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mardi 17 octobre 2017

Les opéras rares cette saison dans le monde – #1 : slaves orientaux (et voisinage)


Pour le principe de cette exploration, voir la première notule de la série.
◊ Les opéras sont d'abord classés par langue (quels que soient le lieu de la représentation, la langue d'origine du compositeur – ou même de l'œuvre), puis par âge des compositeurs ; les villes par ordre supposé d'accessibilité depuis la France.
En rouge, les titres qui donnent bien l'envie de s'engouffrer dans un avion. Avis personnel.

J'ai la fantaisie de débuter avec les Russes.

Ils sont assez nombreux en raison du choix d'inclure les titres peu donnés en France, voire en Europe centrale et occidentale ; à l'échelle de la Russie, les Glinka et Rimski sont tout à fait habituels.

Le reste du répertoire y est extrêmement conventionnel – opéras romantiques italiens surtout (et célèbres), mais j'ai été surpris de remarquer une assez grande présence de créations de compositeurs vivants (certes, uniquement à Saint-Pétersbourg et Moscou).

Beaucoup de concerts ou représentations sont donnés avec une date unique, surtout dans les villes moyennes (enfin, les grandes villes de Russie, mais pas les deux grandes). Même à Saint-Pétersbourg, les raretés du Mariinsky sont en général données un seul soir, en version de concert.
 



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Opéra de Yoshkar-Ola.




1. Opéras romantiques composés en russe

Glinka, Rouslan et Loudmila (Perm)
Glinka, Une vie pour le Tsar (Frankfurt-am-Main, Saint-Pétersbourg, Novgorod, Saratov)
→ Encore très marqués par les modèles européens, et en particulier italien, les opéras de Glinka ont la réputation d'inaugurer le genre – en réalité, il existe même des opéras de type seria au XVIIIe siècle écrits en langue russe. Mais Glinka a la particularité d'inventer un équilibre nouveau, et malgré le langage musical très dépouillé (un peu nu à mon gré, on n'est pas si loin des récitatifs italiens « blancs » ajoutés à la Médée de Cherubini), de donner une coloration locale forte à ses œuvres.
→ Le résultat a quelque chose du durchkomponiert de Weber (même si le climat n'est pas le même, la comparaison structurelle aec Euryanthe ne me paraît pas absurde). En tout cas une écriture assez continue, pas forcément très saillante, mais qui a fait école dans la façon très souple qu'on eu les Russes de traiter leurs « numéros » : même les grands mélodistes s'arrêtent peu pour écrire de grands airs.
→ À noter, à Francfort, l'opéra Une vie pour le Tsar est donné sous le titre préféré par les Soviétiques, Ivan Soussanine (pour exalter le sacrifice individuel pour le bien commun, plutôt que la religiosité tsariste, évidemment), mais je ne crois pas qu'il y ait de divergences musicales significatives entre ces versions.

Dargomyzhsky, Le Convive de pierre (Bolchoï de Moscou)
→ L'opéra est très populaire en Russie, souvent donné (même capté en studio pour la télévision à l'époque soviétique) : il reprend littéralement la pièce de Pouchkine, et se compose surtout de récitatifs austères, ponctués de quelques numéros musicaux plus galants. Une belle œuvre qui place le verbe au premier plan, et qu'on ne donne guère hors du pays. [Quant à sa Rusalka là aussi pouchkinienne, on ne la donne plus guère, même en Russie, malgré ses qualités.]
→ Don Juan est ici pour la première fois sincèrement et fidèlement amoureux, mais c'est de Donna Anna en pleurs sur la tombe du Commandeur.
→ La version usuellement donnée est celle de 1903 (créée en 1907), achevée par César Cui, réorchestrée par Rimski-Korsakov – et partiellement remaniée par le même, notamment avec l'ajout du Prélude.

Rubinstein, Le Démon (Barcelone)
→ Moins russisant que ses camarades de la même génération (années 1830-40), Rubinstein propose un opéra qui combine une forme de lyrisme mélodique russe à une violence dramatique qui évoque plutôt les Allemands (Marschner en particulier, sujet fantastique aidant). Un démon veut triompher d'une femme vertueuse. Et c'est compliqué.

