Carnets sur sol

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samedi 7 novembre 2015

[Carnet d'écoutes n°92] – Marathon : les orchestres parisiens


Intéressante expérience ces derniers jours. En deux semaines, entendu les principaux orchestres parisiens en concert : Orchestre de l'Opéra, Orchestre National de France, Orchestre de Paris, Orchestre de chambre de Paris, Orchestre Colonne. Épuisé, quasiment agonisant, j'ai renoncé à finir le cycle avec le Philharmonique de Radio-France, de toute façon entendu il y a peu.

Il manquait donc le National d'Île-de-France et les deux autres municipaux, Lamoureux et Pasdeloup. Et la juxtaposition est très intéressante, parce qu'elle révèle pas mal de détails qui passent peut-être inaperçus sur la longue durée.

À ceux-là, s'ajoutent depuis septembre le Philharmonique de Strasbourg, la Radio de Hambourg (NDR), l'Opéra de Munich (BayStO), le Symphonique de Londres (LSO) et le Symphonique de Cleveland, mais ce sera pour d'autres fois.


L'Orchestre Colonne – Première Symphonie de Walton
(lundi 2 novembre)

De la série, Colonne est clairement le plus modestement doté techniquement – je l'aime beaucoup d'ordinaire, mais dans ce programme particulièrement peu rebattu (une œuvre du XXIe siècle, le Burleske de R. Strauss et la Première Symphonie de Walton), les fragilités étaient plus saillantes :  il n'y avait pas de fondu d'orchestre, les pupitres semblaient émerger assez aléatoirement de la masse sonore, et (je ne voudrais pas en jurer) le Burleske m'a paru vraiment mal en place. Certes, on s'en moque, cette pièce ne vaut pas un złoty, mais entre les violons très aigres et l'impression de décalages récurrents (dont j'attribuais la cause principale à la précipitation du pianiste, sans plus de certitude…), ce n'était pas le beau visage de l'orchestre engagé dans Gould, Rangström ou Tchaïkovski.

L'œuvre de Patrick Burgan (Le Lac, avec le texte de Lamartine) n'était au demeurant pas passionnante : le début instrumental intéresse, avec ses vagues consonantes qui se superposent en dissonances, avec ses aplats d'agrégats qui, sur des flûtes ascendantes, semble mimer la brume humide qui s'élève… mais le traitement textuel est une parodie de semi-mélodies en escalier mille fois entendues (refus des mélodies conjointes, tout en restant néo-, donc parfaitement gris et plat sans même être radical pour autant).

À l'opposé, la Première Symphonie de Walton, pour laquelle je m'infligeais tout cela, mériterait de devenir un standard des salles, pour changer un peu de Mahler. Véritablement haletante pendant ses 45 minutes, parcourue d'un motif cyclique en mutation perpétuelle, elle cumule les avantages de son genre (très riche en couleurs, grande sollicitation de chaque pupitre, forme particulièrement développée) et l'immédiateté d'une œuvre de caractère – il suffit de considérer cet ostinato aux contrebasses (presque toujours divisées par deux, chose plutôt rare – c'est dire le niveau de complexité contrapuntique de la partition !) pendant le plus clair du premier mouvement. Un motif très déhanché, qui procure une assise en mouvement perpétuel à l'ensemble – exactement ce que Nielsen a du mal à réussir, avec un propos original et passionnant mais des basses un peu molles, qui manquent de rebond. Bref, savamment arachnéen mais tirant vers la félibrée… Imparable.
Au demeurant, Colonne s'en tirait fort bien (un programme énorme et totalement nouveau en combien de services) ; il ne fallait pas y chercher l'hédonisme sonores des plus grands orchestres, mais l'œuvre fonctionnait aussi bien qu'au disque, justice lui fut vraiment rendue – et malgré sa structure assez didactique, je me figure qu'il est aisé de se perdre dans ce grand ensemble. Grâce à cette seconde partie, l'un des concerts les plus enthousiasmants de ce début de saison.


