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vendredi 15 juillet 2016

Tirer le portrait de la couverture


Depuis la parution du premier volet du cycle sur la couverture vocale, beaucoup de questions et de précisions ont surgi autour de divers aspects : évolution historique, rapport avec la couleur de la voix, avec la diction, avec l'usage des registres de tête et de poitrine, et un début d'évocation de l'aperto-coperto. Tout cela se trouve dans les conversations en commentaires, sous la notule concernée.

En attendant le prochain épisode, soigneusement constitué au fil des semaines (autour de différents types de couverture, notamment le lien à la couleur vocale).

À bientôt, camarades glottologues.

Échapper à Georges Migot


Beaucoup de gens ordinaires ne se posent pas la question. Ils marchent dans la rue, achètent leur pain, rêvassent au boulot, élèvent leurs enfants, entretiennent leur maîtresse, noient leur chien, sans se douter de rien. Leur vie n'est pas assombrie par la conscience de ce secret effroyable.

Et puis il y a ceux, les initiés, qui ont compris la marche du monde. Ceux qui connaissent la vérité – et il faut dire la vérité – marchent courbés sous le poids de la Connaissance. Croyez- le, ce n'est pas pour rien qu'Il nous mit en garde.

Et moi, innocent, j'ai cru que la Connaissance m'apporterait un supplément.

De Georges Migot, on trouve quelques bribes au disque : surtout de la musique de chambre (une dizaine d'albums, et davantage si l'on compte les apparitions mêlées à d'autres compositeurs), mais aussi un oratorio (La Passion) et des mélodies (Chansons de bord, chantées par Daniel Marty et parues chez Malibran).

Dans les parutions récentes et les plus aisément disponibles, ATMA vient de consacrer deux volumes au compositeur, l'un contenant du trio avec piano (et une seconde pièce augmentée d'une flûte), l'autre le grand cycle pour piano consacré au Zodiaque, mentionné dans la notule consacré aux grands cycles français du premier XXe siècle (avec son complément ici). La musique de chambre est assez peu marquante ; le cycle est plus intéressant et personnel, même s'il n'est pas particulièrement marquant, a fortiori face aux autres grands noms mentionnés. Je n'ai pas pu mettre la main sur l'oratorio, le disque Arion étant épuisé depuis un moment, mais les mélodies parues chez Malibran, malgré leur thème populaire, laissent percevoir la même veine, un peu grise, mais dans l'esprit du temps (français qui ont beaucoup lu Wagner), sorte d'évocation aux moyens musicaux sophistiqués.

Aussi, lorsque l'Association des Amis de Georges Migot (présidée par un descendant Honegger) mit sur pied une soirée exclusivement constituée d'œuvres du compositeur, au lieu même (Cité Internationale des Arts, parallélépipède bétonné de l'un des plus beaux pâtés de maison de Paris) où l'on put entendre un fulgurant programme Hahn-Koechlin-Ravel-Emmanuel pendant l'hiver, et cette fois-ci en plein cœur de juillet, comment refuser de se joindre aux réjouissances ? 

Contrairement aux attentes, c'était assez plein, et de jeunes gens très attentifs (élèves des artistes ?  famille ?  membres des associations de musiciens français ?), alors que l'annonce, bien que faite sur les sites de billetterie, n'était pas particulièrement visible, ni dans un lieu très fréquenté, et en plein juillet avec un programme uniquement constitué de musique de chambre (et de mélodies) d'un compositeur parfaitement inconnu (sauf intérêt appuyé pour la musique française de la période)…

La soprano, pour des raisons de santé, ne put chanter, et lut les poèmes (exécrables : collection de clichés poétiques éculés et pas très bien dits) officiellement publiés par Migot, accompagnés de ce qui semblait être une improvisation figurative au violon (a priori pas de la main de Migot).
Pour le reste, ce fut donc du piano seul (Prélude, choral & postlude ; In memoriam Pierre Wolff) et des duos violon-piano (Madrigal ; Estampie ; Second Dialogue), le tout couvrant l'essentiel de sa carrière, de 1929 jusqu'à 1968 (sans changement notable de style).

La Connaissance du bien et du mal est, bel et bien, une malédiction. Que j'étais innocent en me disant que toute parution dans ce répertoire négligé opèrerait un tri minimal et ne laisserait affleurer, donc, que des chefs-d'œuvre, ainsi qu'il en fut jusqu'ici. À ceci près qu'il semble qu'il n'y ait à peu près rien à sauver, pardon de le dire (car je vais forcément me retrouver avec des commentaires bidons issus de la même IP indignée de ma malhonnêteté), dans le legs de Georges Migot.

