Il est difficile de savoir ce qui est exact ou inventé dans ce récit, mais Alma Werfel apparaît comme une figure haute en couleurs perdue dans un monde qu'elle ne comprend plus.
Elle devait être, incontestablement, plus à l'aise à New York, lorsque paraissaient ses petits recueils de lieder, qu'à marcher dans la forêt. Les femmes d'esprit ne sont pas plus formées à cela que leurs homologues masculins. Parce que Mahler ou Werfel dans une forêt montagneuse ou une montagne forestueuse, ce devait être quelque chose.
" Jeune fille, elle imaginait sacrifier sa vie au bonheur de l'homme qu'elle aimerait; avec Mahler, elle trouva largement l'occasion de donner libre cours à son désir.
C'est bien ce qui se passe en recevant la fameuse lettre goujate. Poverina !
Elle se révolta bien contre sa tyrannie, mais pour admettre au bout de compte que sa dévotion avait reçu sa récompense; car, bien que ses talents musicaux eussent été éclipsés par le génie de son mari et que sa belle jeunesse se fût passée à se soumettre à ses excentricités et à soigner ses maladies, elle ne se sentit jamais de sa vie aussi proche de quelqu'un. En outre, elle eut le privilège de suivre ses symphonies, de la cinquième à la dixième (inachevée), du matin de leur création au soir de la première." (page 227).
Pour le talent éclipsé par le génie (qui reprend les propos de Mahler comme parole d'Evangile - déjà qu'on a bien tendance à secouer ceux-ci, alors Mahler...), on imagine que tout écrivain ne peut pas connaître précisément et évaluer cette production qui est restée confidentielle et jugée mineure par plus averti que soi. Entre mélopathes, c'est différent, on peut aller vérifier.
Sans compter lorsqu'on se prétend biographe. [souriard très méchant qui hoche la tête d'un air désapprobateur]
En revanche, pour le privilège absolu de devoir lire de force les manuscrits de Vater Mahler, on se marre un peu, hein. "Elle a perdu sa vie à faire le garde-malade (mais elle en avait envie), elle a souffert le martyre, mais quelle chance, elle a pu lire les épreuves griffonnées de symphonies qu'elle n'aimait pas." Wahou. Trop du bol.
(Au passage, Mahler revendiquait une certaine indépendance, et Alma souffrait plus de sa distance que de ses problèmes de santé qui l'attendrissaient réellement, il me semble.)
(de mon compte-rendu, bien sûr, pas de Gustav ;-) ) !
Gustav aura déjà suffisamment de quoi s'occuper devant son Créateur, lorsqu'il lui faudra expliquer qu'il a privé l'Humanité d'un de ses principaux génies - Licht in der Nacht, pour reprendre le titre de son premier lied publié, sur un poème de Dehmel.
Pour le reste, je m'en charge.
Merci pour ces réactions rapides et explosives ;-) !!!
A présent que vous revoici, je m'apprête en vous en adresser d'autres, moins rapides mais plus consensuelles. :)
Je ne relirai pas la biographie d'Alma pour le plaisir de répondre à vos commentaires, une fois m'a suffit, même si c'était il y a vingt ans !
C'était son autobiographie, ou une biographie ? Et dans ce second cas, laquelle ?
Parce que celle de Giroud est vraiment un monument de moralisme lamentable, d'après les extraits que j'en ai lus...
Alors, non merci pour la présentation ;-) !
Il se pourrait que vous y soyez exposée quand même. Mes excuses par avance. :)
Quant à Gustav, oui, j'ai bien senti que ce "mauvais goût" était chez vous plus symbolique que réel. Pour qui connait votre esprit facétieux, cela n'est pas "dangereux", mais pour les "autres", je ne peux pas laisser passer ce genre d'expression sans demander des précisions, et voila aussi pourquoi je ne peux pas laisser passer votre provoquant "nabot", qu'il soit à prendre au sens propre (Mahler n'était physiquement pas grand) ou au sens figuré ;-) !
Non, jamais sur le physique. Je voulais parler en envergure musicale comparée, bien sûr. :)
Et ne vous en faites pas, dans les lignes que vous lancez sur la toile, je sais reconnaitre celles que vous appâtez selon mes (mauvais) goûts, et j'y mords toujours avec gourmandise :-) !
