Diaire sur sol

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mercredi 20 mars 2024

Opéra de Paris 2024-2025

Lu la saison de l'Opéra de Paris.

Comme annoncé par Neef, dont je loue la franchise, saison tiroir-caisse. On veut faire du 100% de remplissage. Essentiellement du XIXe siècle, italien (et plutôt du Donizetti-Bellini-Verdi que du Ponchielli-Puccini-Leoncavallo), avec un peu de Gounod et de Wagner. Je crois que la seule découverte que puisse faire, c'est le Dante de Dusapin, que je serai ravi de voir.

Et en ballet, l'occasion de voir Mayerling que j'avais raté. Des ballets narratifs neufs avec une chorégraphie un peu dramatique et une musique de qualité, ça ne court pas les foyers. Et surtout, Sylvia de Delibes, enfin un ballet du répertoire avec une belle musique qui va pouvoir revivre !

Très belles distributions dans l'ensemble (vraiment en hausse, ils ont mis l'argent là-dessus plutôt que sur les salles vides pour des titres originaux), mais mon attention est surtout attirée par les chefs : Battistoni, Hindoyan, Manacorda, Heras-Casado, Villaume, Pidò, Nagano, Currentzis… ça faisait longtemps – jamais, pour ma part ! – qu'on n'avait pas vu un tel défilé de gens aussi capables, capés et singuliers. (Et les autres ne sont pas n'importe qui non plus, très solides : Young, Rizzi…)

dimanche 3 mars 2024

Lockrem Johnson – Une lettre pour Emily Dickinson / Debussy – La Chute de la Maison Usher

Concert sur sol n°88.

La Compagnie Winterreise d'Olivier Dhénin Hữu reprenait sa Chute de la Maison Usher dont j'ai déjà parlé lors de sa création à L'Arlequin à Paris, mais cette fois couplé avec un opéra inconnu du compositeur américain Lockrem Johnson, consacré à Emily Dickinson (une création de 1951).

L'histoire n'est évidemment que très peu spectaculaire : Emily Dickinson est méprisée par son père, qui ne voit en elle qu'un supplétif de ménage et de cuisine aux aptitudes littéraires inexistantes. Elle attend la visite d'un prestigieux colonel, homme de littérature, mais en fin de compte celui-ci lui propose en filigrane le mariage tout en laissant entendre que ses qualités poétiques ne sont pas évidentes. L'idée du livret est d'expliquer par là la réclusion d'Emily Dickinson, qui n'essaie plus de se faire publier et n'écrit plus que pour elle-même, demandant à sa sœur Lavinia de brûler ses papiers à sa mort.

Langage musical simple, pas très contrasté, ça danse légèrement, on reste dans les mêmes couleurs de la conversation en musique de la génération Damase (mais avec beaucoup moins de lyrisme et d'esprit que Damase).

Surtout, la traduction française est catastrophique : une fois mise en musique, la prosodie en est incompatible avec langue française. « Absorbé par ses DOssiers, il n'aime que MON pain, auJOURdh'ui, réVEILlé, COU-OUsu »… on se croirait dans un son de La Fouine. (Je serais prêt à travailler bénévolement pour rectifier ça…)
Je n'ai rien contre cette prosodie-là dans un contexte esthétique cohérent, mais à l'opéra pour évoquer une jeune femme bien rangée des communautés puritaines du Massachussets, ça ne fonctionne pas bien.

Dans le même registre, perplexe sur l'idée qu'elle accueille seule un homme qu'elle ne connaît pas, et dans cette mise en scène dans une robe blanche à traîne qui est presque une robe de mariée. Très étrange.

Pour autant, je suis très content de découvrir cette œuvre dont je n'avais aucune idée, même si elle ne me bouleverse pas vraiment.

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Après ces 35 minutes, retour à la proposition d'une Chute de la Maison Usher la plus complète possible, qui fonctionne vraiment très bien.

Je suis frappé de penser combien les compositeurs ultérieurs ont cherché à imiter Pelléas alors que Debussy lui-même était parti tout autre chose, au fil des livrets choisis. Usher est infiniment plus sombre. J'y trouve beaucoup moins de belles idées musicales (et les parties avec Madeline ou Roderick sont assez monochromes), mais les deux duos entre l'Ami et le Médecin ont vraiment quelque chose de très réussi dans leur étrangeté.

Insertion des Proses Lyriques de Debussy (vraiment assez différentes), de pièces pour piano (Préludes, Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon…) mais surtout de Ce qu'a vu le vent d'Ouest, qui sert de soutien en forme de mélodrame à toute la fin (la lecture de l'ami, la découverte de l'enterrement de Madeline, l'effondrement de la maison), avec une progression pendant l'orage assez incroyable, et qui s'attelle parfaitement à la fin écrite par Debussy (une dizaine de secondes seulement). La proposition la plus frappante à ce jouer pour restituer cet opéra inachevé – à moins de recomposer carrément ce qui manque, comme l'a brillamment fait Robert Orledge, dans l'exact même style que le reste de l'œuvre !