Les musiciens ne sont vraiment pas en cause, que ce soit le violon charnu (un peu trop rond pour le style, à mon gré, mais excellent) de Claire Couic Le Chevalier, qui a gravé chez le confidentiel label Arti sa Sonate pour violon solo, ou le piano remarquablement articulé de Tokiko Hosoya (dont la formation de chef de chant s'entend dans le sens des masses et des strates).

Le problème se lit très bien dans l'excellent programme – et, encore une fois, je salue le beau travail de l'association, monter ainsi un programme patrimonial aussi rare et remplir une salle en plein juillet ! – qui expose la doctrine compositionnelle de Migot. Celui-ci, formé par Maurice Emmanuel (lui-même assez tourné vers une linéarité assez prononcée et cependant complexe), admirait beaucoup la musique du Moyen-Âge et de la Renaissance (d'où certains mélismes et une gestion moins hiérarchisée des accords), et voulait écrire dans une sorte de permodalité, c'est à dire emprunter à différentes gammes, en travaillant à partir d'intervalles donnés, sans s'arrêter sur des pôles. Et, de fait, c'est exactement ce que l'on entend : une écriture complètement linéaire, impossible à anticiper ou à suivre, qui semble errer de façon harmoniquement très complexe sans jamais se poser, et qui ne révèle jamais une mélodie, plutôt des progressions qui semblent assez théoriques, le tout sans qu'on puisse repérer une grande forme qui enchâsse le tout. Et cela pose un petit problème : s'il n'y a pas de mélodies (intervalles autonomes, et traversant plusieurs gammes), une harmonie en mutation qui ne fait pas sentir de tension ou de détente (ni même de couleur fixe, à part une sorte de grisaille permanente), pas de forme générale pour organiser le tout, pas de pulsation (la mesure est remarquablement élusive), et que la puissance d'évocation est en outre particulièrement courte… on crève, mais alors presque littéralement, d'ennui.

paul féval poisson d'or

Au bout d'une centaine de concerts cette saison, on peut supposer que j'ai l'habitude, y compris des mauvaises surprises, mais je me suis en un instant retrouvé dans la peau de l'adolescent traîné au concert de musique classique, qui ne comprend rien à ce qui se passe, et qui subit cette musique morne et triste, tandis qu'autour de lui s'affichent des mines béates qu'il peine à croire sincères. En plus, les morceaux durent trois quarts d'heure chacun ! Quel intérêt, franchement ?
Et de commencer à gigoter, me recaler dans mon siège, sentir un bout de menton qui me gratte, une petite tension dans la cuisse… J'ai dû sortir discrètement de la lecture pour cesser mon agitation, je n'y tenais plus – du Paul Féval, pas Le Bossu ni Le Loup blanc, mais le grand cycle des Habits noirs, très bonne lecture dont j'ai retiré quelques pépites pour CSS.

C'est honteux, et je ne le confesse pas à la légère ; honnêtement, alors qu'on se situait dans le parfait cœur de cible de CSS, cette musique insupportablement morne, gratuite et vaine (une suite d'intervalles arbitraires, pas dissonants, mais qui ne disent rien à part une indicible inutilité de vivre) m'a physiquement fait souffrir comme je ne l'ai pas vécu au concert depuis Wozzeck (ado, justement). Et l'impression que le Dialogue final durait quarante minutes, alors qu'il en faisait sans doute, vu l'heure de sortie, plutôt vingt.

Passé un certain nombre de concerts, passé une certaine habitude du répertoire, on pourrait se croire à l'abri de grandes surprises dans ce genre – en tout cas de ces surprises qui vous cueillent à ce point dans votre chair et vous plongent soudain dans la peau du cancre en mathématiques que vous n'avez pas forcément été… Expérience troublante (et pas très agréable), d'autant que c'était le concert que j'attendais le plus de tout juillet.

(En revanche, à l'Hôtel de Soubise, le Spanisches Liederspiel de Schumann avec Marie Perbost et Eva Zaïcik, ou le Troisième Quatuor avec piano de Brahms, par le Trio Karénine et Sarah Chenaf, étaient des merveilles à des degrés inattendus, des références absolues, même. On croit cultiver une certaine intimité avec l'art, mais non, il tient farouchement à sa liberté.)

C'était le 100e concert de la saison de CSS, l'un des plus alléchants et sans nul doute le plus héroïque ; le bilan de la saison est en cours de rédaction.

David Le Marrec

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