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mardi 13 octobre 2015

[Carnet d'écoutes n°87] – Ariadne auf Naxos – Amber Wagner, Jonas Kaufmann, Brenda Rae, Opéra de Munich, Kirill Petrenko


Je l'avoue, je suis allé lire quelques antres glottophiles où ma fierté me défend d'ordinaire d'aller m'égarer, pour voir ce qu'on en dit. Je m'étais bien promis de ne pas consacrer le temps de CSS à gloser sur les concerts à la mode, mais quand je vois ce à quoi le lecteur ingénu serait confronté en cherchant des impressions de ce concert, je me sens poussé à laisser traîner, dans un coin négligé de la Toile, un autre type d'écho. Non sans mesurer la vanité qu'il y a à souhaiter avoir raison contre le reste du monde, mais c'est, à défaut de mieux, un essai de rendre compte de tendances à l'œuvre dans le goût du public et des recruteurs.

Très beau concert bien sûr, mais l'aspect qui m'a le plus frappé, au delà des invidualité, était le caractère peu allemand des voix et des élocutions, jusque chez les troupiers de Munich, et même les allemands parmi eux. Jusqu'à Markus Eiche, bon phraseur et excellent acteur (son Musiklehrer constamment embarrassé est un régal) : la voix, honorablement projetée, est très moelleuse, couverte avec son, et ne sort pas très violemment du corps – il a notamment étudié, à Stuttgart, avec des anglophones et cela s'entend. C'est évidemment encore plus patent pour Elliot Madore (Harlekin) qui chante tout en bouche (des [ou] avec luette complètement obturée dans l'aigu, c'est périlleux, rare et pas déplaisant) ; la voix est suffisamment  sonore, mais la résonance essentiellement pharyngée limite beaucoup le mordant et l'impact.
C'est surtout le succès de Brenda Rae qui m'a laissé perplexe : typique des Zerbinette (et plus généralement des sopranos colorature) qu'on privilégie à présent ; énorme aisance dans l'aigu, sonore et facile, mais un médium particulièrement mou et empâté (inintelligible aussi), qui ne sonne pas bien, tout malingre et terne, presque invertébré. Ce n'est pas mauvais du tout, mais quand je vois le délire général autour d'une Zerbinette avec un timbre un peu bouché et aucun effort particulier de phrasé, je reste perplexe – et nostalgique des voix qui, même aujourd'hui, proposent des attaques franches, des mots vaguement perceptibles, un médium petit mais net. C'est l'esthétique dominante actuellement (les verdiennes ressemblent à ça, les wagnériennes ressemblent à ça, un certain nombre de mozartiennes ressemblent à ça, et même chez Christie, le Grand-Prêtre des petites voix grêles mais nettes, le biais semble de plus en plus fréquent…), cela changera un jour.

Je n'ai jamais beaucoup aimé Alice Coote (Komponist) pour des raisons différentes (les mêmes qu'en retransmission : tout sonne « gros », sans que l'expression soit détaillée ou que le timbre séduise suffisamment pour compenser), et ça n'a pas changé en salle, goût personnel, rien à signaler.

Trois coups de cœur en revanche.

Le Maître de Ballet de Kevin Conners, modestement doté vocalement (les aigus qui deviennent minuscules sur une voix qui n'est déjà pas bien grande !) pour une si prestigieuse maison, étale  une science jubilatoire du récitatif allemand, dans un staccato parfaitement découpé et un sens de l'expression qui fait mouche (sans effet histrionique, sans changer la ligne musicale : tout est dans la prosodie). 

