Alban Berg - LULU - Schønwandt, Decker, Paris Bastille 2011
Par DavidLeMarrec, mercredi 19 octobre 2011 à :: Opéras des écoles du vingtième siècle - Les plus beaux décadents - Saison 2011-2012 :: #1850 :: rss
Entendre Lulu en salle est une expérience singulière.
Cette oeuvre tient du paradoxe puissant :
=> Ecrite avec les contraintes du dodécaphonisme sériel, elle demeure très lyrique et ménage une belle part aux répétitions - en principe proscrites, car elles créent des impressions de polarité contre lesquelles oeuvre précisément le sérialisme ! Les interludes et surtout les fins d'acte sont particulièrement réussis mais aussi particulièrement transgressifs à cet égard.
=> Elle ressortit en de nombreux points à l'esthétique de la conversation (nécessitant des voix pas trop lourdes), quelquefois à la parole mélodique (sprechgesang), et pourtant les cuivres sont sans cesse présents, rendant nécessaire le choix de voix sonores pour passer ce mur.
=> Le résultat final tient davantage du théâtre que de la musique, mais davantage de la musique que de l'opéra...
Autrement dit, le texte saissant de Wedekind prend facilement le pas sur son traitement musical (pas très "émotif"), mais si l'on s'astreint à l'écoute musicale (ou si on l'écoute au disque), l'intérêt de l'orchestre me paraît tout à fait premier. Un écart assez singulier.
Il s'agissait de la version complétée en trois actes, mais je reste étonné de la façon dont le matériau du troisième acte reste résolument moins contrapuntique - et l'orchestration plus massive et sommaire, mais la faute est plus facilement imputable à Friedrich Cerha. Et d'une certaine façon, même si la déchéance finale complète le tableau, on peut difficilement dépasser la "chute" sacrilège de l'acte II.
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Concernant la représentation, la chronique de concert n'étant pas l'objet de CSS, je peux me contenter de dire que c'était très bien.
Non ?
Côté direction, Michael Schønwandt présente ses caractéristiques habituelles, avec une lecture à la fois engagée et ménageant peu de ces arêtes qui aident l'auditeur face aux musiques complexes. A la fois présent et fuyant.
Côté plateau, Laura Aikin, la titulaire la plus en vue du rôle ces dernières années, est évidemment pleine d'assurance, même si la diction est relâchée (la plupart du temps inintelligible) et la voix un peu opaque - forcément, il faut bien un matériau capable de passer l'orchestre tout en tenant la tessiture haute. Je n'adore pas, mais sa maîtrise et son aisance forcent le respect.
Pas de faiblesses dans la distribution de toute façon, et même quelques très beaux portraits, comme le Lycéen d'Andrea Hill (réellement délicieux), la Comtesse Geschwitz d'un timbre extrêmement singulier (et d'une aisance rare) de Jennifer Larmore, le Peintre de Marlin Miller, voix lyrique et ronde qui se révèle tout à fait aisément projetée à travers la salle, le Schigolch mordant et plein de relief de Franz Grundheber, ainsi que les portraits cruels (Directeur de Théâtre, Banquier) tenus par Victor von Halem, dont la puissance impressionne - d'autant plus que de près, il n'assomme pas.
Kurt Streit (Alwa) et Wolgang Schöne (Dr Schön, Jack) sont moins impressionnants (timbre moins personnel, très bonne projection mais impact physique minime). Le cas de Schöne est quand même confondant : à 71 ans, après une carrière au plus haut niveau et pas constituée de petits rôles reposants... la voix est toujours audible et naturelle, il n'y a que le dernier aigu de Jack qui blanchisse un petit peu ! L'acteur aussi est très bon, aucune difficulté de mobilité, d'une rigidité épouvantablement inquiétante en Jack et tombant comme un maître lorsqu'il est frappé.
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Enfin, pour la mise en scène de Willy Decker, on reste bien sûr dans la sobriété, mais sans la fadeur qu'on pouvait redouter, a fortiori pour une reprise en son absence. Déjà, très bon décor (Wolfgang Gussmann) semi-unique (seuls les meubles changent), le reste étant constitué d'un cirque surmonté de gradins d'où une foule d'hommes anonymes se pressent, et d'où les personnages descendent (au lieu de monter des escaliers) dans l'arène au moyen d'échelles.
Décor qui revêt plusieurs avantages. Le premier est acoustique, car il renvoie les voix des chanteurs, ce qui permet de bien les entendre pendant toute l'oeuvre : ce point est très souvent négligé, avec la mode des plateaux vides, ou pis, les irresponsables amateurs de rideaux !
La présence d'un écran derrière le chanteur accroît la projection de façon totalement spectaculaire, et cela explique peut-être aussi en partie pourquoi autrefois, avec les planches en carton-pâte, les voix paraissaient plus grandes dans les mêmes théâtres...
Symboliquement, le cirque, les spectateurs dans les gradins (en miroir du public), tout cela file adroitement la métaphore du petit Prologue.
Troisième atout, le jeu d'échelles permet de représenter la scène comme un lieu enclavé, où l'on descend, mais d'où l'on ne sort pas à son gré, et l'inversion de la logique (on descend dans les appartements occupés par Lulu au lieu d'y monter, et on ne peut en ressortir qu'en s'échappant par le haut), indépendamment du concept, a quelque chose d'assez saisissant instinctivement.
Les lumières (Hans Toelsede) aussi sont réussies, avec des contrastes lors des ouvertures de porte parfois impressionnants.
Et globalement, la direction d'acteurs est bonne.
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Une belle soirée, donc, avec une oeuvre particulièrement singulière.
Pour lire davantage sur Alban Berg sur CSS : son rapport au dodécaphonisme.
Commentaires
1. Le mardi 25 octobre 2011 à , par phc :: site
2. Le mardi 25 octobre 2011 à , par DavidLeMarrec
3. Le jeudi 27 octobre 2011 à , par Gilles :: site
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