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mardi 5 septembre 2017

Six (grands) ténors verdiens (méconnus) en activité


A. Il n'y a plus de vrais ténors verdiens !

    Indépendamment des discours éternels sur le déclin, que prononçaient déjà les bons pères de famille chez Térence, on peut avoir très légitimement l'impression d'une période maigre dans le chant verdien (et wagnérien, mais c'est un autre sujet que je n'aborde pas aujourd'hui) dans les années 80 et 90, et jusqu'au milieu des années 2000.

    L'internationalisation du chant d'opéra, dans les années 1960, avec les représentations dans les langues d'origine par des interprètes et pour des publics qui n'en sont pas familiers, le perfectionnement des moyens de transports qui permet de faire voyager les artistes… entraîne un flottement très notable dans les techniques et les styles.

    Il y a bien sûr toujours eu de grands artistes, mais en fouillant dans les bandes des maisons moins emblématiques, on ne trouve pas si facilement des ténors du niveau de Domingo, Carreras, Aragall ou Pavarotti. Alors que dans les années 50 et 60, les ténors peu enregistrés officiellement mais remarquables (Mirto Picchi, Giuseppe Campora, Eugenio Fernandi, Gianni Raimondi…), voire tout de bon fabuleux (Gianni Poggi, Angelo Lo Forese, Flaviano Labò, Bruno Prevedi…) se trouvent en abondance – avec toujours la même impression qu' « aujourd'hui, Lo Forese serait plus célèbre que Kaufmann ».
    J'ai adopté cet exemple du ténor puisque le ténor lyrico-dramatique à aigus est un peu l'oiseau rare des scènes lyriques, tandis qu'on ne manque jamais de sopranos, même s'il y aurait beaucoup à dire (et sans doute même plus que chez les ténors) sur l'évolution des techniques – beaucoup moins de voix antérieures aujourd'hui, la technique a totalement changé entre Tebaldi et Caballé !

    Bien sûr, si l'on regarde les disques (et les bandes désormais innombrables, puisque chaque théâtre, chaque spectateur même, peut capter et diffuser immédiatement toute représentation), il existe de grands noms qui font déplacer les foules et non sans raison, Kaufmann, Alagna, Calleja et Grigolo en tête, mais aussi Álvarez, Vargas, ou d'autres à la carrière internationale brillante malgré leur absence au disque (Michael Fabiano semble très en cour en ce moment).
    Mais on a l'impression que depuis les années 90 au moins, avec le déclin individuel des futurs Trois Ténors (concept qui souligne lui-même la pénurie, avec la possibilité de sa mise en scène marketée), quand on n'embauche pas les quelques princes des aigus, on se retrouve avec Richard Margison, Sergej Larin, Franco Farina, Fabio Armiliato, Francesco Meli, tous très valeureux mais aux timbres plutôt ternes, aux aigus blanchis (Meli) ou farineux (chez les quatre autres, on entend de plus en plus les armatures et de moins en moins le timbre en montant). Quand on les compare aux troisièmes couteaux qui tenaient ces mêmes emplois des années 60, sans vouloir du tout dénigrer nos contemporains, on a l'impression qu'ils pourraient être leur Ruiz ou leur Trabucco…
    Et puis il y a le cas Marco Berti (et celui des ténors sino-coréens) : ça fait beaucoup de bruit, c'est très impressionnant, mais la finesse de l'artiste n'est pas toujours évidente – encore que je trouve que Marco Berti n'est pas du tout un braillard univoque, simplement avec une voix aussi lourde, difficile de se mouvoir avec élégance.

    Les vrais amateurs qui collectionnent les bandes et ne se limitent pas aux disques auront tout de même relevé, pendant ces années, des pépites avec Francisco Casanova, José Cura (devenu toujours meilleur, mais ayant étrangement perdu son statut de superstar) ou Gregory Kunde qui, au lieu de décliner, enchaîne les prises de rôle verdiennes avec une finesse expressive rare. Mais la carrière de ces formidables titulaires est plutôt derrière eux et leur déclin progressif va inévitablement les conduire à se retirer, ou du moins à ajuster leur répertoire loin des jeunes premiers verdiens.



