Diaire sur sol

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dimanche 22 octobre 2023

Lohengrin à Bastille (Srebrennikov / Soddy)

Concert sur sol n°23

Lohengrin pour grand orchestre, ça n'a pas trop pris pour moi. Ça souligne tout ce qui est encore bancal dans le Wagner de transition, ces moments un peu tradi-fades au milieu des trouvailles impensables en son temps.

Cependant j'ai été une fois de plus enchanté par les chorals de bois et l'écriture chorale. Le chœur a vraiment fait attention à ne pas crier, même si les barytons et basses sont vraiment ternes – et si la diction reflète clairement le recrutement très international…

Pour le reste, peu à dire, car j'ai surtout été frustré par l'impossibilité, depuis le second balcon de Bastille (et à peu près partout ailleurs de toute façon) de comprendre ce qui était chanté. Ce n'est pas la faute des chanteurs : j'ai déjà entendu Oostrum, Gubanova, Beczała, Koch et K. Youn dans d'autres contextes, ce sont d'excellents diseurs, zéro problème de texte avec eux – et à part Beczała, tous spécialistes de ce répertoire. Je les aime beaucoup, les timbres sont beaux (un peu fatigués hier en fin de série), mais on ne peut pas faire correctement de l'opéra dans cette salle à moins de voix exceptionnelles comme Skelton ou Vogt…

Et je me suis rendu compte pendant la représentation que je l'avais déjà entendu en 2017 (et non seulement 2003 comme je me souvenais) avec un plateau justement exceptionnel – Serafin, Schuster, Skelton, Konieczny, Siwek. Donc réentendre à aussi peu d'intervalle une œuvre que j'ai souvent entendu et jouée, dans des circonstances défavorables, j'ai eu du mal à adhérer, alors même que la soirée était de qualité. (Depuis quelques années, j'essaie d'aller plutôt voir de véritables inédits pour éviter ce syndrome.)

Rien de spécial à dire sur la mise en scène, qui raconte autre chose, mais avec un certain sens de la cohérence scénique : les doubles dansés d'Elsa sont chouettes, l'hôpital de campagne fonctionne bien. Je ne sais pas trop à quoi ça sert (l'auto-hypnose de la note de programme, je ne l'ai pas vue !), mais on peut se concentrer sur l'action et la musique sans trop de parasites.

Carmen renouvelée (mais décapitée)

Concert sur sol n°22.

Il est très rare que je me rende voir et revoir des tubes, d'autant plus d'œuvres qui ne sont pas les plus proches de ma sensibilité – Carmen est un incommensurable chef-d'œuvre, un monument de finesses musicales, d'invention permanente, de puissance évocatrice, sur un sujet vraiment original ; mais pour l'avoir entendu trop jeune (grande section…) dans des conditions peu favorables, je peine à l'entendre sans le filtre un peu négatif de l'espagnolade vulgaire (et des pubes pour détergents).

Il y aura au demeurant prochainement une notule sur le sujet – il existe déjà un podcast : pourquoi Carmen est-il un opéra aussi célèbre ? .

Malgré ma réticence à aller revoir ce type d'œuvre, plusieurs promesses m'ont attiré à Sainte-Croix des Arméniens catholiques (rue Charlot, dans le Marais) : je n'ai vu qu'une seule fois Carmen en concert, et cette fois la proposition avec piano, pour mettre à nu les procédés rythmiques et les audaces harmoniques de Bizet, était fort tentante. D'autant plus que le plateau de jeunes chanteurs disposait de plusieurs atouts, en particulier le Don José de Kaëlig Boché – immense mélodiste –, qui promettait une lecture totalement neuve du rôle.

Je dois d'abord confesser avoir été horrifié lorsque j'ai compris que la « version avec récitant » ne signifiait pas seulement la disparition des dialogues ou récitatifs, mais d'un grand nombre des numéros de l'œuvre ! Tous les chœurs, toutes les sections où apparaissent Morales ou Zuñiga ont disparu – incluant des morceaux du final de l'acte II ! Et ce n'était indiqué nulle part. Ce n'est pas honnête, et pas respectueux des spectateurs. Personne n'a manifesté sa réprobation, et peut-être bien que je suis le seul à vouloir entendre une version qui ne soit pas totalement rabotée du final du II ou du duel, mais ce n'est pas aux organisateurs et artistes d'en juger à ma place : je comprends tout à fait les contraintes pratiques qui conduisent à donner une version coupée, mais je demande simplement à être informé.