Jonas Kaufmann bien sûr (Bacchus), pas réentendu en salle depuis une dizaine d'années (tout est si facilement plein avec lui, ou dans des œuvres déjà entendues, donc pas prioritaires…), toujours très impressionnant. Il conserve cette difficulté à nuancer sans laisser s'affaisser la voix en arrière, mais le fait avec goût, et dès que la voix s'exprime en pleine force, l'effet est magnétique. Je crois, que, comme Domingo, son succès vient en grande partie de ce qu'on entend l'effort de la voix tandis que l'artiste se joue de toutes les difficultés : coups de glotte nombreux, tension articulatoire extrême (sans que la voix soit forcée), et bien sûr cette couleur sombre, presque rauque.
J'ai été passablement amusé, en parcourant un antre glottophile où Vogt s'était fait conspuer pour ne pas respecter la partition de Bacchus (en n'exécutant pas une variante… non écrite), de lire que Kaufmann avait fait un couac dans sa dernière phrase – façon très sommaire de souligner un petit voilement du timbre sur les dernières notes (et, je suppose, de le faire remarquer pour montrer à quel point on est un esthète au-dessus de la plèbe).
Contrairement à tous ses partenaires (sauf Conners, donc), il frappe par la concomitance de l'émission vocale la plus glorieuse et du soin le plus rigoureux à la transmission du texte, très intelligible et expressivement dit. L'hystérie est forcément exagérée dans la mesure où il existe quelques autres chanteurs aussi bons que lui, et qui sont loin de déclencher de tels délires, mais ce type est quand même un dieu.

Troisième bénédiction, la présence d'Amber Wagner en Ariadne – très peu de notoriété en France, mais elle chante régulièrement les grands rôles wagnériens à Francfort et Chicago, et a même fait Amelia du Bal Masqué au Met !  Petit passage à Nice pour un Requiem de Verdi à Nice il y a un an.
Amber Wagner a débuté comme mezzo (elle a fait Brangäne à Prague en 2010 !), mais sa voix est bel et bien celle d'un soprano dramatique. Il est généralement difficile d'expliquer la spécifité de ces voix à partir des titulaires des rôles : le point commun étant général le timbre plus ou moins sombre, sans qu'on voie réellement ce qui empêcherait des voix plus claires, légères et mieux projetées de s'en emparer.

Avec Amber Wagner, la question ne se pose plus : plus besoin d'expliciter la différence entre une voix bouchée (qui cherche à sonner « héroïque ») et une voix dramatique (opulente, naturellement large et très présente dans une salle, face à un orchestre). C'est le cas ici, avec une voix qui impose dans l'instant son autorité : volume considérable, aplomb, sans qu'on puisse dire si la voix est claire ou sombre ; elle est simplement ample, et remplit l'espace sans forcer, impose sa balance sonore à l'orchestre dont elle se détache immédiatement.
Par ailleurs, la voix est connectée de bout en bout, jusqu'en bas, où elle émet les graves abyssaux, qui mettent en difficulté toutes les titulaires, avec une aisance incroyable (très rond, dense et projeté, mais sans poitriner vraiment, une voix mixte parfaitement dosée). Le timbre aussi étale un moelleux parfait : ce n'est pas du chant de gorge (les femmes peuvent ouvrir leurs aigus de cette façon, comme Schnaut, DeVol, Lang, Theorin…) ni du métal dur (façon Nilsson, Behrens seconde manière, Secunde, Bullock…), mais un équilibre beaucoup plus doux, greffé sur un instrument naturellement puissant.

Avec cela, une présence scénique immédiate, même dans le rôle bref et ingrat par excellence de la Prima Donna dans le Prologue, où elle brûle les planches sans mise en scène.
Seule réserve : du fait de ces qualités de continuité des registres, de rondeur de la voix, la déclamation n'a pas la variété ou le relief que permettent plus aisément des voix moins parfaites et des techniques moins aguerries. Mais tout de même, quelle leçon ! 

Elle ne fait pas encore Brünnhilde ni la Teinturière (plutôt Senta, Elsa, Sieglinde), mais s'il y a bien quelqu'un qui peut ne pas s'y brûler les ailes, nous la tenons. À suivre : à n'en pas douter, sa présence dans ces soirées (munichoises aussi, du fait du remplacement d'Anja Harteros) si prestigieuses va faire beaucoup pour sa visibilité et sa carrière sur les scènes les plus renommées d'Europe.

