Nouveautés disques #9 (6 septembre 2025) — Ukraine, Suède, Pologne, Bosmans, Giacomelli…
Par DavidLeMarrec, samedi 6 septembre 2025 à :: Disques et représentations :: #3384 :: rss
Les nouveaux disques qu'on a aimés ces deux dernières semaines, en vidéo :
¶ Pièces pour violoncelle & piano d'Henriëtte Bosmans par Raphael
Wallfisch et Ed Spanjaard (le chef, mais cette fois au piano, rare dans
des pièces aussi exigeantes digitalement !). Postromantique, mais
marquée par Debussy et les décadents ; on avait jusque là plusieurs
versions de la Sonate, mais pas des autres pièces pittoresques.
Direction sage et très cordée de Dantone, comme toujours, mais quelques chanteurs attirent vivement l'intérêt, comme Valerio Contaldo [son] (sorte d'équilibre entre González-Toro et un ténor italien plus verdien) ou Margherita Maria Sala [son], qui peut faire valoir bien des points communs de timbre et d'abattage avec Lucile Richardot [notule].
Le résultat est particulièrement délectable si vous êtes prêt à endurer le genre très spécifique du seria.
Et puis trois doubles-albums « nationaux » puisés dans le fonds Naxos, qui réussissent bien mieux que l'anthologie italienne (assez plat, ni grands airs d'opéra ni belles symphonies XXe s. du fonds La Vecchia, comme Alfano, Casella ou Respighi, pourtant un extraordinaire ensemble de raretés remarquablement jouées et enregistrées par le label !) ou espagnole (une caricature, énormément de musique de guitare, là encore le label a bien mieux en rayon, de la Renaissance au XXe siècle plus expérimental).
¶ Ukraine : les grands compositeurs nationaux comme Bortniansky (l'ancêtre issu de la Triade d'Or, ici pour ses hymnes chérubiniques dans une très belle interprétation de l'Ensemble… Cherubim), les romantiques nationaux Kossenko, les romantiques Liatochinsky (Lyatoshynsky), Glière, l'incontournable Leontovych (Shchedryk, le fameux « Carol of Bells), le pionner des abstractions Roslavets (originaire de la région de Poltava), le jazzy Kapustin (tout son catalogue de piano semble une transcription formelle de sets !), le symphoniste soviétique Stankovych (la Deuxième vaut n'importe laquelle des Chosta, à mon avis), le chef-compositeur Markevitch, le lyrique Skoryk, et les vivants Silvestrov (très étale et consonant) et Poleva (championne de l'immobilité en nappes), avec la petite touche d'insolence en sus – Prokofiev (pas de tubes, d'ailleurs), né en Russie, mais dans une région qui appartient désormais et pour la première fois de son histoire à l'Ukraine (je ne sais si c'est par manque de connaissance ou un volontaire joli pied-de-nez, d'autant que ce doit être assez profondément à l'Est de la zone actuellement occupée de l'Ukraine, et donc une portion qui a de grandes probabilités de ne jamais revenir à son propriétaire légal).
Un très bel ensemble donc, et même si j'aurais sans nul doute inclus d'autres noms comme les compositeurs lyriques Hulak-Artemovskiy et Lysenko, le chambriste romantique Youferov, le pianiste futuriste radical Leo Ornstein, le symboliste Akimenko, le compositeur hollywoodien Tiomkin et, quitte à faire dans l'appropriation culturelle, plutôt Kalinnikov (russe, mais mort à Odessa, alors ce n'est pas plus absurde) que Prokofiev.
Vous pouvez en retrouver davantage dans la série Panorama de la musique ukrainienne, en notule, en podcast et en vidéo.
¶ Suède : ici aussi, les grandes figures nationales, Berwald, Alfvén, Stenhammar, (Oskar) Lindberg, Atterberg, Peterson-Berger, (Lars-Erik) Larsson… et quelques autres moins célèbres comme Aulin (excellent choix de ses Aquarelles, ce que je préfère de lui), Fernström, Frumerie, Rosenberg, Wirén (très bon choix aussi avec un bout de quatuor), voire de beaucoup plus confidentiels, comme (Johan Helmich) Roman, Eggert, (Svante) Pettersson, Åhlén…
Je remarque une dominante plutôt du côté de jolis élans mélodiques : pas d'extraits d'opéras dramatiques de Brendler, Ölander, Peterson-Berger ou Stenhammar (je crois avoir mentionné par erreur Alfvén au lieu de Stenhammar dans la vidéo), ni de grands mouvements symphoniques ambitieux comme les symphonies préromantiques de (Joseph Martin) Kraus, le premier mouvement de la 3 ou le final de la 4 d'Alfvén, ni, étrangement, de (Magnus) Lindberg, le compositeur suédois vivant le plus joué j'imagine, mais plutôt des rhapsodies, des suites, des choses qui s'écoutent facilement en dépareillé – pas nécessairement le sel de l'esprit de la nation. Il faut dire aussi que la sélection se limite nécessairement à des publications Naxos préexistantes et, de tout ce que j'ai souhaité, il ne doit y avoir que les symphonies d'Alfvén (et probablement de Kraus ?) qui soient déjà au catalogue du label ! Pour découvrir ces opéras, vous pouvez consulter la notule concernée et en parcourir la playlist chronologique.