Comme je m'y attendais, grand plaisir à entendre la partition fonctionner au piano sous les doigts de Magali Albertini (et à observer son tourneur de page, totalement à fond dans la musique) ; l'exécution n'était pas d'un abandon complet, mais pour avoir mis mes doigts dessus, je sais la difficulté invraisemblable de la partition, sous ses abords grand public. Bizet était réputé pianiste virtuose d'un niveau fulgurant, et l'on constate bien à la lecture des versions réduites de Carmen qu'il ne connaissait manifestation à peu près aucune limite digitale pour entraver son imagination.

Vocalement, je n'ai regretté le détour.

Pas trop aimé Antoine Foulon (Escamillo), encore une voix à haute impédance, ça fait beaucoup d'harmoniques, mais c'est très peu efficace dès que la source du son s'éloigne, ne favorise pas la diction, ne permet pas de varier la couleur – d'autant que la voix est bâtie à partir du grave. Il allège l'aigu, mais on sent la fragilité du procédé. Je ne reviens pas sur mes marottes en matière de technique vocale, mais si ça fait totalement l'affaire pour une version pour piano, ce n'est clairement pas optimal du point de vue de l'auditeur.

Très belle surprise avec Éléonore Pancrazi (Carmen) : je l'avais trouvée merveilleuse diseuse dans des extraits de tragédie en musique, et depuis (Cherubino, Dorabella notamment) j'avais surtout déploré l'émission très ronde, la diction lâche, l'impact limité. Ici au contraire, elle trouve davantage de clarté, déclame avec beaucoup d'intelligence, et possède, pour une si jeune chanteuse, tous les recoins du rôle, gère très habilement les mixtes de poitrine, n'appuie jamais le trait sans chercher à donner la vision d'une Carmen rénovée. J'ai rarement entendu le rôle aussi bien pensé dans chaque phrase, et la voix s'éclaire et se projette très agréablement en français. J'espère qu'elle poursuivra dans cette voie, mais je ne peux m'empêcher de redouter que d'un point de vue pratique, il y ait peu de rôles de mezzos assez importants dans le répertoire courant pour faire une belle carrière sans sacrifier aux répertoires où je l'ai trouvée moins performante.

Erminie Blondel (Micaëla) m'avait beaucoup impressionné en retransmission, et de fait, la voix ample impressionnante pour ce rôle. Sur la durée cependant, certains aigus sont un peu plus difficiles, et la diction se relâche, à cause d'une émission très couverte qui uniformise trop les voyelles et empêche l'émission audible des consonnes. C'est un beau halo, assez glorieux même, mais il y aurait à creuser du côté de la clarté. Proposition inhabituelle et plaisante en Micaëla, quoi qu'il en soit.

Enfin Kaëlig Boché (Don José), un fabuleux mélodiste et la raison principale de mon déplacement. Son don José tient toutes ses promesses : non pas le don José égaré et abattu de Mérimée, ni le don José fauve des grands ténors internationaux (immortalisé par le film de Rosi avec Domingo), mais vraiment le don José d'opéra comique, un garçon rangé et timide qui, séduit et frustré, révèle une personnalité inquiétante, avec des éclats terrifiants – mais des éclats qui se fondent sur le timbre soudain perçant, rien à voir avec les grands aigus tonitruants des titulaires célèbres. À ce titre, la petite mise en espace était très réussie, on y voit Carmen effrayée dès le premier éclat de José, dans la taverne de Pastia à la fin de l'acte II. Personne ne rend mieux que lui la transformation de personnalité et le mordant soudain de ce gentil caporal de garnison très sagement rangé.

Mission accomplie et excellente soirée, donc, avec des interprètes de qualité et une proposition artistique très aboutie – mais la prochaine fois, par respect du public, prévenez que vous jouez une version ultracoupée – s'il vous plaît.