Côté orchestre, j'ai été frappé du son de base rugueux des cordes de l'Opéra de Munich, pas du tout l'image que je m'en faisais dans les retransmissions ; je serais curieux de les entendre en formation complète, à présent. Clarinette allemande très pure, droite et puissante, presque autant que chez le collègue de la Radio de Munich (à ne pas confondre avec la Radio Bavaroise, qui est un autre orchestre, distinction qui méritera en son temps une notule).
J'attendais depuis plus de dix ans (son Dalibor avec le RSO Wien, à l'été 2004) l'occasion d'entendre Kirill Petrenko, et ses récentes nominations prestigieuses m'avaient enchanté, mais j'ai contre toute attente trouvé sa lecture assez standard, sans l'élan, la transparence et l'évidence qui avaient caractérisé toutes les bandes que j'avais entendues jusqu'ici. Très bien au demeurant, mais certains chefs peuvent en tirer des moments de bravoure ; pas vraiment ici – j'avais contre toute attente été beaucoup plus ému par Philippe Jordan dans la dernière reprise avec l'Orchestre de l'Opéra.
En revanche, il paraissait particulièrement stressé par les décalages du trio de nymphes (pas toujours exactement sur le temps, un peu pressées, rien de bien méchant), et leur multipliait, en vain manifestement, les signes désespérés pour les remettre dans le rang – souci de l'ordre de la finition, mais on peut se figurer l'agacement d'un musicien dont la recherche de la plus haute excellence est l'occupation constante.


mercredi 5 août 2015

Operalia 2015


1. Écouter les concours

Les concours, et en particulier lorsqu'ils sont aussi emblématiques et influents qu'Operalia (innervant ensuite beaucoup de premiers rôles dans de grandes maisons), permettent de faire le point non seulement sur les types de profils vocaux et artistiques les plus pratiqués, mais aussi et surtout sur ceux qui ont la faveur des programmateurs. Et, étrangement, ce ne sont pas forcément les technique les plus efficaces / sonores / souples qui sont les plus valorisées. D'où l'intérêt d'observer.

Il convient néanmoins de bien préciser qu'Operalia ne documente que les voix de type « premier rôle dans un opéra romantique », et que Verdi est son absolu stylistique, ce qui ne constitue qu'une partie du répertoire réellement donné dans le monde. Ce concours ne nous renseigne pas sur les tendances dans le baroque, dans Mozart, dans l'oratorio, et plus généralement dans les opéras de toutes époques qui requièrent des formats plus légers que les catégories verdiennes.

La finale de la dernière édition est gratuitement visible (sur inscription) sur Medici.tv. [Si la vidéo fonctionne mal, n'hésitez pas à baisser sa qualité dans le menu, certains processeurs auront des difficultés à encaisser la qualité optimale.]

En termes de répertoire, en dehors de la sous-catégorie zarzuela, qui cherche à promouvoir le genre à l'étranger, on n'entend chaque année que la poignée de mêmes tubes absolus. Quelques avis (vocaux, donc) donnés dans l'ordre de passage, en essayant de mettre l'accent sur les types de technique représentés.

2. Candidats

¶ L'américain Edward Parks (troisième prix masculin) chante « Largo al factotum ». Voix caractéristique des tendances moelleuses actuelles : aucune agressivité, mais je me demande à quoi ressemble vraiment la projection en salle (en principe, plus il y a de rondeur, moins il y a de son, en tout cas ce type de rondeur en arrière – c'est différent pour la rondeur de la voix mixte, qui n'obéit pas aux mêmes ressorts). Le texte manque aussi un peu de verve, et le timbre de couleurs (il y a même un vibrato un peu blanc sur les aigus les plus longs). C'est le type de sensation physique qui donne l'impression d'une voix pleine au chanteur, mais qui prive aussi le public d'une partie du son.
Néanmoins un très bon chanteur avec une voix solide, comme à peu près tous les finalistes d'Operalia, en principe. Il pourrait chanter sur n'importe quelle scène, mais disons que pour un concours-Domingo, vu le coup de pouce immense à une carrière, on peut espérer une arrivée prompte au premier plan pour les vainqueurs (façon Yoncheva, même si la promptitude n'est pas forcément un bienfait).

