    • Humour qui consiste ou dans la bouffonnerie des valets, ou dans les jeux de mots présents dans les scènes de non-reconnaissance du démon - qui ne peut, comme on le souhaiterait pour plus de drôlerie, être finalement mis en déroute - il faut édifier.

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Le livret
  • Recherche d'un bonheur éternel somme toute égoïste (Alessio balance en effet entre le secours porté aux siens et la perte de tous ses efforts pour obtenir le Ciel) qui plombe l'ici-bas (et ses autres habitants). Grande cruauté qui se sent d'autant mieux avec la littéralité assumée de la mise en scène.
    • Ce tout ou rien, ces sacrifices toujours augmentés par l'interdiction du recul d'un pas qui ferait perdre tout le bénéfice ; la doctrine de Brand se retrouve ici. (cf. Brand sur CSS)
      • Même perception de la religion où l’enfer est partout pour le saint (pas pour les autres), jusqu’à l’absurdité de la quête horrible, destructrice pour tous, et impossible en fin de compte. Donc un paradis, peut-être, sans doute, mais un leurre car inacessible. Et même pas le droit de se plaindre du côté de la famille, le Ciel leur ferme la bouche – sont finalement virés de scène pour ne pas gâcher le ballet.
      • Cruauté épouvantable dont on n'a pas tant l'habitude à l'opéra, surtout lorsque les divinités sont en jeu. Quasiment de l'Euripide, ces interventions malignes de la Divinité.

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Interprétation
  • Mise en scène à la façon de tableaux grâce à l'éclairage à la bougie. Gestuelle totalement statique de l'Italique XVIIe.
    • D'abord surprenant ou gauche, assez fascinant en fin de compte, avec ces gestes-ponctuation, et cet esthétisme.
    • Jeux du décor avec les fenêtres où paraissent les personnages au I et au II, très heureux.
  • Pourquoi les anges chantent-ils surnaturellement mal ? (réaction à la voix d'enfant...) Sinon, linguistiquement parlant, plutôt bien pour un petit français.
  • Parmi tous les exécutants, saluons :
    • Xavier Sabata (la mère), pour sa voix exceptionnellement ronde pour un falsettiste, une plénitude à elle toute seule - et une bonne expression.
    • Max Emanuel Cencic (l'épouse), très à l'aise en costume travesti, avec en particulier de beaux graves mats.
    • Alain Buet [notre Corésus !] (le père), toujours cette autorité pleine de simplicité. Et cette voix légèrement sèche si naturelle, si spontanée, cette interprétation soignée. Bon acteur de surcroît.
    • Et le tenant du rôle-titre, Philippe Jaroussky, qui tout en occupant le registre de pureté éthérée un peu uniforme qu'on attend de lui, soutient l'attention par sa musicalité. On aurait peut-être pu confier ce rôle à un chanteur plus « problématique » pour plus de recherche, mais dans ce registre littéral, le choix paraît cohérent, et de toute façon abouti.
    • William Christie et les Arts Florissants sonnent, sans diversité particulière de couleurs non plus, sans l'ascétisme qu'ils traînent parfois chez les Italiens.

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Paradoxe du spectacle
  • Décalage intéressant (et frappant) de la Foi qui explique doctement que sur terre ne se trouvent que peines (destinées à éprouver en vue du Ciel, interprétation qui peut être analysée comme biaisée des Textes, puisque la Création ne se fait pas en vue de ce processus). Intéressant, car décalage de ce propos de la Foi, dans un festival où plus personne n'y croit, mais où l'on vient précisément prendre du plaisir très temporel...

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CSS a donc fort aimé, en grande partie grâce à la fascination exercée par les tableaux vivants, dignes de La Tour, confectionnés par Benjamin Lazar. L'oeuvre en elle-même se devait impérativement d'être soutenue par un plateau de cette qualité - et fonctionnait très bien en l'occurrence.

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