Carnets sur sol

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vendredi 27 novembre 2009

Brahms - Romanzen aus L. Tiecks Magelone ('Die schöne Magelone') - Goerne / Haefliger / Génovèse (TCE 2009)


(Théâtre des Champs-Elysées à Paris, 26 novembre 2009.)

Excellente initiative d'avoir ainsi reconstitué les soirées de lied, entrecoupées de lectures, qui redonnent sens aux poèmes très abstraits et aux lieder très homogènes de ce cycle. Le texte de Tieck retrouve alors toute sa dimension. Car le terme de romance ne doit pas être entendu ici dans le sens de la bluette de salon qui se répand à partir de la fin du XVIIIe siècle jusqu'au premier quart du XXe siècle français, mais dans le sens plus archaïque de 'chanson romanesque', 'récit versifié de hauts exploits'. Le texte de présentation du concert précise que c'est à dessein que Brahms l'emploie à rebours, mais il faut dire que c'est surtout parce que l'allemand a conservé ce sens - la 'Romanze' et un genre cousin du conte et de la ballade, un genre narratif donc (au contraire des poèmes galants de Marie-Antoinette et d'après).

Eric Génovèse relate ainsi (en français) de longues plages de prose qui singent de loin les lais médiévaux, pour donner sens. Son style est typiquement icomédie française/i : voix parfaitement placée, sonore, articulée, mais assez homogène dans les inflexions, finalement une lecture assez peu débridée, alors que ses longues interventions, qui n'avaient rien des résumés habituels des récitants, auraient volontiers souffert un peu de folie, surtout devant un ensemble de lieder assez peu variés et aux côtés de la voix grise de Matthias Goerne.

Suite de la notule.

R. Strauss - Salomé enfant - Opéra Bastille, novembre 2009


1. Programme

(Mercredi 25 novembre.)

Direction musicale : Alain Altinoglu
Orchestre de l’Opéra National de Paris

Mise en scène : Lev Dodin
Décors et costumes : David Borovsky
Lumières : Jean Kalman
Chorégraphie : Jourii Vassilkov
Valerii Galendeev : Collaboration artistique

Salome : Camilla Nylund
Jochanaan : Vincent Le Texier
Herodias : Julia Juon
Herodes : Thomas Moser
Narraboth : Xavier Mas
Page der Herodias : Varduhi Abrahamyan

Erster Jude : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Zweiter Jude : Eric Huchet
Dritter Jude : Vincent Delhoume
Vierter Jude : Andreas Jäggi
Fünfter Jude : Gregory Reinhart
Erster Soldat : Nicolas Courjal
Zweiter Soldat : Scott Wilde
Erster Nazarener : Nahuel Di Pierro
Zweiter Nazarener : Ugo Rabec
Ein Cappadocier : Antoine Garcin

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2. Situation

Placé dans les tout premiers rangs d'orchestre grâce à un bon plan hasardeux, et heureusement (effectivement Nylund est peu sonore et Altinoglu au contraire assez volumineux).

Mais, de là à Bastille, on sent les voix, et on se plonge de ce fait bien mieux dans le drame (la première fois aussi que je dispose d'un siège, qui sont parfaitement confortables...).

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3. Oeuvre et mise en scène

Il faut dire que dans Salome, pas un instant de répit musical ou dramatique, tout est terriblement dense ; la traduction de Hedwig Lachmann est très comparable à l'essence du texte original de Wilde, et la musique à la fois exotique, voluptueuse, riche et violente est un sommet de l'histoire musicale, un grand flot de fulgurances ininterrompues.

La mise en scène de Lev Dodin bénéficie d'un bel espace scénique. Escalier à gauche (qui n'est malheureusement employé que pour la danse de Salomé), fenêtre à droite (d'où les Cinq Juifs contemplent, horrifiés et vindicatifs, les blasphèmes d'Hérode) ; au fond des cyprès ou des pics montagneux qui évoquent de très près les peintures mythologiques de Gustave Moreau - le procédé d'emprunt aux peintres est souvent heureux, il suffit de considérer l'usage de Böcklin par Richard Peduzzi pour le Ring de Patrice Chéreau à Bayreuth.