¶ L'américaine Andrea Carroll choisit « Qui la voce sua soave », premier bon choix (l'une des très rares scènes de soprano belcantiste que je ne me lasse pas d'entendre). Par ailleurs, je suis impressionné, plus de la voix elle-même, de la conscience de ses moyens et du choix en conséquence de ses équilibres :
=> le son est moelleux mais reste coloré par une bonne accroche du masque qui donne un peu plus de pointu et de brillant à l'ensemble ;
=> le souffle n'est pas très long, mais les coupures sont toujours judicieuses pour la musique et le sens ;
=> les phrasés, plus découpés que d'ordinaire pour du belcanto, favorisent la vie du personnage, avec de très jolies choses plutôt rares ;
=> les aigus restent de même nature que le médium, bien intégrés, avec une pointe de squillo (d'éclat trompettant) supplémentaire.
Seule limite (dont je me moque éperdument personnellement, mais qui lui a sûrement coûté le podium), l'agilité assez moyenne (attaque pas toujours juste, détail des descentes très approximatif), ce qui est un réel handicap lorsqu'on présente un répertoire aussi couru (notamment par des soprano plus légers qui ont plus de facilité en la matière), dans un air de concours où l'on est supposé montrer son meilleur visage technique. Mais voilà une chanteuse que je me précipiterais entendre dans ce répertoire.

Julien Behr chante « Salut, demeure chaste et pure ». Souvent entendu ces dernières années dans de petits rôles sur les scènes franciliennes, j'avais été assez injuste avec lui lors de notre première rencontre – la voix n'est pas exactement engorgée. J'ai même beaucoup de sympathie pour le chanteur, très appliqué, toujours impeccablement soigné. Mais le principe même de sa technique pose plusieurs problèmes ; le son, obstrué par une trop haute impédance et une couverture trop massive, peine à sortir, avec beaucoup de conséquences néfastes :
=> très petit volume (on l'entend, mais l'impact physique est absence et la voix paraît lointaine dès les salles moyennes) ;
=> timbre un peu terne (trop assombri par rapport à son matériau de départ) ;
=> effort articulatoire énorme même pour chanter de petits récitatifs ou des notes pas très aiguës… l'énergie se perd dans des gestes qui devraient être simples ;
=> incarnation un peu contrainte par tous ces paramètres.
Au demeurant, il chante toujours très agréablement et avec valeur, jamais débraillé ni de mauvais goût, mais j'étais étonné qu'Operalia, qui favorise les voix larges pour des carrières de jeune premier dans le grand répertoire (il suffit de voir les airs programmés, Bellini-Verdi-Gounod-Puccini, des grands lyriques essentiellement), le pousse en finale.

¶ L'australienne Kiandra Howarth présente l'air du poison de Juliette. Voix très particulière : gorge ouverte, et très peu de résonance haute, tout semble passer du larynx à la bouche sans s'enrichir dans les parties hautes du crâne. Ça peut assez bien fonctionner pour les voix féminines (Sally Matthews, championne de cette émission « arrière », opaque en retransmission, sonne en réalité avec clarté et douceur en salle). En l'occurrence, la qualité moyenne du français y concourant, la mollesse l'emporte sur la joliesse.

