Le disque du jour - LIV - Intégrale des symphonies de Schubert
Par DavidLeMarrec, mercredi 26 septembre 2012 à :: Le disque du jour - Domaine symphonique - Musique romantique et postromantique - Discographies :: #2083 :: rss
Etat discographique
Les symphonies de Schubert, étrangement, disposent d'un nombre d'intégrales relativement restreint. Considérablement moins en tout cas que Beethoven, Schumann, Brahms, Mahler ou Sibelius, et souvent par des formations ou des associations moins prestigieuses.
Je suppose que cela est dû à une forme de mépris (pas forcément volontaire, peut-être de l'ignorance) pour les premières symphonies - hormis la Cinquième, presque toutes sont finalement très peu des objets d'éloge en dehors de l'Inachevée et de la Neuvième. Et les 1,2 et 6 (soit plus du tiers d'un corpus de 8,5) semblent vraiment n'intéresser personne. C'est sans doute pourquoi, si l'on croule sous les Huitièmes et les Neuvièmes, on doit disposer de si peu d'intégrales soignées.
Eloge des premières symphonies
Car, en plus de cette relative confidentialité, les "coffrets" disponibles sur le marché souffrent assez largement d'une forme de désinvolture, que je m'explique parfois mal. Il est vrai que dans ces intégrales, je m'attache avant tout aux cinq premières symphonies, qui sont moins enregistrées, moins souvent traitées avec sérieux (sauf la Cinquième), et que (je n'en rougis pas) je trouve beaucoup plus intéressantes que les trois suivantes.
Pour une raison simple : leur force motorique (un peu moins pour la Quatrième, qui ne fonctionne qu'avec des musiciens ultimement engagés), la simplicité de leur construction, la grâce de leur maintien en font des prolongements très touchants du dernier Mozart, avec un goût un peu plus percussif hérité de Beethoven et une forme de miracle mélodique propre à Schubert. L'orchestration aussi, avec sa petite harmonie très lyrique, n'est pas dépourvue de charmes.
La Sixième est clairement plus faible ("académique", pourrait-on dire), et les deux dernières me lassent par leur refus du développement et leur rabâchage permanent de thèmes qui de subliment, deviennent irritants au fil des réitérations - typiquement le deuxième mouvement de la Neuvième. Les premières symphonies, conçues de façon plus traditionnelle, sont aussi beaucoup plus équilibrées à mes oreilles.
Quoi qu'il en soit, vu que ce sont celles qu'on ne trouve pas séparement sous de grandes baguettes, elles constituent la véritable plus-value lors de l'achat d'une intégrale.
Les forces en présence
D'emblée, on peut dire que beaucoup d'intégrales souffrent d'articulations pachydermiques sans rapport avec la musique jouée. Cette musique est fragile, elle demande des détachés, de la danse, une attention aux lignes des bois (sous peine de perdre du matériau thématique essentiel), et une certaine alacrité. Aussi, les grandes arches épaisses, qu'on peut servir avec bonheur dans la monumentale Neuvième, voire dans la profonde mélancolie de la Huitième, anéantissent complètement la plupart des symphonies antérieures. Du fait de son langage mozartien à s'y méprendre, les chefs brucknéro-panzériens épargnent généralement la Cinquième, dans laquelle ils ne doivent pas se sentir trop perdus.
Dans cette catégorie, on pourrait classer :
- Karl Böhm avec le Philharmonique de Berlin (DG). Eu égard aux qualités exceptionnelles de ce chef dans d'autres répertoires, et même chez Mozart, on essaiera de mettre son égarement dans ses menuets (manifestement tirés de Carmina Burana) sur le compte d'une certaine vision d'époque dont il ne se serait pas tout à fait départi.
- Herbert von Karajan fait à peine mieux avec le même orchestre (EMI), et si je répugne évidemment à la facilité de jeux de mots douteux sur sa participation aux crimes de masse envers un uranien notoire, je n'aurais que peu à dire de flatteur, tant ces cordes molles et homogènes empêchent non seulement d'entendre les vents, mais rendent de surcroît les articulations nettes impossibles. Impression mélasseuse plutôt pénible.
- Tout récemment, Jonathan Nott et le Symphonique de Bamberg (Tudor), deux figures que je révère par ailleurs (pour d'assez nombreuses raisons), entrent dans les pas de leurs précédesseurs en pondant des premières symphonies d'une épaisseur à peine vraisemblable après les avalanches d'anathèmes baroqueux qui ont pu sévir dans les revues spécialisées.
J'avouerai tout à fait honnêtement ne pas avoir écouté les dernières symphonies dans ces intégrales - pour les raisons susdites : elles ne sont pas ma priorité, et ce n'est de toute façon pas vraiment l'intérêt d'une intégrale. Il est très vraisemblables qu'elles soient tout à fait réussies, mais quitte à choisir un disque pour ces deux symphonies, autant sélectionner le chef et l'orchestre de son choix plutôt que de s'encombrer d'une intégrale - qui, au mieux, nuirait à mon estime des premières symphonies.
Riccardo Muti se place sensiblement dans la même esthétique ample et un peu épaisse avec le Philharmonique de Vienne (EMI), mais le son propre de l'orchestre (plus tranchant) et le savoir-faire de ce chef avec une forme d'urgence chez Mozart rendait l'ensemble, dans mon souvenir, tout à fait écoutable. Pas vraiment enthousiasmant non plus, mais si l'on cherche un chef célèbre dans une vision post-brahmsienne, pourquoi pas.
