Une nouvelle recréation triomphale de la Compagnie de L'Oiseleur : La Tempête d'Alphonse Duvernoy, d'après Shakespeare – les personnages sont les mêmes, mais l'intrigue a été totalement asséchée et ratiboisée par Armand Silvestre et son compère Pierre Berton !
L'oeuvre, pourtant du format d'un opéra, a été présentée sous la dénomination de « poème symphonique » (entendez par là non pas 'symphonie figuraliste', mais plutôt 'opéra à prétention évocatrice'), a remporté le Grand Prix de la Ville de Paris et a été représentée en 1880 au Théâtre du Châtelet.

Sa musique est caractéristique des courants conservateurs de ces années, on y sent audiblement la trace de Verdi, plutôt que de Wagner, dans la conception des mélodies et la nature très traditionnelle des récitatifs et des accompagnements. On entend aussi la filiation de Gounod et en particulier du final de Faust en quelques occurrences. De beaux et amples duos amoureux que je trouve un peu conventionnels, mais aussi des ensembles très impressionnants (notamment un grand trio qui evoque ceux du Vaisseau fantôme). Tout le personnage de Prospero, tout le personnage de Caliban sont fascinants, écrits avec beaucoup de verve et de couleur.

Encore une oeuvre, donc, qui aurait mérité les honneurs de grandes productions, et que sans aucune subvention la Compagnie de L'Oiseleur continue de soutenir, héroïquement, seule.

Par ailleurs le plateau était admirable, quelques-unes des meilleures voix du moment étaient réunis autour d'un Oiseleur en grande forme vocale, comme rajeuni ! – Erminie Blondel, Enguerrand de Hys (sa facilité d'émission, mais aussi sa rigueur musicale, m'impressionnent beaucoup), Olivier Dejean, et mention toute spécialie à Aurélie Ligerot (Ariel) qui déploie à la fois les suraigus ronds et souples de la jeune Damrau, les médiums pulpeux de Rebeka et les poitrinés telluriques de Podleś... le tout sans rupture de registre audible et dans une diction impeccable. Comme c'est une actrice charismatique par ailleurs, il est incroyable que les plus grandes salles ne se jettent pas à ses pieds. Ces recréations sont régulièrement l'occasion de mettre à l'honneur, par la Compagnie, des voix de qualité exceptionnelle qu'on n'entend pas ailleurs (ou qui n'ont pas encore pleinement éclos dans l'écosystème des grandes maisons).

Un autre héros veillait sur la soirée : Romain Vaille, pianiste spécialiste de l'accompagnement des chanteurs... et en effet l'urgence, le lyrisme qu'il imprime à la réduction pour piano seul, combinés avec une très grande rigueur musicale, produisent un résultat particulièrement persuasif !

A cela s'ajoutait le luxe d'un choeur – Fiat Cantus, préparé et dirigé par l'excellent et toujours aventureux Thomas Tacquet-Fabre.

Prochaine étape dans les découvertes de la Compagnie : le 9 octobre, La Conjuration des Fleurs du Prix de Rome Bourgault-Ducoudray, étonnante cantate d'une heure qui représente la campagne électorale des Fleurs qui veulent agir contre le bouleversement climatique ! Chaque végétal y est personnifié avec beaucoup de personnalité et de saveur. Entrée toujours à prix libre pour les petites bourses.