Concert sur sol n°116, Philharmonie de Paris.

Expérience singulière, qui appelle des commentaires de nature un peu différente de l’ordinaire.

J’ai finalement peu entendu la Missa solemnis de Beethoven en salle – alors même que je la tiens, après les Méditations pour le Carême de Charpentier, pour la plus incroyable œuvre de musique sacrée jamais écrite. (C’est la troisième fois, je crois ; la première étant une proposition particulièrement différente, Colin Davis avec le LSO, à Pleyel ; et la deuxième avec Jacobs, les Baroqueux de Fribourg et le RIAS-Kammerchor, très vivant mais chœur qui a perdu de sa singularité, plus gris et pâteux qu'à la fin des années 90.)

Je reste, à l’issue de cette soirée, absolument fasciné par la capacité d’inflation et de surenchère de l’écriture beethovenienne en cette instance : la fin du Gloria est à ce titre vertigineuse, les phrases conclusives et les relances s’enchaînent, la matière continue de se renouveler et la tension de s’accroître, comme si l’on était enfermé dans une suite infinie de codas de codas successives.

Ce soir, version sur instruments d’époque (avec le grand contrebasson tout droit qui monte vers le Ciel) par le Cercle de l’Harmonie et un jeune choeur (de défiscalisation ?), l’Audi Jugendchorakademie, où chaque femme porte un collier constitué de vastes anneaux caractéristiques. De belles voix jeunes, un orchestre réputé pour son ardeur et son mordant, un quatuor de solistes assez idéal (Chen Reiss, Varduhi Abrahamyan, Daniel Behle, Tareq Nazmi), très solide, clairement énoncé, très bien projeté – on entend particulièrement bien Abrahamyan, sans qu’elle doive outrer des poitrinés !

Le résultat cependant a été vécu, de mon côté, plus étrangement : on entend mal.

Je connais les pièges de la Philharmonie avec les instruments d’époque : tout paraît faible et lointain lorsqu’on s’installe aux balcons habituels, et j’ai donc opté pour la stratégie d’ordinaire payante (Campra par les Arts Florissants, Elias par Pygmalion...) : le parterre.
Peut-être étais-je trop centré, sans l’aide des murs latéraux, mais les instruments étaient comme absorbés par la salle. On les voyait tout jouer avec ardeur, mais le chœur (pourtant des voix assez claires) couvrait largement l'orchestre, et le son s’échappait loin de moi.

Je plissais les yeux dans l’espoir de mieux entendre, mais les grands traits du Gloria, les volutes du Credo furent largement perdus pour moi – je les ai devinés plus qu’entendus, et moins bien perçus, en réalité, qu’au disque. En revanche, pour moi qui tendait à penser qu'une fois le Credo achevé – à part le petit sursaut inattendu d'évocation martiale dans l'Agnus Dei –, l'essentiel était dit… ce fut l'occasion de réévaluer radicalement le Sanctus et le Benedictus, dont l'écriture plus apaisée, en accords durables, permettait enfin de profiter des couleurs incroyables de l'orchestre. (L'introduction instrumentale du Sanctus fut le plus grand moment de la soirée.)

Ce fut donc une frustration – à l'issue d'ne journée où j'ai dû courir à travers la campagne pour m'assurer d'être à l'heure au concert sans entracte – de me déplacer pour entendre plutôt moins bien qu'au disque… mais comme à quelque chose malheur est bon, aussi l'occasion de m'aiguillonner pour mieux m'attacher et rendre justice aux mouvements où je laisse, d'ordinaire, mon attention se relâcher. Belle leçon qui se prolongera lors des (fréquentes) réécoutes au disque.