Borodine, Le Prince Igor (Saint-Pétersbourg, Novaya Opera de Moscou, Rostov, Saratov)
→ Le grand classique inachevé, d'un patriotisme assez simple (le Prince trahit sa parole envers ses ravisseurs pour sauver l'Empire), toujours à la mode en Occident pour ses danses barbares polovstiennes (dont je n'ai jamais trop saisi la force, je l'admets). Complété par ses potes du Groupe des Cinq, il contient de belles choses, mais on demeure dans cette première manière de l'opéra russe, assez hiératique. Il y a tout de même le merveilleux air du Prince captif, une mélodie envoûtante, un récit poignant, dans le même esprit que le grand air deBoris sur le pouvoir (dans la révision de 1872) – on pourrait le donner plus fréquemment en récital.

Moussorgski, La Khovanchtchina (Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
→ Fréquent en Russie, plus rare ailleurs, même s'il est quelquefois donné dans les maisons d'Europe et des États-Unis. Grande fresque bien connue sur les bouleversements politiques russes, là aussi inachevée, disposant de multiples adaptations, et se répandant en longues scènes closes très impressionnantes.

Tchaïkovski, Opritchnik (Saint-Pétersbourg)
→ Il n'en existe que peu de versions discographiques, toutes anciennes (pas forcément des prises officielles, pas forcément disponibles non plus), et aucune avec livret. Pourtant, une vaste œuvre de 2h40, de TCHAÏKOVSKI, pas du neveu de ma belle-sœur… Une de ses partitions les plus russes, pourtant, très contrastée et intense – dont l'atmosphère culmine dans un grand chœur masculin a cappella suivie dans une grande scène emportée de ténor avec choral de cuivres… Une merveille qui s'élève au niveau d'Onéguine et de la Dame de Pique, expansive dramatiquement, foisonnante musicalement, et regorgeant de mélodies merveilleuses.
→ Sensiblement aussi incompréhensible pour moi reste l'absence de L'Enchanteresse (dont j'ai peiné à trouver le livret – russe seulement – et la partition), musique remarquable (du Tchaïkovski très romantique, tout simplement), livret très exploitable, qu'on ne joue jamais, pas même en Russie (au disque, deux enregistrements, sans livret). Et Vakoula le Forgeron (version originale des Souliers de la reine), dont il n'existe RIEN au disque.

Tchaïkovski, Mazeppa à Gera (Thuringe), Saint-Pétersbourg (Mariinsky), Moscou (Helikon), Kharkiv (Ukraine Nord-Est) et Novgorod.
Tchaïkovski, La Pucelle d'Orléans (Leberec en Tchéquie septentrionale, Ufa en Russie centrale)
Mazeppa a un peu été donné en Europe, la Pucelle très peu. Le premier est dans un langage romantique très sobre, avec beaucoup de scènes champêtres, d'ensembles assez simples… l'œuvre regarde plutôt du côté de Glinka. La Pucelle est plus étrange, bidouillant l'histoire-historique très au delà de la vie intime des protagonistes ; assez disparate musicalement aussi, mais pourvue de réelles beautés d'un style assez inédit.

Rimski-Korsakov, Snegourotchka (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou)
Rimski-Korsakov, Sadko (Saint-Pétersbourg, Krasnoïarsk)
Rimski-Korsakov, Mozart et Salieri (Helikon de Moscou, Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
Rimski-Korsakov, La Fiancée du Tsar à Kaunas (Lituanie), Minsk (Biélorussie), Donetsk (Est de l'Ukraine, voyage pas recommandé), Rostov, Bolchoï de Moscou, Novaya Opera de Moscou, Ekaterinburg, Tcheliabinsk (Russie, au Nord du Kazakhstan), Novgorod?
Rimski-Korsakov, Tsar Saltan (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou, Tel Aviv)
Rimski-Korsakov, Servilia (Opéra de Chambre de Moscou)
Rimski-Korsakov, Kastcheï l'Immortel à Minsk (Biélorussie) et Yoshkar-Ola (Russie)
Rimski-Korsakov, Kitège (Saint-Pétersbourg)
Rimski-Korsakov, Le Coq d'or (Staatsoperette de Dresde – quelle langue ?, Saint-Péterbourg)
→ On ne joue que ponctuellement Rimski hors de Russie, mais en Russie, son répertoire y tourne assez bien, même si l'ensemble de ses opéras n'y sont pas forcément joués. Par rapport à l'état du legs de César Cui (dont on attend une remise au jour de Mateo Falcone, pour commencer !), c'est vraiment la gloire intersidérale.
→ Le catalogue comporte des œuvres très diverses, entre le récitatif très brut de Mozart et Salieri, les saynètes de contes bigarrés (Sadko, Saltan) ou plus lyriques (La Fille de Neige), voire ténébreux (le Coq), les grands opéras historiques (la Fiancée) ou féeriques (Kitège)… J'aime particulièrement pour ma part le caractère très direct de l'harmonie, le galbe de la parole dans la Fiancée, mais c'est pure inclination personnelle, le reste est remarquable aussi.
→ Ladite fiancée est régulièrement jouée, certes, mais tout de bon plébiscitée cette année dans la zone d'influence, et ce n'est pas sans implication géopolitique, j'en parlerai.

