mercredi 24 avril 2024
Bruckner – Symphonie n°8 – OP, Blomstedt
Par DavidLeMarrec, mercredi 24 avril 2024 à 22:14 :: In vivo
Très bon choix de ma part, déchiffrer aujourd'hui cette symphonie, la seule que je n'aime toujours pas vraiment dans le corpus brucknérien. Je lui ai toujours trouvé un côté Glass triste, avec ses grandes boucles déprimées, et une harmonie peu joyeuse qui m'évoque l'effet dégrisant que je ressens souvent chez Bach – ressenti très minoritaire au demeurant, beaucoup de monde trouve Bach motorique et jubilatoire, tandis que je le perçois de façon souvent oppressante.
Pour autant, une fois immergé dans sa logique propre, je me déclare fasciné par l'économie des motifs, la réutilisation des carrures binaire + ternaire déjà à l'œuvre dans le premier mouvement de la Quatrième, et surtout je comprends le respect dont elle jouit : ces modulations permanentes, passant par toutes les tonalités les plus éloignées.... le rythme demeure identique, mais la tension et les atmosphères varient sans cesse, en errant parmi toutes les relations harmoniques possibles, telle une improvisation échevelée, érudite, démiurgique. (J'imagine, à la lecture, que malgré leur aspect très formel, ces symphonies doivent beaucoup à des improvisations préalables.)
Me voilà donc devenu un adepte du premier mouvement ; un peu moins de l'Adagio, tout de même particulièrement disert, pour un climax qui évoque, avec moins de panache, celui de l'Adagio de la Septième.
Mieux encore, le Scherzo a fini par m'intéresser ; pas son thème ressassé, mais sa partie subséquente, qui part véritablement dans le décor, avec des emprunts harmoniques qui sonnent très XXe siècle ; et pour son trio, avec sa marche d'atmosphère médiévale et sa progression vers un climax autonome, très réussie.
Quant au Final, ma foi, il faudrait que je le joue d'abord pour mieux pouvoir le suivre.
J'ai en revanche été moins subjugué par la proposition interprétative : approche très continue et lissée du discours brucknérien, gommant les ruptures et les aspérités, et même, à mon gré, plutôt molle dans le Scherzo et l'Adagio. Moins abouti que lors des précédents passages de Blomstedt avec ce même orchestre (il est vrai que j'y vais d'ordinaire plutôt le second soir, qui a bénéficié de davantage de répétitions) ou de leurs Bruckner avec Inbal, bien plus souterrainement animés.
Pour autant, je suis fasciné par la façon dont, sans sembler rien indiquer, Blomstedt métamorphose immédiatement le son de l'Orchestre de Paris, rond et sombre comme un grand orchestre allemand (on croirait entendre Dresde ou Leipzig !). [C'est au demeurant l'une des qualités de cet orchestre de mauvaises têtes, être capable de transfigurer son son selon les désirs des chefs.] Cordes particulièrement belles dans les quelques chorals qui leur sont dévolues. (Et je suis toujours tellement admiratif des cordistes qui viennent à bout d'1h20 de trémolos ininterrompus dans Bruckner. Le coût en tendinites doit être assez élevé.)
Belle expérience pour la découverte de l'oeuvre, et à défaut d'une interprétation complètement souveraine, le plaisir simple de partager cette communion collective avec ce qui doit être, vu son rapide déclin physique, l'une des dernières apparitions parisiennes de l'excellent Herbert Blomstedt - à qui l'on doit déjà tant !
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