L'Orchestre de Chambre de Paris – Serenade de Britten
(mardi 3 novembre)

L'Orchestre de Chambre de Paris, plusieurs fois loué ici, n'était pas tout à fait à son meilleur niveau ce soir-là (petites imprécisions), ni dans son meilleur répertoire. Quelle étrange chose, aussi, de faire jouer du consort de violes de Purcell par un orchestre à cordes moderne (et de culture romantique, même si leur souci stylistique est important). Pour Corelli non plus, clavecin ou pas, ça ne fonctionne pas bien. Comme avec Norrington, les basses sont trop lourdes et régulières, les irrégularités de phrasés un peu systématiques pour ce répertoire. À tout prendre, je crois que j'aime d'avantage l'option grassement hors-style (Monteverdi façon Maderna ou Lully façon Rosenthal) plutôt que ce compromis sec mais peu dansant.

Contrairement à la Fantaisie sur Tallis de Ralph Vaughan Williams avec Norrington, sur un parti pris audacieux, dépaysant et réussi de refus (exotique dans cette musique) du vibrato, pas très séduit non plus par la Fantaisie sur Corelli de Michael Tippett, qui crincrinne un peu sans vibrato – les dernières minutes, où il intervient enfin, sont beaucoup plus convaincantes. Les Variations sur un thème de Bridge de Benjamin Britten démontraient mieux la versatilité du l'orchestre, mais l'œuvre n'est pas un sommet non plus, même si le pittoresque des sections centrales (marche, romance, air italien, bourrée, valse viennoie, perpetuum mobile) demeure particulièrement roboratif en concert.

Ils avaient manifestement beaucoup mieux préparé (ou joué plus souvent ?) la Sérénade pour ténor, cor et cordes de Britten, où l'on retrouve leurs qualités proverbiales : finesse du trait, agilité, délicatesse… Vraiment calibré pour alléger les romantiques et les modernes, pour en donner des interprétations particulièrement lisibles et débarrassées des épaisseurs superflues.
Par ailleurs, Andrew Staples (ténor solo dans les Scènes de Faust de Schumann par Harding et la Radio Bavaroise – une référence – et dans le Messie de Haendel par Haïm, très bon dans tout cela) se révèle un petit miracle sonore en vrai : grâce à une émission haute, claire et sonore, il peut se mouvoir dans des configurations légères, suspendues, délicates ou glorieuses. L'agilité est très bonne et l'anglais parfaitement articulé (ce n'est pas un attribut automatique chez ses confrères britanniques !), d'une émotion pudique. En réalité, toute la voix est fondée sur un équilibre très soigné entre l'efficacité d'émission (presque nasale) et la beauté du timbre (avec une rondeur qui s'obtient au contraire plus en arrière de la bouche), avec une émission mixte très souple, qui permet aussi bien le confort dans les parties longtemps très aiguës (en élargissant la voix de tête) que la voix pleine glorieuse (mais agréablement timbrée). Particulièrement impressionnant.
À leurs côtés, Stefan Dohr, premier cor solo au Philharmonique de Berlin, aux caractéristiques très allemandes (son particulièrement rond, d'un éclat sombre).


L'Orchestre de Paris – Saint-Saëns
(jeudi 29 octobre)

Saint-Saëns (Concerto pour violoncelle avec Sol Gabetta – d'ailleurs une sacrée projection très timbrée, qui explique un succès qui ne me paraissait pas évident, au disque – et Symphonie avec orgue) ne flatte pas les qualités du tandem OP-Järvi, au demeurant très bon ce soir-là, avec une grande lisibilité logique dans la progression structurelle.