Et avec suffisamment de conviction pour combler le pêcheur facétieux. :-)
]]>Un mot ensuite sur Alma Mahler.
Autant vous prévenir immédiatement, vous avancez sur un terrain abondamment miné. Je crois d’ailleurs que vous avez explosé une ou deux fois durant votre parcours. :-)
Certes, Gustav a été aussi « cruel » pour sa femme que son âme l’a été pour lui puisqu’il lui a en effet interdit de composer.
Dans les faits, ça a été en fin de compte plus compliqué puisqu’il savait manifestement qu’elle avait marginalement continué à composer. Mais sa lettre est difficilement qualifiable, en effet, surtout les insinuations sur l’absence d’intérêt de ses compositions qu’il avait à peine lues (ou pas lues du tout). D’autant plus dommage que sa musique à elle est plus géniale que la sienne à lui… L’ego de Mahler, d’une structure assez semblable à ses symphonies, nous a privé d’un compositeur majeur du premier vingtième. Cela, l’Histoire le lui pardonnera peut-être, mais certainement pas moi !
Cependant, je ne porte guère Alma dans mon cœur. Je ne connais pas assez sa musique,
Carton rouge. Game over. Shame on you.
Il va falloir arranger ça très vite, vous savez, sinon l’antispam va devenir des citations des poèmes mis en musique par Alma. :-))
mais dans sa vie privée, cette femme a littéralement fait la chasse aux génies : elle a eu trois maris dans « les Arts », un musicien donc, un architecte et un peintre.
Premier baiser avec Klimt, liaison platonique avec Zemlinsky qu’elle aurait pu épouser, maîtresse de Kokoschka, etc. Mais le troisième n’est pas peintre, il s’agit de Franz Werfel, romancier (pas très convaincant comme poète), considéré à son époque comme l’équivalent de Thomas Mann.
Assoiffée de grands hommes,
Cliché à la Françoise Giroud. La lecture de son journal intime laisse comprendre combien elle était déchirée au moment de son mariage, entre Zemlinsky dont elle était très proche et Mahler qui la fascinait. Un personnage extrêmement touchant.
C’était bel et bien la passion qui l’entraînait, de pair avec une fascination esthétique, bien sûr, mais est-ce illégitime ?
Votre jugement laisserait entendre qu’elle aurait couru après les « grands hommes ». Que nenni ! Ce sont eux qui l’ont sans cesse poursuivie de leurs assiduités – au point qu’elle a quitté Kokoschka lorsque sa fascination pour elle a fini par la terrifier. Et elle a dû beaucoup choisir tout au long de sa vie…
Et cela, ce n’est pas que son journal qui le dit, ce sont aussi les témoignages des proches qui nous en informent, assez nombreux, y compris du côté « opposé » de Mahler.
elle ne brillait qu’à travers eux
Mensonge. Elle brillait avant tout par son esprit ravageur et son charisme très particulier. C’est bien pour cela qu’ils étaient tous lovés à ses pieds.
Et, soit dit entre nous, c’était bien légitime parce que, tous autant qu’ils sont, ils ne lui arrivaient pas à la cheville.
et osa pourtant dire dans sa biographie que sans elle ils n’auraient pas été grand-chose, ce qui est possible, mais qui manque cruellement de modestie.
Son autobiographie a été écrite tard, et comme tout le monde, elle a un peu réaménagé sa vie. Elle a notamment supprimé tous les allusions à son écriture (véritablement) illisible.
La seule chose qu’on peut concéder, c’est qu’elle avait tendance à des indiscrétions qui ont parfois créé des brouilles.
Mais on s’en fiche, on veut juste entendre ses œuvres, exécutées correctement si possible. Et qu’on cesse de nous la présenter comme l’ombre de ce nabot Gustav.
(Je vous avais prévenu que le terrain était explosif.)
Nonmé.
Ironique voire cynique, critique, burlesque, caricaturale, brutale et parfois presque vulgaire, oui, sans aucun doute sa musique l’est,
Je crois que vous avez tout dit.
la sensibilité à vif d’un homme que la vie n’a pas épargné,
Certes, mais tout de même, il n’est pas exactement la figure du compositeur maudit lorsqu’il écrit ses œuvres les plus sombres.
Pour revenir à Mahler, que sa musique soit à la « frontière du pathétique et du grotesque », oui, si on sous-entend qu’il l’a voulu, non, absolument non, si on pense qu’il est le « mauvais goût fait musique » !!!