¶ La coréenne Hyesang Park (deuxième prix féminin) chante « Il dolce suono », choix beaucoup moins séduisant pour moi. Elle était au Concours Reine Élisabeth aussi, me semble-t-il – syndrome Anna Kasyan, monopoliser les finales des grandes compétitions sans forcément gagner ni s'imposer dans les parties les plus hautes du circuit. Il est difficile de faire quoi que ce soit de passionnant de cet air, mais sans une diction particulièrement acérée, avec un vibrato parfois un peu désordonné, des attaques pas toujours harmonieuses, je n'ai ni l'éloquence, ni la perfection technique, donc je ne suis pas particulièrement fasciné, dans un air qu'on peut entendre dans des tas de versions immaculées (et en général pas moins ennuyeuses, certes). Cela dit, le timbre est parfaitement tenu (mais moins dans l'aigu, et sans couleur personnelle), le soutien du souffle très précis pour laisser les phrases suspendues, l'agilité précise… je suppose que ça peut séduire (et c'est sans doute la raison pour laquelle on ne m'a pas invité dans le jury).

Bongani Justice Kubheka (Afrique du Sud) est un baryton-basse qui choisit un rôle général distribué aux basses (l'air de la calomnie, qui ne descend pas bien bas il est vrai – ut 2, même dans la version transposée au ton inférieur !). Mais le résultat, avec du cabotinage bien fait, est très convaincant : sacrée nature (avec de la profondeur mais on devine une vraie longueur dans l'aigu), et très bien domestiquée (étagement des registres, depuis le grave de basse jusqu'à un médium qui a beaucoup d'éclat et ne se laisse pas piéger dans la recherche d'une couleur sombre artificielle). Seule inconnue, l'air monte peu, donc on ne peut pas juger de sa technique dans le haut de son étendue, ni de son endurance dans les grands rôles du répertoire. En tout cas, très impressionnant.

¶ Un autre « Largo al factotum » avec l'américain Tobias Greenhalgh. Lui n'a rien gagné (et, de fait, il faudrait mesurer l'équilibre et l'impact sonore en salle pour critiquer les décisions du jury), mais son émission paraît beaucoup plus directe et libre que celle d'Edward Parks. Par conséquent, beaucoup plus de mordant et d'éclat malgré un timbre doté d'un grain véritable ; une expression beaucoup plus facile aussi, les mots prennent tout de suite un relief plus direct, le public est immédiatement concerné par ce qui se dit.
Peut-être a-t-il payé des aigus qu'on sent un rien moins faciles – mais très valables, avec en prime de splendides [i] dans l'aigu (en général un bon étalon de la santé d'une technique). En tout cas, des barytons aussi francs, qui n'amollissent, ne sombrent ou ne teintent pas de grave tout ce qu'ils chantent, c'est suffisamment rare (et encore plus aux USA) pour être salué.

¶ Le néo-zélandais Darren Pene Pati (deuxième prix masculin, prix du public) propose la scène finale d'Edgardo. Je ne suis pas très convaincu : l'émission force un peu les résonateurs au détriment du souffle (plus un problème pour lui que pour les auditeurs, cela dit), ce qui donne parfois l'impression de ne pas être totalement « chanté », et entraîne un vibrato forcé pas très joli sur les notes les nuances fortes. Surtout, et surtout l'équilibre général est assez fortement nasal, on sent que le modèle Alfredo Kraus a dû être écouté attentivement (même l'accent paraît parfois hispanisant sur certaines syllabes).
En revanche, pas de tensions pour monter, et des aigus qui semblent très larges et assez généreux. Mais dans les médiums forts et dans les récitatifs, ce n'est vraiment pas gracieux.

¶ La sud-africaine Noluvuyiso Mpofu (troisième prix féminin) nous donne (évidemment) la fin de l'acte I de Traviata. Je suis assez séduit par l'ampleur capiteuse du timbre (alors qu'il s'agit manifestement d'une voix de lyrique plutôt léger), qui conserve sur toute l'étendue un petit squillo qui donne de la tension en permanence. Cette égalité de timbre se paie bien sûr sur la définition de la diction, mais c'est une servitude commune dans ce répertoire, autant avoir du beau son frémissant.