Le film d'Olivier Dhénin Hữu, simultanément projeté en transparence, permet aussi de compenser la lenteur de l'action par des images assez poétiques des interactions entre les personnages filmées dans les splendides espaces du lycée Jacques Decour (et au Bois de Vincennes).

Parmi les (excellents) artistes Olivier Gourdy et Bastien Rimondi merveilleux comme d'habitude, et Emmanuel Christien d'une aisance folle au piano.

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Soirée follement ambitieuse, et passionnante à tout point de vue – au Théâtre Watteau de Nogent-sur-Marne, où Olivier Dhénin Hữu est actuellement en résidence. Compagnie à surveiller.

Sonates violoncelle-piano de Cras, Ferroud, Soulage – Siranossian, Gouin

Concert sur sol n°86.

Quelle satisfaction d'entendre enfin la Sonate de Jean Cras en concert ! Le versant le plus romantique de Cras, très lyrique, avec une structure pas toujours évidente à saisir – c'est d'ailleurs l'œuvre qui, à la sortie, avait le moins touché le public – et peut-être moi aussi, mais seulement en comparaison avec les autres bijoux, eux inédits, présentés ce soir-là !

Pierre-Octave Ferroud est toujours là où on ne l'attend pas, avec une proposition qui tire davantage vers une forme de néoclassicisme étrange que vers le futurisme motorique de sa Symphonie en la, ou vers l'atonalité très personnelle de Chirurgie (il faudra que je parle un jour de mon déchiffrage de cette chose…). Œuvre tirée du récent legs de la famille Ferroud à la Bibliothèque La Grange – Fleuret qui organisait le concert.

Marcelle Soulage est la révélation de la soirée, une élève de Nadia Boulanger. D'emblée un emportement généreux et lisible, avec un très beau geste affirmatif pour présenter son premier thème, puis une berceuse qui débute transparente en quartes à vide mais s'anime beaucoup au fil de la progression, un final façon boogie-woogie (mais Suicide in an Airplane de Leo Ornstein n'est pas si loin, dans les moyens compositionnels).

Très beau duo de musiciens – j'étais en particulier ravi d'entendre enfin Nathanaël Gouin dont le disque d'arrangements pour piano d'œuvres de Bizet m'avait beaucoup marqué non seulement pas son contenu, mais aussi par son aisance pianistique.

Canticles de Britten avec Allan Clayton

Concert sur sol n°84.

Je ne suis pas un fanatique de l'œuvre, typiquement dans la prosodie un peu grise et l'harmonie errante (assez peu tonifiante) typique de Britten… mais superbe atmosphère nocturne avec quelques lumières ponctuelles sur scène (façon bougies), et Allan Clayton est un diseur exceptionnelle, assouplissant sa vaste voix pour l'intimité du moment, tout en conservant son fruité et son autorité. Le premier Canticle (sur Francis Quarles) est donc en bonne logique mon chouchou.

Le deuxième (le dialogue entre Isaac et Abram) aussi me plaît beaucoup, mais je suis un peu mal à l'aise avec la rhétorique de l'adulte abuseur qui demande simultanément pardon – je suis encore trop marqué par le rapport de la CIASE, et les biographies évoquent l'attirance de Britten (non assouvie d'après ce que l'on en sait actuellement, mais dans ces affaires, on ne sait pas avant que de savoir) pour les enfants, si bien que mon esprit est un peu trop accaparé par des raisonnements défensifs pour profiter pleinement de l'œuvre.

Très belle expérience proposée, une fois de plus, par l'Athénée : à chaque fois des programmes originaux pour les lundis musicaux, mais cette fois c'est en plus un programme qui dépasse la cohérence, un témoignage complet et total, avec scénographie (et même déclamation britannique des poèmes). Je crois que la programmation en est resté confiée à Alphonse Cemin, et l'excellence ne s'en dément pas, s'approfondit même au fil des saisons.

Emilie Mayer, Symphonie n°1 par Insula Orchestra

Concert sur sol n°85

Surtout séduit par les mouvements extrêmes. L'œuvre gagne à être entendue – plutôt que dans les disques CPO un peu tradis – avec le relief des instruments anciens. Ce n'est pas un chef-d'œuvre absolu, mais de belles idées (malgré un peu trop de solos et doublures de flûte…), voilà qui renouvelle l'écoute – et documente la première femme à avoir vécu de l'argent des concerts de ses œuvres (si l'on excepte les compositrices interprètes comme Clara Wieck-Schumann).

J'ai aussi été très frappé par la Quatrième de Schubert vue par Laurence Equilbey : au lieu de travailler surtout l'élément mélodique comme c'est souvent le cas dans cette symphonie, elle propose une lecture beaucoup plus dramatique, verticale (un peu dans l'esprit de la Cinquième de Beethoven par Les Siècles & Roth). On y sent davantage la filiation de Gluck que la préfiguration de Brahms, et c'est vraiment pour le meilleur, soudain la symphonie mérite son surnom et gagne en intensité, en cinétique… je ne me rappelle pas l'avoir autant aimée que ce soir !