Agnès :
Vous pouvez y aller sereinement, David. Point de rossée dans la Maison. Pas de violence, pas de claque. Mais c’est magnifique. Une impression de naturel.
Oui, c'est aussi l'impression que j'ai eue, l'émission vocale des acteurs retranscrivait même une sorte de désinvolture bourgeoise assez particulière. Comme toujours, il me faut quelques minutes d'acclimatation, et ensuite la magie opère pleinement.
- Dans la Maison aussi, le lieu est certes inquiétant. De hauts plafonds pour mieux étouffer la petite Nora, des murs parcourus de moirures
Ces murs sont ceux utilisés dans la pièce principale de Rosmersholm (hors la bibliothèque, blanche elle aussi).
De la même façon, la béance dans le mur noir qui se referme soudainement est là aussi pour le vieux professeur de Rosmer. L'effet étouffant est vraiment saisissant dans la Maison. Pas seulement parce que ça se referme, mais parce que ça réduit considérablement la profondeur de la scène.
Les indications d’Ibsen allaient plutôt dans le sens d’une décoration bourgeoise, en tout cas chaleureuse.
Mais évidemment Braunschweig se garde toujours de ces précisions-là ; on est sans cesse dans un présent indatable. (Ce qui vaut bien le passé daté de Del Monaco... Pas vu Chénier, mais je le tiens pour le pire metteur en scène de tous les temps au vu de fréquentations antérieures.)
- Et dans ce décor, on assiste à un ballet. Nora ne se déplace qu’en glissant, sautillant, valsant. Elle implore, elle minaude. Elle manipule. Elle découvre une épaule. Elle se décoiffe les cheveux. C’est magnifique, jamais ennuyeux (2h30 sans pause) mais jamais pesant non plus. C’est cela qui est étonnant – et inattendu pour moi : ça reste léger. Tout rend parfaitement compte, et jamais lourdement, avec des touches d’humour aussi, du narcissisme, de l’autisme et de l’orgueil de la femme enfant… Mais jamais son désespoir ne vient me frapper au visage. Pas de claque là non plus.
Non, c'est vrai, pas de claque pour moi, même si c'est très prenant. Ca tient grandement à l'oeuvre, je voudrais avoir l'occasion d'y revenir, mais j'ai déjà esquissé quelques pistes.
- Quant à l’explication finale entre les 2 époux, elle se déroule sous nos yeux, sans cri (en tout cas pas dans mon souvenir),
Ca crie seulement au moment où Helmer se fâche, plus ensuite, c'en est presque du monologue intérieur tant c'est invraisemblable.
Prodigieuse direction d’acteurs ! C’est si simple !
Même chose pour l'usage des accessoires d'ailleurs. Toujours réduits, mais toujours essentiels et porteurs de sens.
Le siège la flamme éteinte et le siège de Rank, ce pourrait être téléphoné, mais c'est fait avec tellement de naturel et de vérité...
Les moments forts ne font pas mal. L’effondrement de Nora après avoir répété la tarentelle, est ici plus hystérique que tragique.
C'est vrai. Je l'ai remarqué aussi.
- Le moment saisissant, c’est pour moi celui où s’ouvre un pan du mur, quand on pourrait imaginer que Nora va se jeter dans l’eau glacée. Nora nous tourne le dos, là-bas au fond à droite, et s’immobilise en plein saut. La tension est immense. Telle belle ouverture sur une tragédie repoussée.
Ca ne m'a pas particulièrement bouleversé, d'ailleurs, un peu trop ostentatoire justement : faire bouger la scène, mettre de la réverbération pour ces quelque secondes...
- Et la boîte aux lettres aussi, démesurément grande, encore plus angoissante quand la l’enveloppe de Krogstadt s’y trouve : on a du mal à détacher les yeux de ce grand rectangle blanc.
C'est typique de Braunschweig, ça, un petit accessoire pour montrer la permanence du tragique. Ce n'était pas forcément très puissant ici, mais la présence de la lettre sur scène est en tout cas révélatrice de sa conception de l'espace scénique. Tout y est.
