Réminiscences mendelssohniennes chez Frederick Hollander (Born to be bad, Nicholas RAY 1950)
Par DavidLeMarrec, jeudi 31 décembre 2009 à :: Théâtre filmé (et autres cinémas) :: #1444 :: rss
Dans le même registre que la notule qu'on vient de publier à l'instant, on a trouvé une sympathique réminiscence (tout à fait volontaire et très voyante celle-là) de l'indémodable Marche nuptiale de Mendelssohn, tirée de sa musique de scène pour Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Tout le monde la connaît, inutile de la fournir : c'est celle qu'on joue à chaque mariage (avec parfois celle de Lohengrin en prime, manière de boucler la boucle des mariages paisibles et heureux).
Born to be bad (celui de Nicholas Ray en 1950, pas celui de Lowell Sherman en 1934), inspiré du roman All kneeling d'Anne Parrish (un très grand succès en Amérique à sa parution en 1928), reprend un thème assez fréquent au cinéma à cette époque : une jeune orpheline sans scrupules cherche à s'introduire dans une famille aisée - ici en faisant échouer habilement le mariage de celle qui lui a accordé l'hospitalité (pour mieux prendre sa place il va de soi).
Dans l'extrait que j'ai retenu, elle vient de raccrocher après avoir été enfin demandée en mariage : on entend le hautbois un peu interrogatif (elle doute, à ce moment-là), puis le plan suivant montre une cathédrale. C'est alors que se déchaîne cette singulière réminiscence, qui ressemble beaucoup à du Strauss du type Frau ohne Schatten, lyrique mais sombre et paroxystique.
Voilà de quoi annoncer un mariage tempêtueux, ou la menace de la perte du bonheur qui résonne jusque dans la marche nuptiale. Peut-être aussi quelque chose comme un Dies irae qui appellerait la justice immanente devant la forfaiture à l'origine de l'union.
C'est un exemple de musique subjective, qui exprime les sentiments de celui qui la perçoit et non la teneur réelle de la musique qui devrait être jouée et entendue par les personnages. On a pour projet de revenir sur cette question à partir des premiers exemples musicaux de musique subjective - car il en existe bien avant le vingtième siècle, et avant même le romantisme.
D'une manière générale, la musique élégante de Frederick Hollander est toujours très présente en fond dans ce film, jamais sirupeuse ni ostentatoire à l'exception de ce moment. Rien de particulièrement génial, mais de la belle ouvrage efficace et nettement plus équilibrée que la moyenne - pas d'excès.
Le film lui-même n'est pas mon objet, mais signalons tout de même aux amateurs qu'il s'agit d'un drame dont les recettes tirent sur le film noir, du côté de la manipulation (et de la focalisation sur le personnage néfaste, qui n'est même pas sympathique). Pas de soin particulier de l'image, qui est dans le très beau standard de ces années : une belle palette de gris, pas de relief ou de profondeur spécifiques (l'image commence souvent à s'aplatir à partir de 1950, on cherche moins les profondeurs et les contrastes, plus un cadre avec des angles précis, des décors moins chargés aussi [1]). De très bons acteurs, en particulier Joan Fontaine dont le rôle flatte moins l'anglais superlatif et versatile qu'à l'habitude, et Joan Leslie, d'un grand charisme dans le rôle de l'abandonnée qui serait en principe un faire-valoir pour la noirceur de 'l'héroïne'.
Bref, extrêmement recommandable pour les amateurs de cinéma de ces années, dont on retrouve les qualités standard.
Notes
[1] Evidemment, c'est une généralité : on ne pourrait certes pas faire ce grief à Madame de... par exemple. C'est une tendance qui va en s'accentuant dans le même temps où la couleur triomphe.
Commentaires
1. Le vendredi 1 janvier 2010 à , par lou :: site
2. Le vendredi 1 janvier 2010 à , par DavidLeMarrec :: site
Ajouter un commentaire