Mozart – Le Nozze di Figaro, avec continuo – Musica Aeterna, Currentzis
Par DavidLeMarrec, dimanche 16 février 2014 à :: Tirso, Molière, Beaumarchais, Da Ponte et Mozart - Disques et représentations - Saison 2013-2014 :: #2416 :: rss
Demain paraît l'intégrale, très attendue par la presse, des Noces de Currentzis, chez Sony – qui ne fait plus que de l'événementiel ponctuel. Il faut dire que Currentzis plaît par son originalité, et qu'il est devenu un produit à part entière, à la manière de Minkowski ou Jacobs – le disque qui dynamite la tradition, qui vous fait voir les choses autrement.
Après écoute de ces Nozze, oui, c'est effectivement une version à écouter – dans la mesure où elle apporte quelque chose d'inédit à la discographie.
Précédents
Pour Chostakovitch, ce n'est pas particulièrement audacieux (le répertoire XXe est plus « écrit » et offre moins de variantes spectaculaires) ; dans Purcell, les effets m'ont paru un peu poseurs (au détriment du théâtre), comme si on cherchait absolument à faire autre chose, indépendamment de son efficacité ; dans des bouts de Verdi joué au concert, les contorsions du rubato m'avaient tout de bon irrité.
En revanche, son disque du Requiem de Mozart est proprement saisissant, avec une gestion des masses, des dynamiques (en particulier du chœur) et des textures (battuto col legno par exemple) totalement neuve. J'avais donc plutôt envie de tenter.
Plateau
La distribution, à l'exception de l'italien pas toujours parfait (mais pas grimaçant) ni très articulé, se distingue par des qualités d'adéquation et de sobriété ; hors Simone Kermes (qui produit une Comtesse étrange et magnétique, sons et ligne droitissimes), peu de noms célèbres. Fait amusant, les autres femmes (Fanie Antonelou en Suzanne, Mary-Ellen Nesi en Chérubin) ont été recrutées sur des canons esthétiques similaires, et usent des mêmes effets – refus récurrent du vibrato, feulements... Personnellement, j'aime beaucoup ses bizarreries, même si je perçois plus de fascination musicale que d'intensité dramatique.
On y retrouve tout de même Maria Forsström (il faut absolument écouter son album Mahler accompagné à l'orgue, un bijou) en Marzellina et Andreï Bondarenko en vaillant Comte, mais on ne peut pas exactement parler de superstars – j'ai été marqué par la première sur un disque pas très bien distribué, et le second est encore à l'orée de sa carrière.
Fosse
Musica Aeterna se situe, pour cet enregistrement, dans l'esthétique des cordes qui tranchent, presque percussives, à la mode désormais ; pour en rester à des ensembles qui ont enregistré les Noces, on se retrouve quelque part entre l'épure légèrement acidulée de la Petite Bande avec Kuijken et les timbres secs mais chaleureux du Concerto Köln avec Jacobs.
Rien de furieusement neuf jusque là, et on n'est certainement pas dans la révolution promise, ne serait-ce que parce que l'ensemble reste mesuré et les choix assez « théoriques », manifestement peu nourris par la scène. Pourquoi une version à écouter ?
D'abord parce que Teodor Currentzis reproduit, à moindre échelle, les exploits du Requiem : les nouvelles entrées d'instruments et les changements de formules d'accompagnement sont enrichies de changements soudain de textures (une corde qui râpe, un piano subito des cordes qui expose soudain une couleur de vents...). Très stimulant musicalement : les rouages de chaque section sont exposés de façon très esthétique.
Rémanence de la basse continue
Sa disparition est censée coïncider avec la nouvelle ère classique, mais les choses ne sont pas aussi simples, et un certain nombre d'ensembles spécialistes s'engouffrent dans la brèche. De même pour les ornementations, remarquablement belles et naturelles dans cette version, mais qui arrivent parfois tôt, dès la première audition d'une mélodie – vraiment, la romancette de Chérubin est-elle destinée à la pyrotechnie ?
C'est donc l'autre raison d'écouter ce coffret : à cause de l'usage, inédit dans cet opéra (Jacobs avait commencé, mais pas dans ces dimensions), du continuo. Le pianoforte, sans jouer avec le spectateur comme chez Jacobs, est très volubile, et fluidifie grandement, avec beaucoup d'esprit et d'élégance, les récitatifs qui paraissent si pauvres d'ordinaire, surtout dans ce Da Ponte-ci. Sans aucune impression de remplissage comme c'est d'habitude le cas avec des accompagnements qui se contentent de remplir l'harmonie.
Plus étonnant encore, des sections sont « improvisées » (vraisemblablement pas du tout, mais elles ne figurent pas sur la partition) pendant les parties d'orchestre, apportant des couleurs nouvelles, et remplissant des vides... cela ne se limite pas à un accompagnement en accords comme d'autres l'ont fait, mais ajoute une nouvelle partie thématique.
Étrangement, à rebours de cette logique d'exploration orchestrale, la prise de son Sony (quoique confortable) compresse les dynamiques fortes dans les grands ensembles, ce qui donne une impression d'uniformité là où elle n'est pas.
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Bref, une intégrale cohérente, bien chantée de bout en bout, avec de nouvelles composantes orchestrales. Ça ne dynamite rien, et ça manque même un peu de l'abandon de la scène (particulièrement profitable pour cette œuvre), mais ça mérite d'être entendu au moins une fois.
Commentaires
1. Le lundi 17 février 2014 à , par Passée des arts :: site
2. Le lundi 17 février 2014 à , par DavidLeMarrec
3. Le mardi 18 février 2014 à , par Thierry
4. Le mercredi 19 février 2014 à , par DavidLeMarrec
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