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mercredi 2 septembre 2020

Une décennie, un disque – 1820 : Giulietta e Romeo de Vaccaj, belcanto à l'urgence dramatique dévorante


1820


cherubini requiem en ut mineur

[[]]
Le réveil de Juliette, ses grands récitatifs et ses ariosos interrompus typiques de la partition de Vaccaj.
Almerares, Trullu, Opéra de Jesi, Severini.


Un peu de contexte : pourquoi cet opéra ?
        Bien sûr, comme représentant du belcanto de l'ottocento, il était loisible de puiser parmi les grands aboutissements de Bellini (Norma, I Puritani) ou Donizetti (Il Diluvio universale plutôt que ses reines et autres folles à escalier), voire dans le bouffe avec les bijoux absolus que constituent Il Turco in Italia ou L'Elisir d'amore ; cependant, outre la prime à la découverte qu'essaie de proposer cette série, on y gagne aussi la fréquentation d'un carrefour d'esthétiques fondamentales à la compréhension de l'opéra italien du début du XIXe siècle. En effet, en tant que professeur de chant, Vaccaj s'incrit comme dernier représentant de l'école de chant napolitaine qui marque la fin du XVIIIe siècle européen ; tandis que stylistiquement, son opéra marque au contraire par la modernité de sa continuité et de son souci du texte et du drame (certes en cela précédé de Zingarelli, auteur également d'un Roméo antérieur), dans un goût mélodique qui annonce Bellini.

Compositeur : Nicola VACCAJ (1790-1848)
Œuvre : Giulietta e Romeo – Dramma serio per musica (1825)
Commentaire 1 :
        Écrit entre le dernier opéra italien de Rossini (Semiramide, 1823) et la conquête du Nord de l'Italie par Bellini (Il Pirata, 1827), l'opéra de Vaccaj conserve les recitativi secchi de l'esthétique rossinienne (récitatifs de liaison accompagnés du clavier, sans orchestre, comme dans l'opera seria). L'époque des castrats s'est achevée il y a peu, mais il confie tout de même Roméo à une mezzo-soprane travestie, et le père Capulet, très développé (réellement le troisième personnage de l'opéra, devant Frère Laurent et Tybalt), à un ténor assez héroïque et agile – pas du tout un rôle de caractère à confier à un interprète déclinant et confiné à un médium prudent.
        Pour l'auditeur du XXe siècle, on est frappé par son intensité dramatique en tant qu'opéra de style belcantiste : il s'y consomme une grande quantité de texte, assez peu souvent répété ; les ensembles y sont nombreux, les airs et duos jamais longs, en général interrompus par la suite de l'intrigue plutôt que conclus proprement par une cadence close (ce qui, pour ce qu'en documente maigrement le disque, est très rare dans cette esthétique belcantiste). Tout y est très mobile, et quoique la veine mélodique soit belle, assez bellinienne, elle est le plus souvent éclipsée par le geste théâtral, la continuité de l'action, la tension vers l'avant, l'enchaînement des situations.
         Le livret, du plus grand librettiste italien de son époque, Felice Romani – accumulant les chefs-d'œuvre sérieux comme bouffes (Il Turco in Italia, Norma, L'Elisir d'amore) et en signant d'autres moins aboutis littérairement mais qui ont traversé les époques (Aureliano in Palmira, Il finto Stanislao, Bianca e Falliero, Il Pirata, Anna Bolena, Parisina, Lucrezia Borgia…) –, concourt aussi à cette impression d'urgence, saisissant d'emblée le spectateur par le col. Le fils de Capulet vient de mourir, Roméo entre sous une fausse identité pour obtenir la main de Juliette tout en menaçant ses ennemis, tandis que le mariage de celle-ci s'empresse… et les retrouvailles amoureuses se font entre deux préparatifs autour de Tybalt et du père Capulet.
         L'ensemble texte et musique était tellement abouti que les théâtres ont pendant un temps remplacé la fin de l'opéra de Bellini adapté du même livret (I Capuletti ed i Montecchi), moins intense, par celle de Vaccaj (que je préfère très nettement). Il faut dire qu'en termes de rythme théâtral, Vaccaj ne s'attarde pas du tout comme Bellini dans les tendresses amoureuses, mais privilégie l'avancée du drame – en ce qui me concerne, j'en trouve la veine supérieure, même musicalement, au Catanais. Toutes bonnes raisons pour distinguer cet opéra qui échappe aux faiblesses du genre, notamment en matière d'avancée dramatique et de renouvellement des situations.

Interprètes : Paula Almerares, Maria José Trullu, Dano Raffanti, Armando Ariostini, Enrico Turco ; Orchestra Filarmonica Marcheggiana (Opéra de Jesi), Tiziano SEVERINI
Label : Bongiovanni (1996)
Commentaire 2 :
       
Contrairement à la plupart du legs Bongiovanni, cette représentation est non seulement très clairement captée, bien accompagnée par un orchestre tout à fait correct (juste, en rythme, timbres non dépareillés, entrain raisonnable)… et superbement chantée. On peut trouver l'articulation (verbale et musicale) un peu évanescente chez Almerares (Giulietta), mais pour le reste, le brillant de Raffanti (Capellio), la majesté charnue de Turco (Lorenzo) et le fruité extraordinaire des médiums de Trullu, toujours électrisante (Romeo), nous emportent vers ce que la Péninsule a produit de plus varié et enthousiasmant durant ces dernières décennies. Nettement préférable à la seule autre version (Dynamic, parue l'année dernière en CD et DVD), qui n'est pas horrible par ailleurs, mais n'atteint pas du tout ces mêmes frissons. [Si votre coffret Bongiovanni ne contient pas le livret, n'hésitez pas à me le demander, il est évidemment libre de droits…]

Un peu de contexte : l'œuvre méconnue d'un théoricien superstar
        Si Vaccai (dans sa variante orthographique courante, non dialectale) demeure un nom familier, c'est que son Metodo Pratico di Canto (1832) demeure toujours prisé des professeurs de chant, et donc familier à bien de jeunes apprentis chanteurs. Suite de vocalises progressives pour assouplir l'émission dans les phrases vocales les plus courantes, puis des airs courts écrits sur des poèmes de Métastase (et même des récitatifs !) dans le but de servir de support à la formation. Il s'agit donc bien de la même personne qui composa ce Giulietta e Romeo, avec un talent de créateur que ne laisse pas nécessairement supposer (comme pour Czerny !) sa réputation limitée à la pédagogie.

David Le Marrec

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