En dépit de ces minuscules réserves, uniquement de très belles œuvres, avec des caractères variés… ça donne envie d'approfondir – et il le faut, car ce n'est même pas le meilleur !
¶ Pologne : à nouveau une sélection judicieuse, croisant les classiques incontournables et quelques figures importantes et méconnues. Chopin bien sûr, avec la sélection avisée de la plus entraînante de toutes ses mazurkas (Op.7 n°1), et la mise en valeur du legs d'Idil Biret – omniprésente dans le catalogue Naxos des années 90, de Chopin à Ligeti… je n'aimais pas trop à l'époque le son un peu dur et le peu de pédale, mais aujourd'hui, je révère la clarté hors du commun de son jeu, qui fait entendre toutes les articulations musicales avec une précision et une présence exceptionnelles. Pour les autres célébrités, le pianiste-président Paderewski, ou le sophistiqué Szymanowski (qui peut moduler plusieurs fois par mesure).
Chez les romantiques, le grand compositeur national Moniuszko, que les Polonais décrivent parfois comme leur Verdi à eux (mais dont le langage est en réalité extrêment proche… d'Auber !) Karłowicz, surtout connu pour ses mélodies, les compositeurs-virtuoses Wieniawski (violon) et Moszkowski (piano), le postchopinien (Xaver) Scharwenka, le très direct et roboratif Waghalter… Et puis deux de mes chouchous, Noskowski (d'un romantisme généreux et structuré, sorte de pendant continental à Alfvén… mais présent dans de petites pièces plutôt que par son Troisième Quatuor ou sa Troisième Symphonie, ses chefs-d'œuvre, jamais enregistrés par le label) et Żeleński, davantage célèbre pour ses opéras (Goplana, marqué par l'opéra fantastique allemand et le grand opéra à la française).
Pour le XXe siècle, on a trois œuvres de Bacewicz (la plus représentée de l'anthologie avec Chopin !) qui fait des séances de musique clandestines sous l'occupation nazie. Son Quatuor pour quatre violons n'est pas présent, mais le Quatuor à cordes n°4 reste l'un de ses plus ambitieux, un très bon choix. Weinberg également – je l'associais, style aidant, à un soviétisme davantage russe, vu qu'on m'avait raconté, il y a longtemps, qu'on le transcrivait en français plutôt « Vainberg » (ce qui n'a pas grand sens depuis le polonais qui s'écrit déjà en alphabet latin…) ; je le ressens comme un Chostakovitch attiédi, mais je ne désespère pas de voir la lumière un jour – il paraît que La Passagère, en salle, fait un effet monstre (ça m'a peu touché au disque). Et bien sûr les superstars du milieu du siècle : Lutosławski, Penderecki, Górecki… la transition entre le Presto de la suite de danses de Górecki (un thème cyclique très entraînant) et le Thrène aux victimes d'Hiroshima est osée, et abrupte ! Je les respecte d'avoir inclus une œuvre aussi intense dans une anthologie destinée à donner envie.
Et même en prime quelques compositeurs que je suis incapable de me rappeler de la musique (voire, pour certains, de toute mention), comme Przybylski, Zarzycki, Lipinski ou Badarzewska-Baranowska ! Quant à Paul Kletzki, je ne savais pas qu'il était aussi compositeur – je ne connaissais que ses enregistrements comme chef, notamment le fameux Chant de la Terre avec Fischer-Dieskau, une des rares versions pour baryton qui existait avant la mode récente.
Un bel ensemble, donc, qui donne envie ! À part Nowowiejski et Sienkiewicz, je ne vois spontanément pas beaucoup de noms que j'aurais absolument voulu inclure en plus de ceux-là – il y en a probablement, mais je ne pense pas à eux en ce moment.
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Comme le commentaire de tous ces compositeurs était un peu long, j'ai regroupé le reste des parutions dans une seconde vidéo.