Taneïev
, Oresteïa (Saratov)
→ Dans L'Orestie, Taneïev présente plutôt le jour paisible et assez académique de ses quatuors à cordes ou de ses symphonies, même si les trouvailles y sont plus saillantes. Il ne faut pas nécessairement en espérer les moments de grace de ses trio avec piano, quatuor avec piano, quintettes à cordes ou avec piano… Pour autant, c'est peu donné, et pas du tout dénué d'intérêt.





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Opéra d'Ekaterinburg.





2. Opéras des écoles du XXe siècle composés en russe

Rachmaninov, Aleko (Kiel, Glasgow)
Rachmaninov, Francesca da Rimini (Kiel, Glasgow, Saint-Pétersbourg)
→ Deux bijoux absolus, qui sont assez régulièrement donnés en Europe occidentale ces dernières années (Paris en concert pour Rimini, Nancy, Bruxelles…).
Aleko, à défaut d'intrigue complexe, propose une sorte de quintessence de l'épanchement russe – dans une veine post-Rimski plutôt que réellement rachmaninovienne, et réellement calibrée pour l'opéra. Quant à Francesca, elle demeure une expérience proprement hallucinatoire en salle, avec l'effet tournoyant de son chœur de damnés qui mime les premiers cercles des enfers dantesques.
(Pas de Chevalier ladre cette année sur Terre.)

Stravinski, Mavra (Opéra de Chambre de Moscou)
Stravinski, Le Rossignol (Saint-Pétersbourg)
→ Encore une fois un choix varié, entre l'opéra comique Mavra et la féerie ineffable du Rossignol, sorte de parent vocal de l'Oiseau de feu, mais creusant déjà des univers beaucoup plus modernes et sophistiqués, moins mélodiques aussi.

Prokofiev, Le Joueur (Anvers, Bâle, Staatsoper de Vienne, Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, L'Ange de feu (Glasgow, Varsovie)
Prokofiev, Semyon Kotko (Saint-Pétersbourg)
Prokofiev, Les Fiançailles au couvent (Mariinsky de Saint-Pétersbourg, Opéra de Chambre de Saint-Pétersbourg, Stanislavski de Moscou)
Prokofiev, Velikan, pièce pour enfant (Mikhaïlovski de Saint-Pétersbourg)
→ Sans surprise, l'Amour des trois Oranges est le plus joué dans le monde, et un peu partout (donc absent de la sélection). Pour le reste, le plus impressionnant reste bien sûr L'Ange de feu, d'un expressionnisme flamboyant et redoutable, composé sur près d'une décennie, et qui fournit l'essentiel de la matière thématique de la Troisième Symphonie : l'atmosphère en est saisissante, même si ce n'est pas, en ce qui me concerne, mon langage d'élection.
Les Fiançailles au couvent sont une comédie assez chargée musicalement (donc intéressante) et pas vraiment drôle ; quant à Kotko, vraiment peu donné, c'est un opéra autour d'un soldat de retour du front (mais le père de sa bien-aimée est contre-révolutionnaire), du véritable réalisme soviétique (1939 !) avant l'Homme véritable, et dont la matière dramatique et musicale m'a toujours paru un peu mince, mais c'est peut-être trop loin de mes inclinations pour que j'en saisisse toute la portée. [Je ne connais personne qui aime ça très fort, cela dit.]

Chostakovitch, Moscou, Quartier des cerises à Braunschweig (Basse-Saxe) et Gelsenkirchen (Ruhr).
→ Opéra léger charmant, qui ne contient pas de matière musique de première classe, mais qui n'est pas dépourvu d'attraits. Plutôt le Chosta des Suites de jazz, mais plus du côté de la chansonnette que du sirop.
Chostakovitch, Les Joueurs (Saint-Pétersbourg)
→ Opéra inachevé qui laisse voir de très belles choses, en particulier des ensembles intéressants.