Derrière ces formes fantastiques se tient une lune qui traverse le fond de scène de cour en jardin durant l'intrigue. Ce n'est pas tout à fait un accessoire anodin : tous les personnages lui accordent une grande importance au début, en particulier le page et Salomé. Pour cette dernière, la lune est un symbole de chasteté, et lorsque Salomé contemple Jean-Baptiste, elle se met à clignoter furieusement, comme affolée par des signaux nouveaux qui parviennent à la jeune fille. L'équilibre entre jour et nuit fluctue lui aussi au gré de l'action (l'orangé dans le bleuté du fond de scène croît ou décroît selon le sens des scènes).

La mise en scène, malgré un côté modérément mobile et pas très originale, ménage un certain nombre de ces détails signifiants qui font vraiment plaisir à goûter, qui apportent à la pensée.

Il est un peu dommage que la lecture de Dodin se limite donc, dans sa direction d'acteurs proprement dite, à l'image d'une Salomé enfant qui fait son caprice. Certes, le texte comprend cela, mais de même que Salomé n'est pas une femme aboutie, en faire une enfant capricieuse est altérer sa dimension fondamentalement ambiguë, enfant qui désire, et adulte incapable de supporter la frustration - adolescente pour tout dire. Sa folie aussi se résume à un caprice, fort bien argumenté par Dodin au demeurant, mais qui ne grandit pas tout à fait le mythe. Comme Camilla Nylund incarne à la perfection ces directives, on s'en repaît sans murmurer, mais le metteur a manifesté suffisamment d'idées par ailleurs pour qu'on reste sur sa faim sur ce choix constant, sans réelles ambivalences.

Bref, on est très loin de la catastrophe de la Dame de Pique mais on retrouve peut-être le côté réducteur du concept unique.

Il n'empêche que le résultat est tout à fait délectable, entendons-nous bien.

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4. Interprétation

Suite de la notule.

dimanche 22 novembre 2009

Henrik IBSEN - Rosmersholm (1886) par Stéphane Braunschweig (Théâtre de la Colline)

Vu aujourd'hui.

Les thèmes brassés et les façons convient à une expérience du même ordre que Brand mais avec un texte et une réalisation scénique plus fins encore, s'il est possible.

On y retrouve les questions obsédantes d'Ibsen : la pureté est indispensable à la réussite, et la conservation de cette pureté implique tous les sacrifices, jusqu'à la destruction de l'individu (qui ne peut donc plus réussir). Ici, ce n'est plus l'esprit fanatique d'un pasteur idéaliste, mais un jeu entre plusieurs personnages autour d'un ancien pasteur veuf, dont on ne parviendra jamais véritablement à démêler qui manipule qui, et avec quel degré de conscience.
Le poids de l'ascendance et du Nord du pays sont toujours écrasants.

On y retrouve aussi les questionnements politiques d'Ibsen : la nouveauté et la réforme sont admirées par leur panache, mais elles sont toujours erronées. Elles perdent aussi, mais la société conservatrice, qui a raison sans doute dans son analyse du monde, est elle laide, désabusée et corrompue. De ce fait Ibsen semble épouser aussi bien l'aspiration à l'amélioration du monde que l'affirmation que le changement est forcément insensé et mauvais, l'oeuvre de fanatiques. On voit bien cette plongée dans l'absurde du règne de Julien l'Apostat dans Empereur et Galiléen.

Mais dans Rosmersholm, on atteint un faîte dans la finesse psychologique. Ces théories qui se bousculent, formulées avec sincérité mais pour se mentir à soi-même, ces contradictions crédibles mais non résolues restent à la fois ouvertes et pleinement cohérentes. Chez Ibsen, ce sont les contradictions de discours qui brossent le mieux le portrait des personnages. Ils se révèlent par où ils se fissurent à l'épreuve de la vie.