D'une manière générale, à l'Orchestre de Paris, j'aime surtout leur grande plasticité – c'est à rebours de leur caractère (exécrable pour certains chefs d'attaque et de pupitre) et de leur réputation (d'indiscipline) –, mais en concert, c'est l'un des orchestres qui adapte le mieux son profil sonore au chef et au répertoire. Avec Järvi, en conséquence, on obtient un résultat beaucoup moins standardisé (que ce soit par rapport aux normes internationales ou par rapport au son habituel de tel orchestre d'un concert à l'autre) qu'avec n'importe quelle autre formation parisienne.

Il a mauvaise réputation chez les mélomanes concertivores, le considérant souvent comme un orchestre de seconde zone, manquant de cohésion ; c'est non seulement injuste (le niveau individuel est très élevé, même s'il n'est pas celui des orchestres de Radio-France ou de l'Opéra) mais aussi biaisé, si l'on ne prend pas en compte la sensibilité au style, justement. Par rapport à tous ces orchestres qui jouent tout, peut-être avec une meilleure fusion collective, mais avec la même pâte quel que soit le répertoire. Par exemple le Philharmonique de Radio-France (finalement dû revendre ma place de cette semaine, mais entendu il y a peu de toute façon), qui est fulgurant dans Wagner, R. Strauss ou Rachmaninov, mais joue la musique française avec le son du Philharmonique de Berlin des années Karajan – et ça, c'est mal.

L'Orchestre de l'Opéra de Paris – Moses und Aron
(lundi 26 octobre)

Déjà commenté le spectacle deux fois (vidéo et représentation) ; concernant l'Orchestre de l'Opéra, on ne peut qu'admirer le niveau de virtuosité superlatif, peut-être le plus élevé de France (et en tout cas l'un des plus prestigieux, même pour les musiciens – tiens, comme à Francfort). Étrangement, je ne lui trouve pas un profil sonore très personnel… il peut varier selon les productions, et surtout reste assez neutre, ne recherchant pas la typicité. C'est une valeur sûre pour servir toutes les musiques, de ce point de vue, avec quelque chose de peut-être un peu froid – mais rarement peu engagé, en tout cas dans le répertoire où je vais majoritairement le voir – raretés, donc plutôt XXe siècle vu leur répertoire (car dans Mozart ou pour le ballet, ce n'est pas exactement ardent en général…).
Leurs concerts symphoniques sont en général très beaux, du niveau des meilleures formations.


L'Orchestre National de France – Tchaïkovski & Britten
(jeudi 5 novembre)

Voilà un cas amusant… Le National était à l'origine l'orchestre de radio français le plus prestigieux, chargé du patrimoine français et des créations (tandis que le Philharmonique devait être à configuration variable, pour servir le XVIIIe allégé ou à l'inverse les grandes machines du XXe).

Mais le vent a tourné, et les amateurs éclairés, le prestige regardent désormais le Philharmonique comme le sommet de l'excellence symphonique française. Les attributions aussi : le National joue essentiellement le grand répertoire du XIXe, que ce soit l'accompagnement d'opéras (suivre des chanteurs dans Donizetti ou Verdi, voilà qui n'est pas follement prestigieux) ou les symphonies de Mendelssohn, Dvořák, etc. Comme on ne propose plus guère de répertoire français dans cette maison, ils se font plus rares (et sont même parfois confiés au Philharmonique, qui programme volontiers Debussy et Dukas). Le Philharmonique joue certes toujours les formats semi-chambristes du XVIIIe et du début du XIXe (assez bien d'ailleurs, considérant sa culture de départ), mais se trouve surtout dévolu au vingtième siècle, et à la création.