Vainberg / Weinberg, La Passagère à Frankfurt (Hesse), Aarhus (Danemark), Saint-Péterbourg, Moscou (Novaya Opera), Ekaterinburg.
→ Véritable hit européen inattendu, cette saison, après une résurrection assez récente (première exécution complètement scénique en 2010 !) – et une renommée certes flatteuse du compositeur, mais pour autant loin d'occuper les saisons symphoniques ou chambristes européennes.
→ Il faut dire que le sujet a tout pour séduire la communication d'un opéra européen : le pitch inclut à la fois les PTSD (Syndromes post-traumatiques) et les Camps de la mort. Cela dit, force est d'admettre que Vainberg réussit remarquablement son affaire.
→ Car le livret repose sur un dispositif double : la Passagère sur un bateau de croisière, croit reconnaître une prisonnière, ancienne détenue au camp d'Auschwitz (où elle exerçait comme garde, ce qu'ignore son mari). La prisonnière est morte, en principe, mais cela donne l'occasion de faire dialoguer le « présent » sur le pont supérieur avec la vie du camp représentée sur le pont inférieur.
→ Musicalement, on reste dans l'univers soviétique, mais avec une douceur inhabituelle : rien de mélodique ni de suave, bien sûr, mais pas de paroxysmes ni de grincements non plus, une évocation assez subtile, qui épargne aussi, musicalement, la complaisance lugubre.
Vainberg / Weinberg, L'Idiot (Saint-Pétersbourg)
→ Beaucoup plus tardif (1985), pas encore testé : très rare, contrairement à la Passagère qui a été captée en vidéo et a parcouru l'Europe ces dernières années.

Chtchédrine, Les Âmes mortes (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Un Conte de Noël (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Le Gaucher (Saint-Pétersbourg)
Chtchédrine, Pas seulement de l'amour (Saint-Pétersbourg)
(ou Shchedrin)
→ Compositeur toujours vivant mais emblématique et patrimonial depuis longtemps (l'auteur de la Suite balletistique de Carmen pour cordes et percussions, à l'intention de son épouse Maria Plissetskaïa !), pas forcément le plus fascinant en musique instrumentale, mais extraordinairement à l'aise avec la scène, auteur de multiples ballets et opéras. J'avais mentionné dans une notule certains détails du Vagabond ensorcelé.
→ Je n'ai entendu aucun des quatre (sont-ils seulement disponibles ?), mais l'adaptation de Gogol rend très curieux !

Butsko, Nuits blanches (Saint-Pétersbourg)
→ Le langage de Yuri Butsko est très consonant et tonal – voire un brin pépère, mais joliment atmosphérique – dans ses symphonies, mais je n'ai pas essayé ses opéras, c'est là le genre de défaut qui peut être très utile pour écrire de la musique dramatique.





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Théâtre académique musical Stanislavsky de Moscou.





3. Opéras traduits en russe

Wagner
, www.nibelungopera.ru – adaptation en russe ? (Helikon de Moscou)
→ Compositeur allemand, contemporain exact de Dargomyzhsky, assez connu dans les pays germanophones semble-t-il. Le titre du spectacle est aussi l'adresse d'un site réel, cliquez dessus pour apprécier le sens esthétique russe. Je suppose qu'il doit s'agir d'une version réduite (et probablement russe, vu le nom de domaine ?) du Ring, un pluri-opéra assez long à base de folklore scandinave qui a fait la réputation de son auteur.

Rota
, Aladin et la lampe magique – en russe (Stanislavski de Moscou)
→ Compositeur d'opéras délicieusement consonants et rétro, ici traduit en russe. Quelle curiosité piquante !

Menotti, The Telephone – probablement en russe (Helikon de Moscou)
→ Un des titres les plus charmants de tout le répertoire, musique très accessible (mais plus en conversationnel qu'en sirop flonflonnisant), une saynète sur l'intrusion des technologies dans la vie sociale et amoureuse. Il est souvent traduit en langue vernaculaire (je l'ai vu sur scène en français il y a quelques années, et il est donné cette saison en suédois à Göteborg), un moment délicieux dont je me sens encore tout imprégné.