¶ Le roumain Ioan Hotea (premier prix masculin) est un ténor léger/aigu qui nous donne « Ah ! mes amis, quel jour de fête ». Émission très haute (un peu nasale, mais surtout très métallique et dynamique) qui lui permet de monter, assez comparable à Flórez (avec un peu moins d'homogénéité et de timbre). Très impressionnant – pour être un ténor qui monte, il faut une discipline technique, une précision du geste vocal que même les meilleurs barytons (sans parler des basses !) n'ont pas. Ensuite, en matière de phrasé et d'expression, les choses tombent un peu au hasard, et vu l'enjeu dramatique de l'air (néant), il est difficile de juger ce que peut être une soirée avec lui sur une scène d'opéra… mais il a une belle assurance.
Premier prix pas usurpé vu la technique impressionnant – ensuite, ce n'est pas le chanteur qui m'a le plus intéressé de la soirée.

¶ La norvégienne Lise Davidsen (premier prix féminin, prix du public, prix Birgit Nilsson) chante « Dich, teure Halle » (seul air qui ne soit pas en italien ou en français…). Je suppose que l'ampleur de la voix a impressionné le jury (« oh, une future Brünnhilde, c'est si rare », etc.), mais sérieusement, chanter du Wagner dans une telle bouillie indifférenciée (surtout un air pas si difficile, et souvent très bien articulé par les chanteuses), avec des aigus qui ne sont pas non plus totalement libres (très bien pour l'instant, mais sur la durée d'une représentation, et surtout d'une carrière wagnérienne, ça va très vite se dérégler – quand on voit les effets à assez court terme sur des voix aussi parfaites techniquement que Marton, Secunde, Herlitzius ou Stemme…), je m'interroge sur la clairvoyance de la récompense. Cela dit, oui, l'instrument est impressionnant, vraiment.

3. Palmarès

On remarque avec surprise et satisfaction que prix Birgit Nilsson va pour la première fois à quelqu'un qui en a réellement besoin (lauréat 2009, Plácido Domingo ; 2011, Riccardo Muti ; 2014, Philharmonique de Vienne ; manière de mettre le pied à l'étrier aux débutants désargentés) – mais ce n'est pas le véritable prix à un million d'euros, apparemment. Ce doit être une bourse, une sous-catégorie quelconque… C'est déjà bien, mais ça préserve donc tout le potentiel drolatique de cette récompense audacieuse.

Pour le reste, je ne suis pas vraiment en accord avec les choix faits, mais il faut bien voir que :

  • je n'étais pas dans la salle, et certains effets physiques majeurs ne passent pas par les micros (Domingo lui-même, d'ailleurs, n'est servi que très partiellement par rapport à l'autorité qu'il dégage en vrai, même comme baryton) ;
  • si j'avais fait les sélections, on n'aurait certainement pas les mêmes profils en finale, même à répertoire égal.


Les podiums ne sont pas ma tasse de thé, mais à type de comparaison, j'aurais sans doute attribué :

  1. Carroll (pour la proportionnalité des effets aux moyens, pour le goût parfait) / Greenhalgh (totalement prêt à faire exploser d'enthousiasme les publics, vocalement comme scéniquement)
  2. Mpofu (pour le caractère assez magnétique du timbre et la qualité de ligne) / Kubheka (typologie rare, avec une couleur singulière et une maîtrise peu commune dans ces tessitures graves)
  3. pas vraiment fasciné par les autres femmes… / Hotea (le meilleur technicien de la soirée, clairement – sur ce critère, sa première place se défend totalement)


Ce n'est de toute façon qu'un fragment de l'état du monde lyrique, mais ça permet de se poser tout un tas de question sur les préférences techniques du moment, et sur leurs causes, leurs justifications…

lundi 29 avril 2013

Verdi, Don Carlo, Noseda, Turin, TCE, Frittoli, Barcellona, Vargas-Secco, Tézier, Abdrazakov, Spotti, Tagliavini...