B. Connais-tu le pays ?

    Pourtant, au fil des années 2000, l'abondance exponentielle des bandes disponibles (et même des parutions discographiques et audiovisuelles) a permis de se rendre compte de l'existence de ténors plus confidentiels mais de premier plan, et même plus adéquats au répertoire verdien que Kaufmann (très sombré, peu d'éclat), Alagna (aigu un peu métallique), Álvarez (à l'origine un pur lyrique, un peu diminué dans les rôles trop médium)…

    On en rencontre partout, mais l'accessibilité croissante des témoignages de plus petites maisons permet d'observer un vivier impressionnant en Italie. Allons-y.

    Trois d'entre eux sont documentés dans la récente intégrale C Major des opéras de Verdi (CD et DVD), qui contient quelques versions de référence (Nabucco, Il Corsaro, Stiffelio… et pour la plupart des autres de très belles réalisations…), avec un soin en particulier apporté par le meilleur des jeunes chefs d'opéra de ce répertoire, qui travaillent véritabement le relief et l'expression d'accompagnements mordants (Daniele Callegari, Michele Mariotti, Massimo Zanetti, Andrea Battistoni, Carlo Montanaro, Antonino Fogliani…). Un fonds auquel puiser une vision renouvelée, moins grasse et déracinée, de la musique et du théâtre de Verdi.

    Évidemment, dans le choix de ces six ténors aussi bien que dans le conseil de cette intégrale, on bénéficie d'une adéquation vocale augmentée par le placement naturel de chanteurs dont c'est la langue maternelle. Sans même mentionner le plaisir d'entendre, pour une fois, un italien idiomatique, qui ne paraisse pas simplement correctement imité – dans les cas pas si fréquents où il l'est, même sur les plus grandes scènes !
    Et d'ailleurs, en ne regardant que les grosses maisons italiennes (Scala en tête), on pourrait croire que l'italianità s'est tout à fait perdue. Il n'en est rien.

    Dans le petit parcours auquel je vous convie à la rencontre de belles personnalités ténorines, je me suis efforcé, selon ma coutume, de vous proposer plutôt des ouvrages peu donnés – même si, en ce qui concerne le répertoire de l'ottocento, le disque reste très conservateur (et les raretés exhumées rarement convaincantes, pour l'heure Verdi plane de très haut, plus encore que Wagner en Allemagne, sur son siècle). Disons que j'ai choisi les (beaux !) Verdi moins fameux que les airs de Traviata ou du Ballo.
    De même, je ne vais pas consacrer de panégyrique (mérité) à Marc Laho qui est bien connu des publics francophones. Essayons des chanteurs qui ont tout autant (voire davantage) de succès, mais dont les noms et les enregistrements ne parviennent pas nécessairement jusqu'à nos oreilles. [Car je pourrais citer tous ceux que je souhaiterais entendre ou que je prévois comme futurs grands verdiens, mais entre ceux qui n'ont pas le format que veulent les recruteurs et ceux qui, au contact de la carrière, ne s'épanouiront pas dans Verdi, comme le remarquable Jean-François Borras…] Je m'en tiens donc à ceux qui chantent actuellement, et avec succès, les opéras de Verdi – plutôt les formats lyrico-dramatiques que les lyriques, beaucoup plus aisés à trouver : Stiffelio, Manrico, Alvaro, don Carlo, Radames, Otello…



C. Quatre ténors italiens

Roberto Aronica

L'une des figures les plus intéressantes de cette nouvelle génération. Il chante / chantait remarquablement les rôles légers (Nemorino !), avec une maîtrise complète du timbre et des équilibres vocaux, un aigu complètement timbré et jamais pris en défaut, mais il est aussi l'un des rares à s'être adapté aux carrures plus larges (il chante désormais Manrico, Alvaro, Radames et Calaf) sans avoir du tout altéré le timbre, toujours généreux et projeté – au contraire de Meli, par exemple, qui a complètement éteint sa voix en passant des rôles légers aux rôles larges, sans conserver la même qualité se focalisation du son.