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Opéra Helikon de Moscou.





4. Opéras en russe de compositeurs vivants

(Sergueï) Banevich, L'Histoire de Kai et Gerda (Saint-Pétersbourg, Bolchoï de Moscou)
→ Je ne connais que son œuvre pour piano. Très consonante et même naïve – du Chopin simplifié.

(Alexander) Zhurbin, Métamorphose[s?] de l'Amour (Stanislavski de Moscou)
→ De la tonalité errante typiquement soviétique (mais capable d'être primesautier, chose rare dans cette génération – né en 1945) dans ses symphonies, mais aussi de véritables chansons… je suis plutôt curieux de ses opéras. [Les crochets sont de moi, je ne disposais que du titre traduit en anglais, où le pluriel est indécelable.]

(Efrem) Podgaits, Sa Majesté des Mouches (Théâtre Musical des Enfants de Moscou)
→ Joli sujet bien dramatique pour un opéra. Par ailleurs, Podgaits écrit remarquablement pour chœur (tonal mais avec beaucoup de notes étrangères et d'accords très riches), dans une tradition sophistiquée qui évoque plutôt les Scandinaves et les Baltes que lesRusses. Très appétissant.

(Jay) Reise, Rasputin – traduit en russe (Helikon de Moscou)
→ Autour de la figure politique intriguante de la fin de l'Empire, un opéra plutôt bien écrit (dans un langage intermédiaire), déjà donné dans une mise en scène olé-olé (défilé de nus…) typique du potentiel du Helikon. Doit assez bien fonctionner en vrai – pas seulement visuellement, je veux dire.

(Alexander) Manotskov, Chaadsky (Helikon de Moscou)
→ Alexander Manotskov écrit ses opéras dans un mélange pas forcément tonal mais très polarisé, naviguant entre le post-varésien très édulcoré et le folklorisme d'unissons dans une veine plus Carmina Burana slave, avec beaucoup de langages intermédiaires (accords de piano minimalistes aussi bien que simili-Britten, par exemple). Particulièrement versatile et varié, sans être toujours excellent dans chaque exercice. Je n'en ai pas assez écouté jusqu'ici pour déterminer si c'est plaisant ou irritant en fin de compte.

(Alexander) Tchaïkovski, Motiy et Saveloy (Théâtre Musical des Enfants à Moscou)
→ Plusieurs opéras de lui (manifestement pour enfants, je ne les ai pas mentionnés) au programme. A. Tchaïkovski aime beaucoup les ostinati, sa musique est assez planante, sans refuser les frottements – un peu dans la veine de Silvestrov, si l'on veut, mais un Silvestrov davantage dans le ressassement et moins dans la contemplation étale. Pas sûr que ça sonne très bien à l'opéra, mais ce n'est pas désagréable du tout en instrumental, à défaut d'être toujours nourrissant.





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Opéra de Lviv.





5. Opéras en ukrainien

Lysenko, Natalka Poltavka (Kiev, Lviv à l'Extrême-Ouest)
→ Contemporain de Tchaïkovski et Rimski-Korsakov (né en 1842, mort en 1912), ethnomusicologue, on ne fait pas plus emblématique d'un patrimoine.
→ Par ailleurs, l'œuvre n'a pas été conçue comme un opéra, mais comme une musique de scène pour la pièce d'Ivan Kotlyarevsky, qui raconte une histoire d'amour constant. Natalka attend son fiancé parti travailler à l'étranger plutôt que d'épouser le riche prétendant du coin – un peu l'histoire des enfants que les primatologues testent pour vérifier s'ils attendent de manger leur bonbon lorsqu'on leur en promet un second. La version de Lysenko (ébauchée en 1864 mais présentée en 1889 !) n'est qu'un habillage musical étendu des chansons folkloriques qui émaillaient déjà les représentations de la pièe : accompagnement orchestral, ajout de numéros musicaux.
→ Le langage musical de Mykola Lysenko est celui d'un compositeur centre-européen du temps, dans la veine de Gade, Smetana, Hamerik… Rien de spectaculairement inspiré néanmoins (je n'ai pas écouté Poltavka cela dit !), mais de la musique romantique bien faite.
→ Je ne sais pas si l'on joue toujours à Kiev la révision de 2007 qui avait ajoué des instruments folkloriques et n'avait pas suscité l'enthousiasme. À Lviv, en principe, c'est la version d'origine de Lysenko qu'on joue – et dans un coin tranquille de l'Ukraine.