Je pense qu’il assumait pleinement les deux, même s’il n’aurait pas aimé l’entendre sous cette forme.
Et que ce « tout de même fascinant pour ceux qui l’aime » sonne faiblement !
Et pourtant, c’est un compositeur que j’écoute très régulièrement, et il me fascine tout à fait, non pas malgré son mauvais goût, mais avec son mauvais goût qui est constitutif de son langage.
C’est amusant comme cette petite sentence délibérément provocatrice (mais gentiment provocatrice) fait de l’effet, sans qu’on la mette sur le compte de mon mauvais esprit. Ca se voulait un résumé « expressif » de ce que je disais dans la présentation, résumé volontairement hâtif et déformé.
Ce n’est pas un jugement de valeur, c’est plutôt un constat esthétique : Mahler n’est pas l’équilibre ni la mesure incarnées. Ligeti, ce serait encore pire. Ca n’en fait pas de la musique indigne, pas du tout, ça n’en diminue même pas la valeur !
Il ne rend pas hommage à ce compositeur « difficile »,
Et pourtant… et pourtant je ne lui aurais pas consacré ces petites notices (et je ne serais pas en train d’ingurgiter Das Klagendelied pour en rendre compte) si je ne souhaitais pas lui rendre hommage et aider potentiellement ceux qui ne sauraient pas comment aborder ce compositeur.
J’ai mis plusieurs années à aimer ses œuvres (et d’ailleurs je n’aime toujours pas tout), et elles me donnent régulièrement des sensations musicales dans les plus belles que je connaisse !
En salle, c’est terriblement efficace, il connaît son orchestre, le bougre. Au niveau de l’impact physique, c’est ce que je connais de plus saisissant – Wagner n’était pas négligeable non plus dans ses œuvres les plus abouties (parmi lesquelles je compte le Hollandais).
Et comme précisément je ne me lasse pas de revivre les émotions fortes, je m’en vais demain réentendre ses Kindertotenlieder bouleversants. Je ne précise pas dans quelle interprétation, les habitués de CSS le savent ;-), mais l’interprétation seule ne suffirait pas à me faire déplacer et c’est donc aussi Mahler que je vais écouter !!!
Je n’en doute pas ! Quand bien même je souhaiterais « pourfendre » Mahler (il y aurait plus urgent, pourtant !), je ne chercherais pas à nier qu’on puisse l’aimer à bon droit !
Seule concession que je ferai : je « pique » d’autant plus volontiers Mahler que j’ai une dent contre lui depuis ma rencontre avec sa femme. (Je vous la présenterai si vous êtes sage.)
Vartan :
Le bon goût a-t-il cette importance en 1900 qu'on lui allouait au XVIIIième par exemple ? Comme tu le soulignes, ce caractère outré, cette expresivité parfois triviale me semblent indispensables à sa musique. Sans elles on s'ennuierait vite, un peu comme chez Bruckner, non ? :-))
Ah là là, Vartan, tu veux me faire avoir des ennuis ! Bruckner ne savait pas orchestrer, mais il avait de très beaux mouvements lents, quand même !
Oui, tout à fait d'accord, le bon goût n'est pas du tout le propos de ce genre de musique (ni de l'époque ! Kokoschka ou Dehmel, pour rester dans les parages, ce n'est pas non plus de bon goût), et on s'en fiche assez. Mais je m'amuse beaucoup de cette levée de boucliers imprévue pour le nier !
Vartan :
Le bon goût a-t-il cette importance en 1900 qu'on lui allouait au XVIIIième par exemple ? Comme tu le soulignes, ce caractère outré, cette expresivité parfois triviale me semblent indispensables à sa musique. Sans elles on s'ennuierait vite, un peu comme chez Bruckner, non ? :-))
Ah là là, Vartan, tu veux me faire avoir des ennuis ! Bruckner ne savait pas orchestrer, mais il avait de très beaux mouvements lents, quand même !
Oui, tout à fait d'accord, le bon goût n'est pas du tout le propos de ce genre de musique (ni de l'époque ! Kokoschka ou Dehmel, pour rester dans les parages, ce n'est pas non plus de bon goût), et on s'en fiche assez. Mais je m'amuse beaucoup de cette levée de boucliers imprévue pour le nier !