Version en italien et en quatre actes (voir ici la nomenclature des très nombreuses versions possibles : Paris 1866, Paris 1867, Londres 1867, post-Naples 1871, Milan 1884, Modène 1886... et beaucoup d'arrangements entre elles pour les enregistrements commerciaux).

Pas de compte-rendu, mais quelques remarques :

=> Qu'est-ce que c'est mal orchestré. Je n'avais jamais testé Don Carlo en salle, mais on ne peut pas dire que Meyerbeer et Wagner aient été digérés... Les doublures éléphantesques partout...
En revanche, le dernier acte sonne très bien : plus récitatif, plus inventif à l'orchestre, de très nombreuses modulations expressives, des lignes mélodiques plus surprenantes... le grand air d'Elisabeth est clairement un de ces airs cursifs, interrompus de récitatifs, typique du grand opéra à la française, tandis que le grand duo qui suit évoque l'écriture du Wagner de Lohengrin (en bien mieux, naturellement).

Suite de la notule.

dimanche 3 août 2008

Wagner - Trois marches

Un petit tour en compagnie de la dépouille funèbre de Siegfried.


Dans Götterdämmerung (« Crépuscule des Dieux »), l'intensité dramatique culmine deux fois, en réalité, et à des niveaux guère atteints par aucun autre opéra dans tout le répertoire. Ce qui est d'autant plus admirable que cela se produit à partir d'un des livrets les plus mal fagotés du répertoire, dans lequel Wagner tente - vainement - de synthétiser deux matières indépendantes : Das Nibelungenlied et la Völuspá [1], c'est-à-dire la mort de Siegfried et la fin du règne des dieux. [Ce qui est assez incompatible, puisque les Anciens vénéraient ces divinités tout en connaissant le détail de leur fin future.] De surcroît, de nombreuses maladresses, et pas seulement dans la langue, alourdissent considérablement le texte : le déséquilibre des proportions entre les actes (avec le premier immense, et les autres se raccourcissant), la juxtaposition permanentes de scènes indépendantes (ce qui vaut, certes, de magnifiques interludes, mais la nécessité dramatique paraît peu, entre ces différentes séquences), les longueurs infinies (la scène avec les filles du Rhin n'a vraiment aucune espèce d'utilité), la facilité du Trèsvilainhagen qui porte sur lui tous les problèmes soulevés dans le drame (le mensonge du philtre, la mort du héros, la volonté de chaos, etc.), le discours idéologique (pessimisme, rédemption par l'amour) mais à la fois martelé et confus, etc.

Malgré cela, le drame culmine en plusieurs points (la fin de la scène des Nornes, le duo d'amour, le récit de Waltraute...), et de façon à peine soutenable à la fin du drame, non seulement pour le Crépuscule proprement dit, mais aussi, un peu auparavant, par la mort de Siegfried.

Pour plusieurs raisons, que nous allons explorer autour de nos trois versions favorites de cette scène funèbre.

--

Furtwängler 1950
[[]]

Furtwängler est le seul publié des trois - aussi sera-ce vers lui que nous renverrons. Avec la Scala, en 1950 (le premier Ring intégral à être gravé), il réunit une équipe de vétérans (dont Flagstad et Lorenz finissants), avec beaucoup de troupiers très habitués. L'opéra est joué (ce qui n'était pas la coutume à l'époque) dans la langue originale, équipe invitée oblige.

L'orchestre de La Scala est totalement dépassé par les exigences d'une partition qui n'appartient pas vraiment à ses habitudes d'accompagnements très rectilignes...

Pourtant, jusque dans cette fragilité (qu'on considère les précautions dans les soli de cuivres, les petites précipitations, sans même parler du matériau rêche des cordes et des décalages en tout genre), se dégage l'atmosphère d'un drame à taille humaine.

