Le ténor-cluster
Par DavidLeMarrec, jeudi 3 octobre 2013 à :: Glottologie - Pédagogique - Portraits :: #2325 :: rss
C'est un phénomène dont il a déjà été fait état ici, et dont je rencontre un exemple particulièrement spectaculaire – car cette caractéristique est rarement audible en retransmission.
Donc :
Misha Didyk (ici en Manrico avec Minkowski et l'Orchestre de la Monnaie, un enregistrement qui va très prochainement servir de support à une autre notule) a la particularité de produire des sons dont il est difficile par moment de déterminer la hauteur exacte. Ils sont tellement chargés en harmoniques qu'ils paraissent couvrir plusieurs notes, comme s'il chantait un intervalle de seconde ou de tierce au lieu de chanter une note.
En salle, ce type de voix peut parfois donner l'impression de chanter plus bas que la fondamentale (ou d'avoir une fondamentale fausse, plus exactement), comme expérimenté avec Pierre Vaello.
Dans le cas de Misha Didyk, cela s'explique assez bien du point de vue acoustique :
- voix riche en harmoniques faciales (de plus en plus hautes et libres au fil de la montée dans l'aigu, malgré la lourdeur du mécanisme) ;
- énorme énergie articulatoire (voyez le second extrait, je n'ai jamais entendu autant de coups de glotte ! – ce sont les sons d'obturation de la gorge que vous entendez au début ou à la fin des sons, en particulier à la fin d'« Ah sì, ben mio ») ;
- vibrato par obturation qui accentue l'effet de pesanteur ;
- couverture intense des sons (beaucoup de [eu], même dans les [o], très caractéristique de la technique slave orientale) ;
- et une émission de très haute impédance (beaucoup de résistance à la sortie du son, qui se répercute beaucoup à l'intérieur en démultipliant les harmoniques), caractéristique de notre époque – un sujet à venir sur CSS.
Tout cela mêlé crée cette étrange surcharge qui rend la note principale difficile à isoler au milieu des partiels harmoniques qui pullulent.
Phénomène amusant (et plus rare chez ce type de ténor !), un peu plus tard dans la soirée, une fois chauffé, il peut aussi libérer des harmoniques hautes très intenses qui donnent l'impression qu'il chante par moment (et peut-être surtout par contraste) légèrement au-dessus des notes, parce que ces partiels au-dessus de la note principale « attirent » notre perception du son vers le haut.
Tout cela n'est pas très gracieux, mais je dois avouer que sur la durée, il se crée chez lui en particulier (alors que ce type de voix est assez à l'opposé de mes inclinations esthétiques) une forme d'électricité, une impression d'ardeur qui ne s'émousse pas malgré son uniformité.
Par ailleurs, contrairement à la plupart de ceux qui chantent ainsi (parmi les grands noms de la scène actuelle, Marco Berti incarne assez bien le phénomène), Didyk est capable de libérer totalement ses aigus de la contrainte (le placement devient soudain beaucoup plus haut et totalement facial) et de les émettre avec franchise et même liberté, alors que le médium aigu sent tellement l'effort !
Un cas étonnant, et assez intéressant.
Commentaires
1. Le dimanche 6 octobre 2013 à , par malko
2. Le jeudi 16 juillet 2020 à , par Benedictus
3. Le jeudi 16 juillet 2020 à , par DavidLeMarrec
4. Le jeudi 16 juillet 2020 à , par DavidLeMarrec
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