Eros Maçon
Par DavidLeMarrec, dimanche 25 septembre 2011 à :: Citations passantes - Littérature :: #1830 :: rss
Plein d'impudence dans la forêt de cannelle,
Affichant sans remords une feinte candeur,
Les stylobates nus font rougir les lamelles
Que les rinceaux mal gardent des regards moqueurs.Aussi pernicieux que corbeaux sans entraves,
Sans rien dire à personne ils osent à la fois,
Narguent les chastetés moites de l'architrave,
Et leur visible rien nous fait blêmir d'effroi.
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En recopiant pour mon compte cette fantaisie (devrait-on dire cette folie ?)

sur ces stylobates qui demeurent si souvent au naturel, je songe tout à coup à la parenté évidente avec La Cité des Eaux d'Henri de Régnier (1902), un recueil très parnassien et joueur. En évoquant Versailles sous la périphrase de Michelet, Régnier effectue une série de stations sur des détails visibles ("La Façade"), célèbres ("Latone"), accessoires ("Les Feuilles") ou plus inattendus ("Le Socle").
Evidemment, la qualité de langue et la beauté de l'évocation est sans commune mesure avec l'aimable plaisanterie qui me permet de vous en recommander la lecture.
Voyez par exemple comment l'érotisme y est évoqué (sous un angle certes plus sérieux) :
Au centre du bassin où le marbre arrondi
Entoure une onde léthargique qui tressaille
D’une ride qu’y fait, de son bec qui l’entaille,
Un cygne se mirant à son miroir verdi,Elle cambre son corps qu’une attente roidit ;
Son pied nu touche l’eau que son orteil éraille,
Et sa langueur s’accoude à la rude rocaille,
Et son geste s’étire au métal engourdi.Les cygnes nonchalants qui nagent autour d’elle
Approchent de la Nymphe et la frôlent de l’aile
Et caressent ses flancs de leurs cols onduleux ;Et le bronze anxieux dans l’eau qui le reflète
Semble encor palpiter de l’amour fabuleux
Qui jusqu’en son sommeil trouble sa chair muette.
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Les allusions et connotations, extrêmement nombreuses, toujours licencieuses et jamais grivoises, forment - il me semble - un réseau délicieux dans ce poème.
"Léda"
Henri de Régnier, La Cité des Eaux, 1902.
Paru dans le Mercure de France et dédié à José Maria de Heredia.
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Il est à noter qu'Henri de Régnier a quelquefois été mis en musique par ses contemporains français. L'occurrence la plus réussie est à mon sens celle des Odelettes, traitées avec orchestre par Ropartz. Les poèmes bucolico-mythiques n'en sont pas aussi puissants, mais ils dégagent dans une belle langue une atmosphère assez prégnante, qu'exploite remarquablement Ropartz dans son langage mi-tristanien mi-debussyste.
Ces Odelettes, comme le recueil complet de La Cité des Eaux, sont une fréquentation très vivement recommandée par les lutins de céans.
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