La traduction est toujours la nouvelle d'Eloi Recoing pour Actes Sud.

Suite de la notule.

samedi 21 novembre 2009

Céphale et Procris de Grétry à l'Opéra Royal de Versailles - carnetage sur le vif

Pour la réouverture de l'Opéra Royal de Versailles, ce ballet de Grétry est recréé, et diffusé en direct sur Arte Liveweb. Nous commentons en simultané.

http://liveweb.arte.tv/fr/video/Cephale_et_Procris_-_Grandes_journees_Gretry/

20h55 - Il s'agit comme prévu d'un ballet très vocal. La musique en est allante et très touchante. Plus qu'à Grétry, on pense au Déserteur de Monsigny (en mieux), à Méhul et surtout à La Mort d'Abel de Kreutzer, bref au meilleur de cette époque. On ne trouve pas l'originalité d'Andromaque, mais un charme très sûr qui dépasse le Grétry des opéras-comiques de quelques dizaines de têtes.

21h01 - Bénédicte Tauran (l'Aurore) et Pierre-Yves Pruvot (Céphale) sont comme prévu idéaux (diction parfaite, mordant des phrases, goût, beauté de timbre...). Les Agrémens admirables comme d'habitude, mais cette période dans cette nation est leur spécialité.

21h06 - Autant le visionnage du Guillaume Tell de Grétry s'est avéré franchement peu passionnant,

Suite de la notule.

vendredi 20 novembre 2009

Actualités vidéos de tragédie lyrique en ligne


On peut profiter des concerts des Arts Florissants à la Cité de la Musique et à la salle Pleyel, dont le tout dernier. Superlatif d'ailleurs, on en parlera au moins sous l'angle des oeuvres, où les typicités des compositeurs s'exhalaient à plein.
Tous ces concerts se trouvent en ligne pour deux mois !

Par ailleurs, demain se joue Céphale et Procris de Grétry à la Cour l'Opéra Royal de Versailles. C'est archicomplet depuis longtemps, réouverture oblige (et de toute façon hors de prix), mais l'oeuvre semble d'un intérêt presque comparable à Andromaque. En tout cas inspirée dans la meilleure veine de Grétry, avec tout ce que sa maîtrise technique lui permet lorsqu'il ne compose pas dans les genres les plus ingénus.

On pourra le voir demain en direct (puis un peu plus tard en différé pendant quelque temps) sur Arte Liveweb, mais d'ores et déjà les extraits du disque de Sophie Karthäuser avec l'excellent ensemble Les Agrémens, qui contient, outre des ballets, des ariettes de l'Aurore, permet de s'en faire une idée très prometteuse. On peut si besoin en écouter quelques extraits sur Amazon.fr.

Décidément, il n'est plus possible de considérer Grétry avec condescendance. Le pari de la réhabilitation par l'Année Grétry est amplement réussi ; il est rare qu'un compositeur puisse ainsi changer de dimension, mais c'est tout simplement qu'il était connu par une part très partielle de son travail et de son potentiel - un peu comme si Mozart n'était connu que pour ses Sonates pour piano.

mercredi 11 novembre 2009

L'acte II de Tristan und Isolde (Harding TCE 2009) et les abîmes psychologiques d'un spectateur


Au sein d'une semaine difficile et chargée, un mot et quelques méditations autour de la représentation du deuxième acte de Tristan, au Théâtre des Champs-Elysées.

La soirée débutait par le Prélude du premier acte, directement enchaîné à l'acte II.

On peut faire rapidement le point sur la distribution avant de dire un mot, peut-être, sur quelques impressions subjectives sur l'oeuvre. Oui, c'est là un sujet bien frivole pour ces sévères lieux qu'un commentaire de distribution starisante, mais on l'a promis à qui se reconnaîtra. Et puis l'on profite des derniers moments de sous-traitance des lutins, bientôt appelés pour d'autres travaux plus manufacturiers à Qeqertasuag ou à Thulé.