Parmi les autres choses intéressantes, quoique moins prioritaires (dans l'ordre de la vidéo, qui est en réalité mon ordre d'écoute et pas un ordre logique ni une hiérarchisation en quelque façon) :
→ chœurs sacrés de Florence Price, où l'on sent les parentés avec le gospel ;
→ musique sacrée de Merula (XVIIe s.), davantage enregistré pour sa musique instrumentale ;
→ suites de viole à la française de Telemann ;
→ quintettes piano-cordes de Frank Martin et Viktor Ullmann, bien moins idiosyncrasiques ici que dans leurs œuvres majeures ;
→ un bouquet de mélodies Belle époque rares par Adèle Charvet et Florian Caroubi (dont du Xavier Leroux, immortel auteur du Chemineau et d'un cycle de mélodies sur des gravures de Fragonard, compositeur absent du legs discographique), mais malgré le grand talent de la chanteuse, que j'avais suivie avec beaucoup de plaisir pendant ses études au CNSM, la nature même de la technique est contraire à l'entreprise : on comprend mal ce qui est chanté, et l'émission totalement en bouche empêche les changements de couleur, gêne la mobilité expressive. Le programme est passionnant, mais j'ai vraiment eu du mal à finir l'écoute, et je n'y reviendrai probablement pas. Très belle entreprise néanmoins dans son projet ;
→ une nouvelle intégrale des Nocturnes de Chopin par Tom Hicks, très réussie – pourquoi la mentionner ? Parce que je le suis de près depuis son disque mêlant la formidable sonate d'Ireland à celle de Liszt, que j'ai rarement entendu aussi bien jouée… ;
→ un peu de Durosoir violon-piano à la fin d'un disque (« Resonance ») de quintettes (Farrenc, dont j'aime mieux la version Sextuor à cordes, et le très rebattu Schumann) par Despax & Piatti SQ. Ce n'est pas majeur, mais on a si peu de Durosoir, ce doit être seulement la seconde fois que ces pièces sont enregistrées…
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Et puis, parce que vous n'êtes là que pour le meurtre et le sang, ce
que je n'ai pas
particulièrement aimé dans la sélection (j'ai déjà dit un peu de mal
précédemment, cela dit) :
♠les Symphonies 1 & 3 de Chostakovitch par John Storgårds, le BBC Philharmonic et le Hallé Choir. J'en nourrissais de grands espoirs : au fil des années, les symphonies de Chostakovitch – qui n'ont jamais été le cœur de mes écoutes – me laissent de plus en plus perplexe ; je pense qu'il me manque, chez elles, ce qui fait le sel de musique, à savoir la superposition d'informations, d'états simultanés… or, dans ses symphonies, Chosta fonctionne beaucoup par grands aplats, ou par solos isolés, impressionnants, mais sans beaucoup d'arrières-plans. J'ai débuté (comme tout le monde) par la Cinquième, tout de même très belle, avec son Largo désolé et paradoxalement lumineux, et bien sûr son final hautement roboratif (double sens ou pas, ça fait toujours plaisir à entendre), et puis j'ai étendu progressivement mon parcours en apprenant à apprécier la 14, la 10, la 1, la 4… Mais, au fil des années, tout a régressé, et je ne parviens plus à me laisser attraper que la 5, je crois (et je ne l'écoute presque plus qu'à l'occasion du concert).
Fort, donc, de l'impression favorable de mes dernières écoutes de la 1, et de ma faible pratique de la 3, chorale de surcroît, j'avais toute confiance en Storgårds pour produire, au minimum, un enregistrement dont je pourrais faire l'éloge. Les prises de son du BBC Philharmonic éditées par Chandos conservent la personnalité réverbérée du label, mais sans rien de nébuleux, bien au contraire : des coloris très vifs, les articulations bien audibles, le grandiose de la réverbération en sus.
Las ! Je n'ai pas été saisi, même pas par la Première que j'aime bien d'ordinaire. Et surtout, le Hallé Choir… Grand orchestre, certes, mais chœur très audiblement amateur… on entend les ténors pousser leur voix naturelle, le timbre est plat et souvent terne, je suis impressionné qu'on ait laissé passer un disque de ce niveau avec un chœur aussi limité… et ça gâche vraiment l'expérience – par charité chrétienne ou par camaraderie internationaliste, je ne dirai rien de l'état du russe. Je ne puis donc même pas le recommander à ceux qui aiment Chostakovitch, vu l'état du chœur. (De toute façon, la discographie déborde déjà de belles propositions.) --
Vu la longueur des commentaires, je n'ai pas opéré le rélevé des
autres disques pas encore écoutés, il faudra attendre la prochaine
livraison !
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