Carnets sur sol

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Angelika KIRCHSCHLAGER

Carnets sur sol doit depuis longtemps (depuis toujours, pour être plus précis) un portrait à cette liedersängerin éminemment sympathique à nos oreilles.

Dans l'attente de la conclusion de la notule autour du concert de Liederspiele schumanniens, où elle sera saluée comme il se doit, voici un peu de matière pour préciser notre avis et nous faire gagner un peu de temps en éliminant quelques précisions inutiles.


1) Tout d'abord, un petit mot sur elle à propos de la création des Dickinson Songs de Julian Anderson, dans un magnifique langage postbrittenien (on pense à Nicholas Maw et Thomas Adès).

2) Ensuite, la retrancription d'un vieil avis. C'était il y a déjà un bout de temps, en avril 2003. Nous avions parlé d'un concert de lied et de mélodie (donné dans la foulée de Kindertotenlieder assez atypiques et absolument fantastiques) donné au Grand-Théâtre de Bordeaux, tout près de notre tanière d'alors. C'était à l'intention de Concertonet, et en voici la retranscription, à titre de base pour plus ample développements.

Un récital tout en protase

Bordeaux
Grand-Théâtre
05 avril 2003 -  
Franz Schubert : huit Lieder divers : An Silvia (William Shakespeare traduit en allemand), Das Rosenband (Friedrich Gottlieb Klopstock), Die Gebüsche (Friedrich von Schlegel), Lied des Florio (Wilhelm von Schütz), Bei dir allein (Johann Gabriel Seidi), Wehmut (Matthäus von Collin), Du bist die Ruh (Friedrich Rückert), Im Frühling (Ernst Schuize) -
Johannes Brahms : cinq Lieder extraits de l'opus 57 (poèmes de Georg Friedrich Daumer) :
Von waldbekräntzer Höhe (n°1), Wenn du nur zuweilen lächelst (n°2), Es träumte mir (n°3), Ach, wende diesen Blick (n°4), Unbewegte laue Luft (n°8)
Hugo Wolf : huit Lieder sur des poèmes d'Eduard Mörike : Begegnung, Der Knabe und das Immlein, Ein Stündiein wohl vor Tag, Nimmersatte Liebe, Erstes Liebeslied eines Mädchens, Das verlassene Mägdlein, Lebe Wohl, Verborgenheit
Henri Duparc : quatre mélodies : L'Invitation au voyage (Charles Baudelaire), La Vie antérieure (Charles Baudelaire), Chanson triste (Jean Lahor), Phidylé (Charles Marie Leconte de Lisle).
Trois bis :
1) L.N.I. (Lied Non Indentifié).
2) Lied schubertien.
3) Berceuse : Schlafe, holder, süsser Knabe... .

Angelika Kirchschlager (mezzo-soprane)
Helmut Deutsch (piano)



Angelika Kirchschlager et Helmut Deutsch nous ont gratifié ce 5 avril d'un récital qui apparaît, à l'issue de son écoute, caractérisé par la courbe ascendante de sa qualité et sa pertinence.
D'emblée, ce qui est impressionne est la qualité d'une projection exceptionnellement saine. Aussitôt après, l'on est époustoufflé en comparant cette puissance vocale à la douceur du timbre. L'interprète bénéficie en outre, comme à l'accoutumée, d'une tessiture parfaitement homogène ; fait inouï dans l'apprentissage du chant, dotée d'un médium dense, elle demeure suprême dans les extrêmes. Le tissu de sa voix présente en effet une égalité très convaincante dans l'émission (pas de poitrinés sonores, ni presque de point de passage sensible), sans jamais rien perdre dans la diversité de la caractérisation, au moyen de voyelles diversement ouvertes selon l'expression recherchée ; l'orientation esthétique peut alors basculer de la sorte, tout au long du récital, du dépouillé presque frustrant à un fruité de plus en plus affirmé.
Ce qui suscite le plus de réserves réside en réalité, outre dans une certaine convention expressive du domaine du Lied, très confortable, mais pas follement originale, dans l'absence d'une conception forte tangible qui donnerait un tour plus personnel et authentique, une dimension plus profonde à cette perfection formelle déjà admirablement défendue. En cela, l'on ne peut que formuler d'immenses espoirs quant aux perspectives d'accomplissements futurs qui restent encore à Angelika Kirchschlager, aussi impressionnante soit-elle aujourd'hui. En nourrissant une conception personnelle et originale (ce qui est sans aucun doute le cas, mais elle demeure peu visible) plus apparente, elle pourrait alors nous permettre de dépasser le "simple" aspect de perfection qui entoure ce récital.