Suite de la notule.

lundi 2 novembre 2009

Andromaque de... Grétry - (Niquet, TCE 2009) - IV - La musique : une oeuvre de la quatrième école


Et musicalement ? On en viendra en dernier lieu à l'exécution de haute volée, avec sans doute un petit manque d'abandon de la part des chanteurs, mieux vaut aborder la qualité musicale de l'oeuvre elle-même, c'est le plus urgent.


Pour accompagner votre lecture, un extrait saisissant du Thésée de François-Joseph Gossec, dont il sera question en fin de notule. Duo de manipulation entre Médée et Egée.
Capté à Versailles par France Musique[s] le 29 novembre 2006.
On entend le merveilleux grain vocal et verbal de Hjördis Thébault (à qui je dois des excuses) et l'enthousiasme toujours communicatif de Pierre-Yves Pruvot, qui a beaucoup fait pour ce répertoire. Accompagnement exemplaire du Parlement de Musique dirigé comme il se doit par Martin Gester.


4. La musique
4.1. La quatrième école

On renvoie, pour cette question de genre, les lecteurs à nos présentations sur les écoles de tragédie lyrique, et en particulier à cette notule consacrée à la quatrième école, qui n'appartient plus à la sphère du baroque musical.

Pour résumer tout de même la situation :

  • La tragédie lyrique naît du désir du roi (Louis XIV) de posséder son propre théâtre à machines, et son propre opéra, en français. D'où procèdent les contraintes du genre, en opposition avec la tragédie classique (divertissements dansés, changements de décor, parfois à vue, omniprésence du surnaturel).
  • La première école est celle qu'on peut attacher à Lully, très proche du texte, solennelle dans son maintien.
  • La deuxième est celle de l'épanouissement : toujours très proche de la prosodie, mais avec plus de fluidité, plus d'airs, plus de coquetteries, plus de contrepoint. Plus de variété musicale aussi, et plus de spectaculaire.
  • La troisième, attachée à Rameau, s'éloigne de la primauté du texte pour favoriser la musique, et particulière les effets spectaculaires. C'est le triomphe aussi bien des orages spectaculaires que des mignardises galantes. Les livrets s'affadissent considérablement.
  • La quatrième école est à concevoir en rupture avec la précédente : sous l'impulsion de Gluck en particulier, la tragédie lyrique s'épure, mais à l'extrême : non seulement on revient à une harmonie et des rythmes très simples, mais en plus en reserre l'action, on écarte autant que possible les dieux, on diminue les ballets. On se recentre sur le texte (pas toujours excellent pour autant), et surtout sur les sentiments des personnages, beaucoup plus subjectifs que grandioses.


Il convient de rappeler ici que cette classification n'a rien d'officiel, et qu'elle se prête mal aux genres vocaux et instrumentaux non scéniques (musique religieuse, musique de salon) des XVIIe et XVIIIe siècles français. Elle est juste une proposition de repères que je fais sur Carnets sur sol, et qui me paraît relativement opérante.
Sans être formulée de façon aussi systématisée à ma connaissance, on la retrouve tout de même, dans l'esprit, dans les travaux savants.

--

4.2. Appartenance, parentés et personnalité

Sans discussion possible, Andromaque appartient à cette quatrième école. Son langage épuré est tout classique. Ses harmonies ne sont plus baroques, elles sont déjà le fondement du langage "naturel" qui est culturellement le nôtre (la grammaire de Haydn et Mozart, en somme : qui va se romantiser progressivement via Beethoven).
C'est ce qui explique que cette musique nous paraisse à la fois si proche et si nue : elle est un peu le point de départ d'un certain "naturel harmonique", pour les auditeurs du début du XXIe siècle.

Suite de la notule.

David Le Marrec

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