Carnets sur sol

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vendredi 5 septembre 2025

Leipzig-Nelsons : son d'orchestre, Mendelssohn dramatique & la magie Gerhaher


3 septembre 2025.
Mendelssohn, Symphonie n°5.
Brahms, Ein Deutsches Requiem.
Julia Kleiter, Christian Gerhaher, Chœur de l'Orchestre de Paris.
Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Andris Nelsons.

La rentrée à la Philharmonie se fait en juxtaposant les orchestres invités très prestigieux : Gewandhausorchester Leipzig (x2), Berliner Philharmoniker, Teatro alla Scala.

Comme ce sont essentiellement des œuvres vues et revues, je me suis simplement octroyé une petite gourmandise après deux mois sans orchestre, avec deux doudous personnels : Mendelssohn 5 et le Deutsches Requiem (avec Gerhaher de surcroît !).

Je n'ai jamais pu faire le deuil du Nelsons que j'ai « connu » au tout début de sa carrière internationale, lorsqu'il dirigeait encore des Vaisseau fantôme à Riga et que, très vite, il fut invité à Bayreuth pour Lohengrin. Lyrisme évident, élan dramatique, il était immédiatement séduisant et persuasif.
Et je n'ai jamais compris non seulement son choix de ne quasiment plus diriger que de la musique symphonique pure, mais surtout l'acharnement des plus grands orchestres à se l'arracher – alors que les résultats, en salle comme au disque, sont assez tièdes. (Et cet avis semble partagé par une vaste part des mélomanes.)

Pourtant.


L'orchestre

¶ D'abord, quelle émotion de réentendre un orchestre symphonique après deux mois d'interruption complète, sans un seul concert ! L'espacement des prises a fait du bien, et je retrouve le frisson de l'insolite et du beau.

¶ Disposition atypique : contrebasses tout à gauche, et de gauche à droite violons I, violoncelles, altos, violons II.

¶ Le son de Leipzig est toujours très singulier – ce qui n'est plus beaucoup le cas à l'échelle du monde, vu la circulation des artistes, y compris durant leur formation, des professeurs et des chefs d'orchestre –, avec ses cordes très sombres — et même les contrebasses les plus profondes que je connaisse ! Pour autant, au sein de cette couleur, les violons ont une véritable résonance brillante, comme s'ils jouaient des cordes à vide. (Seuls les meilleurs savent faire ça, on peut le rencontrer chez le Quatuor Brodsky ou chez l'Orchestre du Festival de Budapest, notamment.)
Les cors eux aussi adoptent cette couleur mate et ténébreuse, pas du tout la limpidité de la plupart des autres cors allemands, ou le brillant des cors américains, par exemple. J'aime beaucoup, dans la symphonie allemande (ils ont déjà donné la Troisième de Schumann à la Philharmonie, par exemple), cela procure une homogénéité de son très appréciable, d'autant plus que…

¶ … je suis frappé par l'audibilité de chaque pupitre. On peut entendre, à chaque instant, n'importe quelle partie, c'est assez miraculeux – et très stimulant intellectuellement, on voudrait que ce soit toujours le cas !

¶ Il me semble que le son des bois a un peu changé, je me rappelais pas de sons aussi « champêtres » et crus – la flûte solo est même à la limite de l'agréable, tant elle est capiteuse ! Le contraste avec les cordes et les cuivres est frappant, mais produit un relief très intéressant. Voilà un son d'orchestre qui ne manque pas de caractère !


Conception mendelssohnienne

¶ Je redoutais par-dessus tout la tiédeur et l'ennui ; il n'en fut rien. Nelsons ne fait aucune reprise chez Mendelssohn (ni dans l'exposition du I, ni dans le scherzo), ce qui est dommage vu la qualité de la musique, mais accentue ses choix : direction extrêmement vive (je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu ces quatre mouvements joués aussi vite, y compris séparément !), et attitude très dramatique, dans une ambiance d'ouverture d'opéra de Weber / Ries / Marschner / Loewe / Bruch.
C'est inattendu, dans une œuvre écrite pour des célébrations luthériennes (où elle ne fut jamais jouée), et traversée par des thèmes liturgiques (Amen de Dresde dans l'introduction du I, et bien sûr les variations sur Ein feste Burg ist unser Gott dans le IV), mais fonctionne extrêmement bien avec l'écriture de Mendelssohn, qui tient sans cesse la tension et se renouvelle en épisodes toujours très densément inspirés et singuliers.

¶ J'aurais dû détester les choix de phrasés, très césurés — typiquement, les énormes respirations avant les pianissimi, les effets de messa di voce symphonique, etc. Mais je trouve que, dans ce cadre très dramatique et avec un orchestre aux timbres aussi poétiques, tout cela fonctionne très bien – et ce n'est pas non plus systématique.

