(avec la bémol interpolé)

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Concert sur sol n°52

N'allez jamais avec moi au cinéma : deux fois que j'y vais en 15 ans de vie parisienne. Et à chaque fois, la guigne.

La première fois, à la Cinémathèque Française, je vais voir un incunable de Jacques Rozier. La séance se déroule bien, même si je trouve le film particulièrement mauvais ; mais à la fin de la séance, la dame qui présentait revient à l'avant-scène : « toutes nos excuses, ce n'est pas du tout le film prévu, nous avons manifestement envoyé les rushes à la restauration au lieu du film monté, il faudrait donc tout refaire à nouveau ».

La seconde fois, c'était hier à la Fondation Pathé : Il Fauno di marmo (1920), de Mario Bonnard. L'intrigue est tirée d'un roman de Nathaniel Hawthorne : au début du XXe siècle, une princesse danoise épouse un vieil homme ; celui-ci se fait accuser de complot contre la couronne, et meurt en se débattant pendant l'interpellation. L'héroïne part alors à Rome où elle vit avec son nouveau fiancé et un couple d'amis. Une grande partie de l'intérêt du film réside dans les très belles vues de Rome.

19h31, la séance commence. Une dame vient présenter le film et nous annonce : « la pellicule a été restaurée par la Cineteca Nazionale, mais pas en entier, la partie en Rome en particulier est fortement coupée, on vous a mis le résumé dans un des intertitres ».
Rien qu'ici, c'est cocasse : on nous propose un film dont on a coupé le centre d'intérêt. Mais ce qui est arrivé l'est encore davantage : l'intertitre ne résume pas du tout l'intégralité de ce qui est coupé, et l'on passe sans explication d'une déclaration d'amour dans un jardin romain à une forêt équatoriale peuplée de Tyroliens où un moine franciscain qu'on n'a jamais vu apparaît ; l'héroïne dit le détester mis abandonne immédiatement son fiancée pour le suivre. Plan suivant, on revient à Rome, mais pas du tout dans le jardin initial. Rien n'est expliqué, rien n'est compréhensible.

Vraiment, n'allez pas au cinéma avec moi. Je porte la poisse.

Pour autant, malgré ces manques et les événements peu vraisemblables qui s'enchaînent – le meurtre du moine, croisé dans la rue de la roche tarpéienne, souhaité dans l'instant par l'héroïne et réalisé sans réflexion par le peintre, sans aucun lien avec leurs personnages et tempéraments exposés durant tout le film… –, film assez réjouissant, qui montre de très belles images de Rome, de la campagne italienne, de châteaux médiévaux aménagés… Et des situations assez originales, puisque absolument pas vraisemblables ni cohérentes.

Le titre n'est jamais expliqué, il y a bien un portrait du nouveau fiancé en faune, mais le plan dure quelques secondes et il y a des copeaux de bois partout…

Accompagnement tout en accords debussystes par Mathieu Lecoq (ancien élève de la classe de Jean-François Zygel au CNSM, comme pour tous les films de la Fondation Pathé), qui a la particularité de toujours improviser au piano et en même temps au violoncelle – il le tient entre ses jambes devant son clavier, et joue du violoncelle sur la résonance du piano grâce à la pédale forte ou simplement de la main gauche au piano, tandis que l'archet actionne une corde à vide de la main droite. Joli tour de force très astucieux que je l'ai déjà vu pratiquer plusieurs fois. Et belles idées musicales, avec le parti pris de seconder le film et de s'effacer derrière lui, créant l'atmosphère et la tension, mais ne cherchant à pas à créer des événements, des ruptures, à souligner des éléments visuels ou à jouer avec l'auditeur-spectateur.