(Je ne connais quasiment rien en ukrainien, mais les Polonais la décrivent en général comme une langue extrêmement proche, plus que du russe… Pourtant, la création, en 1889, eut lieu à Odessa, en langue russe.)





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Opéra de Kazan.
(Je n'avais pas été très impressionné par leur orchestre… ni leurs décors carton-pâte.)






6. Opéras en tatar

Langue du groupe turc, peuple répandu sur toute la frontière Sud de la Russie, aux extrémités Est et Ouest du Kazakhstan, nombreux en Crimée et à l'Ouest de la Biélorussie…

Cihanov (russisé en Zhiganov), Cälil (ou Jalil) – à Kazan (en Russie, capitale de la République du Tatarstan – c'est-à-dire le long d'un coude de Volga)
→ Ce que je connais de Näcip Cihanov (Nazib Zhiganov, né en 1911) n'est pas le raffinement même – plutôt les grosses fanfares avec cuivres en fffff toutes percussions dehors et les cordes en unisson qui débouchent sur de grands climax filmiques éclairés par les zébrures des fifres ! –, mais dans un opéra exaltant un minimum patriotique, ce doit pouvoir très bien fonctionner.
→ Il faut dire que le sujet s'y prête particulièrement : Musa Cälil, poète kazakh, par ailleurs auteur d'un livret d'opéra, est fait prisonnier en Pologne en 1942. Il rejoint alors la « légion nationale » Volga-Tatar formée par les prisonniers des allemands pour combattre les soviétiques sur leur propre sol. Enrôlé sous un faux nom, il infiltre l'unité de propagande, utilise ses moyens pour diffuser des tracts séditieux, prépare la rébellion, jusqu'à ce que le premier bataillon tatar parte sur le front… et abatte tous ses officiers nazis. Les mutins sont arrêtés par la Gestapo en Biélorussie, et Cälil (âgé de 38 ans) et ses compagnons, non sans laisser des carnets (Le Serment de l'Artilleur), sont guillotinés à Berlin.





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Opéra de Tbilissi.





7. Opéras en géorgien

Même aire culturelle, mais le géorgien appartient à une branche isolée (langues kartvéliennes) qui n'est ni indo-européenne, ni même forcément reliée à la grande famille eurasiatique – jusque dans la théorie non validée des langues nostratiques, tous les linguistes n'incluent pas le géorgien dans ce groupe pourtant immense.

Paliaşvili (/ Paliashvili / ფალიაშვილი), Abesalom da Eteri (Tbilissi)
→ D'allure très folklorisante, l'œuvre de Zakaria Paliaşvili, d'une tonalité très confortable (né en 1871), met en valeur la danse locale, quelque part entre Le Prince Igor, Carmen et Aladdin (de Nielsen). Vocalement, on est plutôt du côté d'Aida et de la Dame de Pique. Vraiment pas vilain !





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Opéra de Donetsk.





8. Remarques générales

Saint-Pétersbourg. Vous aurez remarqué la quantité de titres (fussent-ils à date unique) qui circulent au Mariinsky (un seul des opéras relevés est au Mikhaïlovski). La plupart des raretés mentionnées y sont, et le grand répertoire y est tout autant représenté !

Petit détail qui m'a frappé en parcourant toutes ces saisons. À Kiev (et Lviv, tout à l'Ouest, proche de la Pologne), on joue l'opéra de Lysenko en ukrainien, une composition de la fin du XIXe siècle sur une pièce locale du début du XIXe siècle, débordant de chansons empruntées au folklore. Dans le même temps, à Donietsk, on joue La Fiancée du Tsar, pilier du répertoire russe – certes, le Tsar y est méchant (on parle d'Ivan le Terrible enlevant ses femmes…), ce n'est pas Ivan Soussanine non plus… mais tout de même, un fleuron de la culture russe, et le Tsar.
Ce n'est évidemment pas anodin : même dans un lieu aussi peu déterminant sur les consciences politiques que l'opéra, la guerre s'insinue et dicte les commandes ou les envies artistiques. Frappant d'y être replongé au détour de cette promenade virtuelle festive.





À bientôt pour la solide centaine d'autres opéras rares au programme cette saison, quelque part sur Terre !

David Le Marrec

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