La mort de Siegfried est en effet un moment de tristesse majeure dans la vie d'un auditeur d'opéra : cet avorton insupportable, qu'on s'est échiné à faire naître pendant six heures, en supportant toutes les vexations, les longueurs et les redites du cher Richard, puisqu'on a vu péniblement, en quatre heures, tuer un dragon sot et boîteux, le voilà qui disparaît déjà, cet imbécile, ce héros en toc. Mais voilà : on l'aimait.

Furtwängler exalte précisément cet aspect. Quelque chose nous manque désormais, un être proche s'est éloigné. Pour longtemps. (Et pour cause : au moins treize heures, le temps de remettre le disque depuis le début...)

Beaucoup de poésie dans ces phrasés flottants, comme improvisés (et sans doute en grande partie !), beaucoup d'affliction humaine aussi. Ici, dans cet univers sonore feutré, c'est la tendresse qui prend le pas sur tous les autres sentiments. Pas du tout d'indignation, juste un peu de mélancolie.

--

Inbal 1998

Lire la suite.

Notes

[1] La Völuspá est la section de lEdda où se trouve décrit le Ragnarök : la « consommation du destin des puissances », autrement dit le Crépuscule des Dieux.

Suite de la notule.

vendredi 27 avril 2007

Ouvrages, domaine public - II - L'oeuvre livresque de Wagner

L'adresse figure depuis longtemps en lien, mais je m'aperçois que tout le monde ne la connaît pas.

Essais, correspondance, livrets, et plusieurs articles sur lui.

Le tout en anglais.

Une excellente ressource facile à consulter.

Parce qu'en toute franchise, vous ruiner pour lire du Wagner, CSS ne vous le conseillerait pas.

http://users.belgacom.net/wagnerlibrary/

--

Rappel : Wagner sur CSS.

  • Les lieder de Richard Wagner.
  • Les Fées (pistes pour débuter Wagner en commentaires)
  • La Défense d'aimer
  • Wagner en français
  • La parole chez Wagner, ici et accessoirement .
  • Badinage autour de Nadine Secunde en Brünnhilde (direction Inbal).
  • Et pour élargir, les notes sur le Sigurd d'Ernest Reyer, très proche des sources du Nibelungenlied. Lecture tout à fait intéressante dont il faudrait reparler (mais il y a tant à faire, vous connaissez la chanson).

mardi 9 janvier 2007

L'Immolation de Brünnhilde (Inbal 1998, RAI Torino, Secunde, Ronge)

Un parcours initiatique. Quelques extraits fournis.

Suite de la notule.

Index alphabétique

Répertoire alphabétique des principaux noms propres et sujets abordés.

La fonction recherche en haut à droite du carnet (opérationnelle pour les billets seulement, pas pour les commentaires) permet ensuite de retrouver aisément l'article recherché (patronyme + mots-clefs de la note).

Pour une classification plus chronologique, on peut se reporter à l'index thématique.

Encore incomplet.

Suite de la notule.

Index thématique

Chocs esthétiques, Emerveillements et langue, Oeuvres et genres (Opéra), Oeuvres et traductions (Lied), Oeuvres (Musique intstrumentale), Oeuvres (Littérature), Oeuvres (Pictural), Portraits (Compositeurs), Portraits (Interprètes), Discographie, Comptes-rendus, etc.

On peut également se reporter à l'index alphabétique.

Complété petit à petit. N'est donc pas constamment à jour.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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Invitations à lire :

1 => L'italianisme dans la France baroque
2 => Le livre et la Toile, l'aventure de deux hiérarchies
3 => Leçons des Morts & Leçons de Ténèbres
4 => Arabelle et Didon
5 => Woyzeck le Chourineur
6 => Nasal ou engorgé ?
7 => Voix de poitrine, de tête & mixte
8 => Les trois vertus cardinales de la mise en scène
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