Bien que le Philharmonique soit toujours très peu représenté au disque (une dizaine de titres !), le National est ainsi regardé avec une forme de mépris plus ou moins discret – l'orchestre-pour-Verdi, l'orchestre-pour-programmes-grand-public, etc. Pourtant, je lui trouve un niveau exceptionnel : le grain des cordes est particulièrement impressionnant (rarement entendu un si beau pupitre d'altos, à la fois tranchant et profond !), très dense, légèrement dur, mais avec une profondeur de résonance très grande, tandis que la petite harmonie dispense des couleurs chaleureuses inhabituelles en France (où les timbre sont en général plus clairs et froids). Non seulement cela se vérifie quel que soit le programme, mais surtout cela s'adapte très bien à n'importe quel type de musique : la fermeté et la couleur, tout le monde peut en bénéficier ! 

Par ailleurs, la discipline d'ensemble est impressionnante : on voit rarement en France les pupitres s'élancer comme un seul homme – même visuellement, le moindre orchestre allemand paraît immédiatement une caserne lorsqu'on est habitué aux orchestres français. Beau travail collectif.

Très agréablement surpris par Edward Gardner (ancien chef principal à l'ENO), qui ne m'avait pas laissé cette impression d'énergie et de netteté dans ses précédentes fonctions (mais il faut dire que j'ai surtout dû l'entendre dans le flou des prises Chandos, que ce soit pour de l'opéra ou du symphonique). Quant au violoniste James Ehnes, pas vraiment starisé, on est confondu par la puissance de la projection, la qualité de timbre (même dans les passages rapides, toujours une rondeur extrême, façon Hilary Hahn), le goût des phrasés. Ce ne sont pas les grands violonistes qui manquent, mais celui-ci en est vraiment l'un des meilleurs. En bis, son mâle Bach tradi était à couper le souffle.

Voilà pour ce petit bilan, assez différent des hiérarchies habituellement prêchées, qui permettra – je l'espère – de se poser la question, précisément, sur les critères d'une hiérarchie.


Notule ouverte à Radio-France

Pour terminer, un petit message personnel.

Radio-France, vous avez un problème.

Pour le concert Britten-Tchaïkovski-ONF-Gardner, le système de réservation annonçait une salle quasiment pleine – dans les faits, plus du tiers était libre. Ce n'est pas pour laisser cours à mes instincts poujadistes, mais considérant que les déficits de billetterie sont directement financés par les contribuables (même les poitevins et franc-comtois, même ceux qui écoutent Drake ou n'aiment pas la musique), au delà de mon confort personnel de n'avoir aucun voisin sur mon rang, pourrait-on essayer de tout vendre ?

J'ai quelques hypothèses, et je ne crois pas que le positionnement peu clair des orchestres (qui jouent tous deux Wagner, Mahler et Debussy) en soit responsable :
¶ identité de la salle (quel est son projet, au juste ?) ;
¶ tarifs (peu de places pas chères comparé à la concurrence, qui propose pour moins cher des orchestres étrangers ou des solistes superstars : qui va payer 40€ pour être de côté pour entendre un orchestre de radio, indépendamment de l'intérêt du programme et de la qualité de l'exécution ?) ;
¶ accueil du public (l'accueil dans le hall est passablement suspicieux et brutal, sans être toujours rigoureux pour autant : outre le contrôle, souvent à la limite de l'impolitesse, les espaces intérieurs sont mal délimités, ce qui conduit le personnel à courir après les gens pour leur demander où ils vont, ce qui n'est agréable pour aucune des deux parties). On sent bien que le lieu n'est pas conçu pour le public comme une salle de spectacle standard, et que l'on y est, billet en poche ou pas, tout juste toléré au creux d'un plus vaste dessein.

Bref, aller dans une salle peu prestigieuse en payant plus cher pour voir des artistes moins célèbres depuis des places qui ne paient pas de mine (même si le son est bon), forcément que ça peine un peu à remplir, tandis que la Philharmonie a si bien saisi l'air du temps (le contrat est diversement rempli, mais ça donne envie d'aller découvrir – personne ne m'a dit ça pour Radio-France).

Je conçois bien qu'un certain nombre de ces paramètres sont difficiles à amender, mais au minimum… mettez les places en vente, ça aidera. 


David Le Marrec

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