Du coup, oui, le public rit beaucoup. C’est surprenant, mais c’est le risque de cette mise en scène et de cette direction qui, tout en modestie et simplicité, ont évacué pour moi le tragique.
C'est vrai.
J’aimerais bien prendre le temps de relire Ibsen maintenant…
Je ne suis pas si pressé de faire la comparaison, j'ai remarqué que j'étais déçu après une mise en scène de Braunschweig - je suis condamné à espérer le DVD et l'acheter...
Heureusement, il n'a pas encore mis en scène les Prétendants, celui-là je peux me le bichonner et me le relire tout à loisir. C'est vrai que du fait que la langue d'Ibsen n'a pas vraiment de plus-value à la lecture, même le lesedrama fonctionne amplement aussi bien sur scène, et si peu que ce soit inspiré...
(A propos de diction théâtrale, ici c’est Mme Linde qui l’a. Déplaisante. Cela correspond certainement à une volonté de Braunschweig, mais je suis passée à côté !)
Je l'ai au contraire trouvée admirable, ça traduit une sorte de rigidité morale, avec finalement une sorte de vérité. Non, rien à voir avec ce qui a pu être écrit sur Maud Le Grevellec.
Y êtes-vous allé entre temps? Représentations supplémentaire prévues en janvier, je crois.
Tout à fait. 7 à 9 janvier, il me semble.
(Et je m'y suis donc rendu hier. :) )
Merci beaucoup pour tous ces détails !
mais 1h de trop, 1h d'imprécision, 1h de mélasse!
Je ne l'ai pas vue, cette heure de trop. Où cela ? C'est justement dans cette durée un peu gluante de la fin que se joue toujours le plus de choses chez Ibsen, c'est le lieu où les contraditions en viennent à un point où les personnages semblent se nier alors qu'ils sont au bout du chemin. Pour Brand, c'était bien la dernière heure et demie qui semblait patauger dans les incertitudes brouillonnes. Ca fait vraiment partie intégrante du charme de l'Ibsen de maturité, pour moi, même si on peut y voir, et peut-être à raison - qui sait - des maladresses. Je suis client au bout du compte en tout cas.
La salle en riait sur la fin
Oui, j'ai constaté cela avec un certain étonnement, j'avais l'impression d'un public d'opéra qui s'apercevrait au bout de trois heures que les gars chantent au lieu de parler et que ça amuserait. Avec une pièce et une mise en scène aussi intense, j'ai eu peine à me mettre à leur place pour comprendre leur capacité de distanciation.
Concernant les acteurs, je l'ai dit, j'ai été moi aussi vraiment étonné au début de Maud Le Grevellec, mais il y a une présence qui se diffuse au bout d'un moment, avec beaucoup d'efficacité. Oui, ça peut manquer de naturel au départ, j'en conviens tout à fait, on sent la pose de théâtre, mais l'impression a assez vite disparu au cours du premier acte, et à partir du troisième des quatre actes j'adhérais vraiment pleinement. Oui, il y avait de la marge pour faire mieux, mais ça suffisait amplement aux réjouissances de mon point de vue.
Elle a certes une voix intéressante (comme 75% de la population française par ailleurs)
Quand je dis "voix intéressante", c'est bien le résultat de la voix après travail, pas une affaire de potentiel...
Quelle horrible, affreuse déception! Je comptais aller voir Une maison de poupée (pièce nettement mieux réussie et équilibrée que Rosmersholm) mais le traumastisme est trop grand. Je vais, que dis-je, je dois passer.
Si je passe mon tour, de mon côté, ce sera uniquement faute de pouvoir soutenir une seconde rossée en si peu de temps, mais j'ai fort envie d'aller voir la Maison de Braunschweig.
En aparthé, je tiens néanmoins à vous dire que c'est un véritable régal que de vous lire. Votre blog/site est pertinent, une mine (plus adapté que le puit je trouve) de science, et même si parfois je ne partage pas tout, toujours délicieux à lire. Merci encore pour votre talent.
Merci à vous pour vos compliments et votre commentaire ! Vous êtes bien sûr le bienvenu pour commenter à votre guise.
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