Il est dommage, dans le versant tradi, que Thomas Beecham n'ait jamais fait d'intégrale : ses Troisième et Cinquième se révèlent vraiment maîtrisées avec le style propre, et non comme des ébauches fades de la Grande-Neuvième.
Deux intégrales plus récentes font souvent parler d'elles, à juste titre.
Nikolaus Harnoncourt, comme pour ses Beethoven, incarnait une rupture, cette fois avec le Concertgebouworkest (Teldec), avec les mêmes qualités de spectre lisible, d'accents cinglants, mais aussi les mêmes limites, à commencer par une segmentation extrême des phrasés. On a beau aimer passionnément Harnoncourt dans la plupart de ses répertoires (c'est mon cas), on perd tellement en poussée horizontale que les gains de clarté et de rebond se trouvent finalement compensés par cette manière un peu systématique - et les saccades ne sont pas vraiment la spécifité de Schubert. Néanmoins, contrairement aux premières citées, l'intégrale s'écoute avec beaucoup de plaisir.
Claudio Abbado avec le Chamber Orchestra of Europe (DG) avait le mérite de proposer une lecture nette, grâce à un orchestre (celui de l'intégrale Beethoven d'Harnoncourt) qui s'inspire des modes de jeu « musicologiquement informés », associée à un chef très traditionnel, qui ne brusquerait pas les oreilles du public. Le résultat est exactement celui-là : une intégrale probe, bien faite, à mettre entre toutes les oreilles, qui ne décolle pas tout à fait et a tendance à conserver une forme de réserve un peu neutre, au delà du manque d'abandon (car globalement le discours avance bien). Beaucoup moins électrisant que les prises sur vif faites plus tard (en vidéo) pour l'Inachevée, ou que les disques captés sur scène pour Fierrabras ou Don Giovanni.
Entre les deux, je me tournerais plutôt vers Harnoncourt, beaucoup plus habité, mais on peut fréquenter l'une ou l'autre sans dommage.
Les recommandations de CSS
A l'usage, j'ai remarqué que je revenais aux deux mêmes publications, dans deux styles complètement opposées.
Comme toujours, Roy Goodman et la Hanover Band (Nimbus) proposent une interprétation « dégraissée » pleine de modestie et de couleurs : pas de recherche de l'effet ou de la nouveauté, seulement un soin des timbres, du spectre, et un intérêt manifeste pour la danse. Les cordes sans vibrato et en petit nombre laissent s'épanouir la petite harmonie (l'équilibre traditionnel est complètement renversé, le legato étant confié aux bois et non aux cordes), avec une simplicité très touchante.
Cela convient parfaitement aux premières symphonies, mais plus étonnant, je crois n'avoir jamais été autant convaincu par la Neuvième. Une version de chambre qui confine au nonette, sans doute (et qui explique sans doute pour partie mon inclination), néanmoins, simultanément, un savoir-faire remarquable dans les respirations, qui modèle et ouvrage si bien la continuité du discours que les reprises thématiques ne paraissent jamais radoter.
Je ne garantis pas du tout que ce soit du goût de tout le monde, mais c'est assurément une des versions les plus originales de la discographie - sans qu'elle semble chercher à l'être, ce qui la rend d'autant plus attachante.
A l'opposé, Herbert Blomstedt et la Staatskapelle de Dresde (CCC [1]) livrent une lecture complètement traditionnelle, ample, avec des cordes magnifiques. Toutefois, le relief des phrasés y est exceptionnel, tout regorge d'accents et de rebonds, d'une tension et d'un enthousiasme palpables, et la beauté de Dresde est encore magnifiée par la prise de son Berlin Classics, comme de coutume.
De toutes, c'est sans doute la version qui danse le plus !
Pour la variété couleurs, mon choix personnel me porte d'abord vers Goodman, néanmoins on dispose là de deux versions réussies pour la totalité des six premières symphonies. Selon les goût, on aimera diversement les lectures des deux dernières, très abouties mais typées ; pour ce qui est de l'intérêt du coffret, c'est-à-dire les symphonies moins facilement disponibles dans de grandes interprétations, les deux voies offrent des satisfactions considérables.
Marc Minkowski
Sa version avec Les Musiciens du Louvre (Naïve) paraît [vient de paraître] le 25 septembre [2]. Si j'en crois les concerts viennois (de la Cinquième à la Neuvième, donc très partiels sur mon corpus prioritaire), l'esprit se rapproche beaucoup d'Harnoncourt, avec plus d'accents que de lyrique, une chair colorée mais pas toujours pleine. Manifestement retravaillé en profondeur (comme toujours), et très intéressant, mais je ne suis pas certain qu'on y trouve une référence supérieure à mes deux choix du jour.
D'une certaine façon, si ces suppositions se confirment, cela reste un événement : ce n'est pas tous les jours que Minkowski ne bouleverse pas la discographie.
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En raison de cette conclusion peut-être inattendue, je me permets de consacrer la notule du jour à ces tubes (relatifs).
Commentaires
1. Le mercredi 26 septembre 2012 à , par rhadamisthe :: site
2. Le mercredi 26 septembre 2012 à , par rhadamisthe :: site
3. Le mercredi 26 septembre 2012 à , par David Le Marrec
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