J'ai donc adoré cette symphonie de Mendelssohn, qui m'a à la fois ébloui instrumentalement, convaincu par son intensité dramatique et tout simplement touché au cœur – la plus belle musique qui soit, interprétée avec autant de flamme.
Une communion très inattendue avec Nelsons à la baguette, c'est la première fois pour moi !


Gerhaher superstar

¶ J'ai moins à dire sur le Deutsches Requiem. Sans doute, déjà, parce que je l'ai beaucoup entendu en salle ces dernières années, avec gourmandise et dans de grandes lectures — Noseda avec l'Orchestre de Paris, qui en faisait une grande fresque dramatique qui tenait presque du Requiem de Verdi, absolument ébouriffante, avec un Chœur de l'Orchestre de Paris à son sommet de séduction timbrale et d'engagement discursif ; ou, la saison dernière, sur crincrins et pouêt-pouêts avec le miraculeux Chœur Pygmalion.
Pour Leipzig, donc, on devinait les mêmes beautés à l'orchestre qu'en première partie, mais l'approche interprétative en était globalement beaucoup plus égale et lisse (plus nelsonsisante, en somme), et le grand effectif du chœur couvrait largement les timbres orchestraux. J'ai par exemple trouvé le traitement des fugues assez linéaire et égal, pas tout à fait au niveau de leur potentiel rhétorique.

¶ Je remarque tout de même, au passage, la parenté entre la clausule du II et les arpèges cordés du final de la symphonie de Mendelssohn : on voit que certains gestes orchestraux ont été transmis à la génération suivante !

Le Chœur de l'Orchestre de Paris se manifeste toujours par son soin linguistique : très beau travail sur la qualité des voyelles – et surtout la synchronisation des consonnes, vraiment bien ouéje ! –, un timbre qui a la transparence des voix d'amateurs mais une rigueur musicale qui a celle des pros.
Je remarque néanmoins, depuis quelques années, soit une hausse de mon exigence (ce qui est très possible), soit une baisse de la qualité : je trouve la diction parfois moins précise (très bien dans la première partie a cappella, moins dans les fugues) et le timbre s'est un peu dégradé. Quelquefois les voyelles « s'effondrent », comme s'il y avait un trou dans le timbre, et dans l'ensemble les timbres féminins m'ont paru de moindre qualité, en particulier les sopranos, un peu crus, moins juvéniles / transparents.

Julia Kleiter toujours singulière, avec son émission très pharyngée, qui trouve ici un très bel équilibre en l'affliction et la lumière, avec une émission plus large que ce qui est la coutume dans cet air.

¶ Et Christian Gerhaher toujours suprême… c'est, je crois, le seul chanteur qui sache à ce point varier à loisir son émission selon le besoin expressif. Avec formant (« voix d'opéra ») ou sans format (« émission naturelle »), avec métal ou sans métal, avec vibrato ou sans vibrato, plus ou moins nasal ou en bouche… C'est très impressionnant, quasiment miraculeux — en plus de la beauté du timbre et de la précision de l'expression. Un des très rares chanteurs à ne pas négocier ses voyelles pour ménager sa couverture vocale : les voyelles sont telles qu'elles doivent être, pas trafiquées, et même volontiers ouvertes (quoique couvertes) si nécessaire.
La projection est remarquable, on l'entend très bien même du fond et du haut de la Philharmonie, où l'acoustique est pourtant très difficile ; il faut dire qu'il utilise (très raisonnablement et joliment) son nez pour faire résonner le son, forcément on l'entend mieux que la norme des voix lyriques d'aujourd'hui. (Ne me relancez pas là-dessus s'il vous plaît.)

Je dois avouer m'être un peu moins passionné pour cette seconde partie : œuvre entendue il y a peu, conception un peu sage. Il y a des jours où Denn alles Fleisch me transporte et d'autres où il m'agace par ses répétitions ; de même, Selig sind, die das Leid tragen peut me magnétiser ou me laisser tranquillement me chauffer. Ce fut à chaque fois un pas très bon soir pour mon adhésion. J'ai même laissé un peu couler Selig sind die Toten en étant ailleurs, pas facile de se concentrer après une journée très dense (beaucoup de travail, de transports, et j'ai couru lire des trucs à Tolbiac entre la fin de ma journée et le début du concert), pour le mouvement le moins inspiré de l'œuvre et dans une interprétation particulièrement pudique.

Les moments où l'orchestre émergeait révélaient de réelles beautés, ce qui pose à nouveau la question de l'intérêt d'œuvres à effectifs pléthoriques où l'on n'entend pas bien ce qui se passe…


J'aurai le temps de me remettre un peu et de ne pas me saturer, pas de concert prévu pendant trois semaines. Et priorité aux raretés. Cette fois, c'était le petit bonbon de rentrée, une très belle réussite qui m'a permis de renouer avec le Nelsons perdu et l'émotion du concert symphonique.


David Le Marrec

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