Lili Boulanger, Psaume 24 ; Bruckner 6 – OPRF, Gražinytė-Tyla
Par DavidLeMarrec, mardi 30 avril 2024 à 10:54 :: In vivo :: #404 :: rss
Première occasion pour moi d'entendre Mirga Gražinytė-Tyla – dont l'image publique est très positive, elle paraît tellement sympathique qu'on a envie de suivre son parcours. Au disque, je n'ai jusqu'ici pas été saisi, d'abord parce qu'elle a privilégié des œuvres qui ne me touchent pas directement, y compris dans les raretés enregistrées pour Deutsche Grammophon (Troilus and Cressida de Walton, Symphonies de Weinberg…), mais aussi pour un caractère un peu plat du son, un peu neutre du rendu émotionnel. Qu'en penserais-je en salle ?
C'était une belle occasion, en compagnie du Philharmonique de Radio-France qu'elle connaissait déjà.
D'abord pour le Psaume 24 de Lili Boulanger, sans surprise le meilleur moment de la soirée : ses fanfares archaïsantes (accompagnement du chœur pour cuivres et percussions uniquement), sa veine épique, son verbe péremptoire sont véritablement irrésistibles. J'aurais volontiers signé pour les 129 et 130 qu'elle a aussi mis en musique.
La première partie comprenait aussi Sutartine, un medley de chants traditionnels lituaniens et slaves (dont la chanson reprise par le solo de basson au début du Sacre du Printemps !) de Romualdas Gražinis, le père de la cheffe ; et pour finir le Psaume 150 mis en musique par Bruckner.
Le Chœur de Radio-France a énormément progressé sous Martina Batič et à présent Lionel Sow, il continue d'approfondir des qualités de souplesse et de couleur qui n'étaient vraiment pas ses points forts. Les timbres restent un peu gris (malgré la présence de quantité de solistes aguerris dans ses rangs : Romain Champion, Sébastien Droy, Jean-Manuel Candenot…), mais je me suis rendu compte, par contraste avec le Chœur de Jeunes financé par Audi (!) trois jours plus tôt, que je négligeais un paramètre important pour le comprendre – l'âge. Comme il s'agit d'un chœur en CDI au sein d'une institutions publique, les choristes ne sont pas embauchés à la tâche comme dans la plupart des chœurs – aussi sont-ils vraiment plus âgés que dans la plupart des chœurs du circuit. Beaucoup de chœurs ont une moyenne d'âge dans la trentaine, celui de RF semble plutôt viser la cinquantaine. Et cela joue sur les voix (le vibrato des femmes par exemple, mais pas seulement). C'est une bonne chose pour les artistes, être dans un chœur permanent (dans une maison d'Opéra ou à la Radio) représente l'un des rares postes, pour un chanteur, où l'on peut mener une vie stable et prévisible ; mais c'est une contrainte sur le plan du rendu artistique, les voix évoluent et l'on ne remplace pas les instruments vieillissants.
Considérant cela, je trouve que le niveau démontré lors de cette soirée est tout à leur honneur, beau résultat avec des moyens pourtant plus contraints que la concurrence.
Outre l'aspect particulièrement juvénile de la cheffe (elle a mon âge, mais de dos à la voir marcher vers le podium, on croirait qu'elle a 15 ans), j'ai été frappé par sa gestique de cheffe de chœur, particulièrement suggestive et précise. Je me suis pris à regretter de l'avoir jusqu'ici vue (en vidéo) avec baguette, alors qu'il se passe réellement quelque chose de supplémentaire lorsqu'elle pétrit la matière sonore de ses mains. Et en effet, dans le Psaume comme dans la symphonie, je l'ai trouvée beaucoup plus neutre dans ses indications, une fois la baguette prise en main. (Le résultat était moins probant également.)
Dans le Psaume de Bruckner, le son était vraiment lourd et bouché, difficile d'entendre le détail. Dans la Symphonie, j'ai été séduit par les contrastes proposés par Mirga Gražinytė-Tyla, un Bruckner cinétique mais qui ne refuse pas la discontinuité : la douceur suave des phrases lyriques piani était juxtaposée à des tutti saturés et un peu acides – je ne pense pas que ç'ait été totalement volontaire (le son était vraiment brouillé dans les nuances fortes), mais ce contraste d'un instant à l'autre entre un romantisme visant le sublime et de grandes masses bourrues et antipathiques résumait assez bien l'inspiration de Bruckner,. Le mouvement lent, très soigné et galbé, était par ailleurs très beau.
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