Gilles :
et mon intérêt pour cet opéra avait fondu comme neige au soleil
A cause de la mise en scène ?
Il est vrai que les postures et les attitudes de Mélisande sont tout à fait précises et renforcent le caractère énigmatique du personnage.
Ou plutôt l'éclairent, parce que le choix de Wilson pousse de façon assez radicale dans le sens de la manipulation - on peut même se demander si Mélisande est vraiment éprise de Pelléas, ou cherche simplement à détruire la famille... C'est quasiment une ambiance-Chute-de-la-Maison-Usher...
Et j'ajoute qu'Elena Tsallagova est particulièrement habile à respecter les consignes de Wilson (c'est nettement moins convaincant pour les deux autres protagonistes, de mon point de vue), comme par exemple l'avant-bras gauche levé (et les doigts savamment composés) qui décline lentement à mesure qu'elle meurt allongée...
Tout à fait, mais elle a une formation de balletiste, donc forcément une mobilité et une grâce scéniques assez supérieure à la moyenne. C'est très souvent un atout déterminant à la scène, je trouve. Je ne suis pas forcément un balletomane fervent, mais la qualité que les danseurs apportent une fois reconvertis au théâtre ou à l'opéra est réellement impressionnante.
Vous ne dites pas un seul mot sur Stéphane Degout... Et pourtant, il est remarquable !
Je crois que j'ai précisé que je n'avais écouté que les deux premières scènes (à présent, j'en suis aux deux premiers actes), ce qui était suffisant pour le commentaire sur ledit sourire.
Maintenant que j'en ai écouté un peu plus, je suis plutôt agréablement surpris par Degout qui je trouve très bien, même si un peu stable et terrestre, trop baryton en quelque sorte (et pas forcément très frémissant dans les interstices du texte - j'admets que Pelléas s'y prête moins que les autres rôles).
J'ai écout Degout pour la première fois vers 2002-2003, et j'avais été très impressionné. Mais depuis, j'ai régulièrement été un tout peu déçu :
=> en salle (même petite, même de près), seul le métal du "masque" est audible, si bien qu'il ne reste qu'un squelette de voix, pas très joli, rien à voir avec ce que donne la voix captée par les micros (qui est superbe) ;
=> l'expression (phrasé et mots) est souvent un rien raide.
Il représente toujours une valeur sûre, mais pas une personnalité marquante pour moi. Je n'avais pas beaucoup aimé son Pelléas avec Billy, tellement rigide et "honnête", bien trop "normal" pour être juste. Ici, ça me paraît mieux, mais je ne suis pas sûr du tout que j'aurais aimé en salle.
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Mimy :
Le rapprochement avec Mélusine rend vraiment bien compte de cette présence à mi-chemin entre le magique et le maléfique.
Merci ! Je vois que j'aurai également quelques mots à dire chez vous... et je signale à mes lecteurs que vous indiquez un entretien assez stimulant de Tsallagova sur Altamusica.
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Olivier :
Mais ce sourire n'a-t-il donc rien a voir avec le fait que malgré tout elle connaît son destin et qu'il n'y a déjà plus beaucoup de vie dans les différents personnages qui ressemblent plus a des fantômes qu'à des personnes bien vivantes ? Ne s'agit-il pas plus d'un rictus de morte ? Je trouve qu'elle semble plus resignee qu'autre chose et qu'elle ne croit pas du tout que les autres personnages ont le moindre pouvoir sur elle qu'il s'agisse de la sauver ou de lui faire du mal
On ne perçoit vraiment pas la résignation lorsqu'elle fait des gestes qui créent le décor - action sur la lumière au début de II,2, par exemple, comme si elle voulait contempler son guet-apens réussi sur Golaud.
Bref, quelque part, ce rictus est aussi un signe de son cynisme quand elle se rend compte que personne ne peut plus rien pour elle et que de manière générale ils ne peuvent pas faire grand chose l'un pour l'autre dans ce monde de fantômes.
Mais comme il sourit dès avant la rencontre avec Golaud, cette interprétation me paraît difficile à soutenir.
Manifestement, Wilson oriente de façon assez radicale le personnage de Mélisande vers une sorte de génie malfaisant qui projette, par intérêt ou par malice, la ruine au moins de Golaud, voire de la famille (il faudra que j'observe son comportement vis-à-vis d'Arkel en IV,2 et de Pelléas en IV,4 pour trancher). Mais c'est fait avec suffisamment de tact pour ne pas rendre Mélisande tout à fait antipathique.
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Au passage, je trouve que la temporalité lente de la mise en scène concorde remarquablement avec le débit musical, ça me fait vraiment considérablement réviser à la hausse mon opinion mollement positive sur Wilson. Ca me donnerait envie de voir son Ring, pour vérifier si cette exaltation du verbe y fonctionne également.