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Le Quatuor Kandinsky à l'Abbaye de Preuilly – concept du Festival Inventio




Moins un compte-rendu de concert qu'une présentation de ce festival francilien étonnant et réjouissant, auquel je me rendais pour la première fois.

Me voici donc revenu du concert d'ouverture du Festival Inventio, pour sa neuvième saison. Ce jour-là, concert à l'abbaye cistercienne ruinée de Preuilly : quatrième – ou à peine plus, la date est incertaine (1116 ou 1118) – fille de Cîteaux, dans le Montois, au Nord de la zone humide qui s'étend à l'Est de Montereau.



En l'occurrence, concert dans la ferme qui survit au dépeçage de l'abbaye de Preuilly après sa vente comme bien national : le cloître a disparu, la nef de l'abbatiale et la salle capitulaire demeurent, mais sans toit… en revanche les corps de ferme subsistent et ont été aménagés depuis le rachat progressif du lieu dès la fin des années 1820 – par la famille Husson, toujours résidente. Le concert se tient donc dans une grange vénérable (et aménagée, avec chauffage !) aux conditions acoustiques idéales pour la musique de chambre.



Le principe du festival fondé par le violoniste Léo Marillier (aux multiples casquettes, actuellement violon II du Quatuor Diotima) est quadruple, et ce concert s'y conforme.

1) Mettre à l'honneur de jeunes chambristes. Ici le Quatuor Kandinsky, basé à Vienne, fondé pendant les confinements de 2020 par des musiciens de tous horizons (autrichienne, chilien, italien, espagnol). Je suis particulièrement impressionné, en l'occurrence, par leur Haydn Op.77 n°2 (le dernier du catalogue), un monument très peu joué en concert en France – ils parviennent à conserver une finesse de trait dans l'accompagnement qui évite l'effet d'évidence pataude et de lourdeur qu'on ressent souvent avec les musiciens non spécialistes. Typiquement, très souvent, le violoncelle sonne gras et ses notes répétées paraissent l'effet d'une écriture pauvre ; ici au contraire, la touche est toujours légère et équilibrée, et les notes répétées ou les formules de remplissage sont réellement phrasées, comme s'il s'agissait d'une ligne mélodique. La différence de résultat est proprement magique. (Après avoir brièvement causé avec Hannah Kandinsky, qui donne malicieusement son nom à l'ensemble, ils sont en effet tout particulièrement engagés dans la défense de Haydn et Mozart, et j'imagine qu'ils disposent à Vienne de conseils avisés sur leur juste exécution. En tout cas cela se percevait à l'oreille, bien au delà du préjugé favorable à l'annonce d'un « jeune quatuor viennois » !)
L'Élégie de leur Chostakovitch (ses Deux Pièces isolées pour quatuor sont, là aussi, pas si fréquemment données) portait par ailleurs cette même marque d'élégance, un Chostakovitch très inhabituel, tout aussi dégingandé et souffrant que chez ses meilleurs interprètes, mais élégant et sensible – comme passé par le filtre esthétique de la musique pour quatuor de Wellesz ou du jeune Webern. J'avoue avoir adoré cette rencontre stylistique entre deux univers aussi dissemblables que possible, en théorie, et parfaitement congruents en pratique.


Après le Ravel en seconde partie, la soirée se clôt par un bis qui n'est pas un quatuor… mais un quintette ! Fantaisie de Purcell sur une seule note, où Léo Marillier vient tenir la seconde partie d'alto !


2) Explorer des répertoires rares et des formations insolites – par exemple, cette saison, une soirée en trio pour violon, alto et contrebasse, ou un duo alto et percussions ! Et des compositeurs qui ne sont pas les plus courus en musique de chambre : Dittersdorf, Wieniawski, Pierné, Martinů, Penderecki, Ligeti, Aperghis…



3) Mettre en valeur le patrimoine du Provinois, du Montois et de la Bassée – globalement, la région qui s'étend le long de la Seine entre Montereau et Provins, rive gauche pour la Bassée, rive droite pour le Montois. Au programme, châteaux, églises et chapelles jamais ouvertes au public – par exemple, cette saison, la chapelle de Lourps et le château Renaissance (privé) de Flambouin.



4) Proposer une découverte complète, qui adjoint d'autres expériences à la musique : chaque concert débute par une visite guidée de lieux habituellement fermés ou une randonnée aux alentours, des découvertes de zones naturelles avec des guides spécialisés... et la journée s'achève par un copieux goûter de produits locaux – je sais que ce point est important pour un certain nombre de mes lecteurs (et spectateurs potentiels), aussi je précise : pour ce premier concert, yaourts fermiers, Brie particulièrement savoureux, grandes chouquettes, kougelhopf fondant…


Le Brie de Meaux de Rotschild servi et resservi avec générosité au goûter d'après-concert.


J'ajoute que l'atmosphère y est très singulière, vraiment un festival de proximité : si l'écoute est de qualité impeccable, le profil est surtout, plutôt que de mélomanes itinérants (il y en a bien sûr, et pas des moindres, comme mes délicieux voisins de covoiturage), celui de résidents de la région. Il faut dire que la contrée est très rurale par rapport au reste de l'Île-de-France, quasiment pas de transports en commun, peu de lieux touristiques majeurs et pas de grandes villes sur toute cette zone entre Montereau et Provins, pourtant dotée d'un beau patrimoine et de paysages variés. Aussi, l'abord est très facile, tout le monde se parle avec spontanéité et simplicité – d'emblée tutoyé par le maire, j'ai appris sans effort tout ce que je désirais savoir sur l'organisation d'une saison culturelle dans des villages aussi éloignés qu'il est possible de la situation (infrastructures, finances…) de l'essentiel de la Francilie.



Le festival se poursuit en juin (puis avec des dates en septembre et octobre), avec d'autres combinaisons assez excitantes d'interprètes de qualité dans des œuvres rares précédées de découvertes patrimoniales insolites. Les prix sont très bas : 15€ tarif unique, incluant navette, visite, concert, buffet. Sur simple demande, du covoiturage est organisé (à nouveau à titre gracieux). Tout figure, à votre gré, sur une seule page sur le site du festival ou date par date sur l'agenda de Carnets sur sol.




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