Carnets sur sol

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Italienisches Liederbuch de Wolf aux Abbesses (Vondung / Güra / Berner)


1. Un corpus

J'ai toujours considéré le Spanisches Liederbuch comme plus consistant musicalement que cet Italieniches si typique de Wolf, avec sa simplicité tarabiscotée, ce dépouillement farci de détails rythmiques retors et de micromodulations recherchées.

J'ai déjà exposé la tendresse mêlée de perplexité qui m'envahit à l'écoute de la plupart du corpus de Wolf. Ce n'est pas faute d'être familier du lied, pourtant - même le plus reculé et le plus bizarre.

Ce Livre de chansons italiennes est en réalité une compilation de poèmes et chansons populaires italiens, traduits en allemand par Paul Heyse. Ces miniatures évoquent des situations assez typiques, des sérénades, des jalousies, quelques fâcheries... autour de l'amour bien sûr ! Elles peuvent être attribuées à deux voix de sexe différent, et le sont traditionnellement, puisqu'on a clairement les deux faces de la pièce amoureuse qui s'expriment.

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2. Un concert

Il est excessivement rare de les entendre en concert, du moins hors des pays germaniques, et plus encore dans leur entier. Il faut dire que c'est un concert un peu austère, nécessairement. Ici, seuls les titres sont fournis dans le livret, et le surtitrage n'indique que la traduction du premier vers... On imagine le grand moment de solitude de celui qui n'a pas l'habitude du lied et ne maîtrise pas les textes.

Aussi, je m'y étais précipité, en prenant soin d'apporter les textes. Précaution doublement inutile. Tout d'abord, l'articulation des deux chanteurs était parfaite, on entendait intégralement le moindre mot prononcé. Ensuite, ils avaient fait le choix intéressant de redistribuer l'ordre des numéros, afin de faire de ces fragments d'historiettes une narration un peu plus suivie, même si elle a bien sûr ses creux et ses redites. Cela rendait donc, vu la durée brève de chaque lied, la consultation du texte un peu malaisée dans le silence de la salle de concert...

La chose la plus frappante que j'aie retirée de cette soirée est le caractère potentiellement parodique de tout cet ensemble, que les interprètes osent aborder, mais par la marge, dans les cas les plus frappants - et un peu dans leur jeu scénique.
Car Wolf traite avec sa distance habituelle les textes, établissant un flux constant un peu morose dont seule l'étude attentive peut retirer les intentions expressives. Et le ton tout de même très pittoresque des textes, plus quelques indices dans l'accompagnement ou les lignes vocales, permettent de penser que le compositeur s'amuse beaucoup et ne peut prendre pour mode privilégié de l'expression d'un spleen ce support-là !

Je précise que je tâche là de décrire cet écriture et ces effets, mais ce que ne sont pas vraiment des réserves - je suis sorti du concert avec l'envie furieuse de jouer / chanter ça...

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3. Interprètes

Je laisse rapidement Christoph Berner, l'accompagnateur attitré de Güra, de côté : un jeu toujours très honnête, pas prosaïque ni neutre, pas sans relief non plus, mais assez peu engagé et expressif tout de même. Un accompagnement irréprochable (pas en retrait façon Moore, pas de problèmes de toucher insuffisamment creusé comme l'ont parfois en concert Johnson, Drake ou Vignoles), mais pas particulièrement intéressant. Il semble en revanche ravi de son office discret, et aimer très fort cette musique, il est vrai assez stimulante pour un pianiste !

Werner Güra surprend par une vraie voix d'opéra qu'on ne devine pas forcément au disque. Toujours le même timbre et la même rondeur, mais aussi un certain métal, qui donne à la voix une certaine puissance qui n'aurait besoin que d'être activée pour passer dans n'importe quelle salle. Interprétativement, c'est comme toujours : goût impeccable, avec une modestie parfois un tout petit peu excessive par rapport à la musique et aux textes - sa maîtrise du répertoire l'autoriserait à un peu plus d'audace. Diction parfaite cela dit, on peut suivre sans support, et c'est très agréable.
Disons que je ne verrais pas d'intérêt spécifique de me déplacer pour un cycle rebattu, mais pour un ensemble rare, voilà qui me comble.

Anke Vondung, surtout connue des mélomanes pour être la Dorabella dans ce que comme j'ose considérer comme d'assez loin la meilleure version de Così fan tutte (DVD Iván Fischer, dans la mise en scène spirituelle en diable de Nicholas Hyler), y fait montre de qualités assez similaires.
Diction allemande parfaitement articulée aussi. Pas forcément très expressive verbalement, mais la voix est dense, ample et belle ; et l'actrice phénoménale. Avec les seuls yeux, avec une attitude minimale, elle campe instantanément ses personnages, et face à Güra qui peine un peu à s'impliquer sans direction d'acteurs, elle joue le rapport à son vis-à-vis avec un esprit absolument ravageur (qui conquiert le public comme il se doit).
Avec une diction parfaite, une voix pleine de saveur et une actrice hors du commun, on tient là une liedersängerin de tout premier ordre. Clairement, elle donne à cette soirée une caractère enthousiasmant qui outrepasse même le plaisir d'entendre un ensemble de lieder rares : on est au surplus séduit et transporté.

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Est-il besoin de préciser que ce fut un excellent concert ?

Je n'ai malheureusement pas de version aussi convaincante à recommander au disque, et pour le Spanisches Liederbuch, ma version de chevet est épuisée depuis assez longtemps. Si vous avez l'occasion de vous la procurer en l'achetant ou en l'empruntant, j'en donne tout de même la référence, un miracle de délicatesse, de finesse, de beauté vocale - qui n'a pas, évidemment, le feu d'un concert en salle, mais qui recèle bien d'autres qualités : Anne-Sofie von Otter / Olaf Bär / Geoffrey Parsons.


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David Le Marrec

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