[[]]
La fin de Stiffelio de Verdi, le moment du coup de théâtre où le pasteur trompé par sa femme lit en chaire l'épisode évangélique de la femme adultère et lui pardonne (voyez ici une msie en scène claire). Teatro Regio de Parme, direction Battistoni (C Major).

Disques :
1997 – La Traviata – Devia, Zancanaro ; Gênes, Callegari (Bongiovanni)
2003 – Simone Boccanegra – Gallardo-Domâs, Frontali, Scandiuzzi ; Cluj, Allemandi (RTVE)
2004 – Roberto Devereux (Donizetti) – Gruberová, Shagidullin ; Opéra de Munich, Haider (vidéo DG)
2012 – Stiffelio – Yu (Guanqun), Frontali ; Parme, Battistoni (CD & vidéo C Major)

Engagements actuels :
Pollione, Stiffelio, Don Carlos, Renato des Grieux, Don José, Alvaro, Pinkerton, Dick Johnson, Paolo il Bello…

Lieux :
Agenda extrêmement fourni. Toutes les plus grandes maisons d'Italie (Milan, Turin, Florence, Parme, Bologne, Venise, Cagliari, Palerme, Naples, Vérone, Novara !) à la seule exception de Rome. Sud de l'Europe aussi : Madrid, Barcelone, Bilbao, Épidaure. Et puis partout ailleurs : Met, Amsterdam, Deutsche Oper, Varsovie, Tel Aviv, Sydney, Pékin. Je ne suis manifestement pas seul à avoir remarqué la perle rare, même s'il est peu documenté et célébré dans les magazines – il est vrai qu'il est complètement absent de France et d'Angleterre, très peu présent en Allemagne, en Amérique (tous ces endroits d'où proviennent la plupart des nouvelles musicales couramment rapportées).


Renzo Zulian

Un joli cas d'illusion auditive dont je voulais parler dans le cadre du parcours autour de la couverture vocale. D'abord, la similitude de timbre (et d'accent italien) avec Pavarotti est frappante : Zulian provient certes lui aussi des provinces du Nord-Est (Venise au lieu de Modène), et ça explique possiblement l'ouverture des [a], mais pas une convergence vocale aussi spectaculaire. La voix n'a pas la même rondeur en revanche, quelque chose de plus franc et pincé, avec des attaques très fines et un son très antérieur. Malgré la couverture, les voyelles sonnent avec une liberté et une clarté impressionnantes.

[[]]
Le duo d'affrontement entre Montfort (Vladimir Stoyanov) et son fils (méconnaissant son père) Arrigo. Orchestre de la Fondazione Arturo Toscanini, Stefano Ranzani (RAI Trade).

Disques :
2002 – I Vespri siciliani – Nizza, Stoyanov, Anastassov ; Fondazione Toscanini, Ranzani (vidéo RAI Trade)
2006 – La Forza del destino – Branchini, Di Felice, Battaglia ; Filarmonica Veneta Malipiero, Karitynos (CD & vidéo Dynamic)

Engagements actuels :
Calaf, Manrico, Renato des Grieux, Alvaro…

Lieux :
Surtout au Sud-Est de l'Europe : énormément à Zagreb et Maribor (en Slovénie), mais aussi Salerno, Budapest, Sofia, Athènes. Et deux dates au Festival de l'Opéra de Pékin en 2013. Je l'ai peu entendu ces dernières années, la voix a sans doute évolué.



À votre avis, qui sont les quatre autres ?  Deux italiens, un portugais, un anglais. L'un d'eux chante quelquefois à Paris, les autres ne mettent pas, me semble-t-il, les pieds en France. (Mais je fais des vérifications avant publication, vous en saurez plus lors de la prochaine livraison…)

Et vous, qui proposeriez-vous ?

David Le Marrec

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1 => L'italianisme dans la France baroque
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