Le concert se déroulait en quatre sections, plus quelques bis. Premier ensemble, Schubert : An Silvia, Das Rosenband, Die Gebüsche, Lied des Florio, Bei dir allein, Wehmut, Du bist die Ruh, Im Frühling.
Cette première partie se montrait assez décevante, en regard de ce qui a suivi. En effet, par souci d'approcher l'impact du dépouillement schubertien, Angelika Kirchschlager, en dépit d'une morsure des consonnes assez efficace, jamais bruyante, usait assez rarement du vibrato, découvrant la voix de façon à présenter quelque acidité sur un timbre qui apparaissait dès lors comme plus ténu, fragile. Malgré cette relative pauvreté recherchée du timbre dans ces pages, le parti du dépouillement se montre au service d'une expression véritable : le relief des mots, tout comme l'atmosphère, apparaissent très soignés. Le texte est donné, non sans candeur, et se doit de contribuer lui-même à la poésie, là où les interprètes lui préparent avant tout une musicalité adéquate. L'intentionnalité de cette posture interprétative se révèle très clairement dès Bei dir allein : dans les forti, richesse et rondeur jusque-là tenues en respect se révèlent, le temps de la résolution d'une tension harmonique. Mais Wehmut, qui n'en bénéficie pas, se contente mal du seul charme ascétique, de l'aura des extrémités de la tessiture (pourtant, quel chaude douceur de ce grave égal, absolument pas poitriné!), de la seule force de sens du mot, sans aide extérieure ; l'interprétation un peu monolithique, plutôt convenue, et même par moment une fâcheuse tendance à ne jouer que ce qui est attendu, sans surprises, dans un texte tout de même plutôt monochrome, finit par apparaître comme une - toute relative et très momentanée - "atrophie" d'un goût pourtant globalement irréprochable. Cette récession minime se trouve toutefois immédiatement corrigée par les deux derniers Lieder de cette première salve : Du bist die Ruh, de caractère plus riant, apparaît comme illuminé par les accents d'une voix plus fruitée (malgré quelques ouvertures excessives des voyelles), les courbes ascendantes se parent d'un rondeur, d'une richesse, de couleurs que l'on aurait aimé ressentir plus tôt. La paix merveilleuse qui se dégage de cet instant se poursuit dans le développement de Im Frühling et la largeur admirablement exploitée de ses courbes mélodiques.


Dès la deuxième partie de ce récital apparaît la tendance en protase du récital que nous avions évoquée dans le titre : outre un raffinement accru dans le contenu pianistique brahmsien (plus furtif dans Schubert), et une évolution vers un élargissement symphonisant des possibilités de l'accompagnateur, la voix prend son expansion peu à peu - transitant tout de même par les effets un peu appuyés du maladif Wenn du nur zuweilen lächelst -, garante d'un beau recueillement dans Es träumte mir, plus présente encore dans Ach, wende diesen Blick, jusqu'à aboutir au merveilleux usage de la mezza voce dans Unbewegte laue Luft. C'est alors que les plus louables soucis de la ligne se révèlent, au moyen d'une voix pleine, d'un timbre stable, d'une émission ronde. Les voyelles se font éclatantes, et même si le charisme demeure essentiellement formel, la fascination est entière pour le spectateur, comme écrasé par sa projection toute-puissante, et réduit en admiration.


L'intérêt continue sa progression crescendo dans la série de Lieder de Wolf sur des poèmes de Mörike. L'interprète finit par s'abandonner totalement, semble-t-il, aux qualités que nous avions précédemment décrites. Plus encore sollicités, les registres extrêmes affichent une égalité et une discrétion, le plus souvent absolument confondantes. Et la projection, la richesse du tissu, l'intensité vont en s'accroissant. Si l'on n'a pas, comme nous l'avions supposé plus haut, de conception originale fortement proclamée, le travail esthétique est tel qu'il en tient lieu lorsqu'il se trouve ici associé à une excellente maîtrise de l'alternance tension-détente.
De plus, Helmut Deutsch partage les fascéties du jeu vocal et scénique, jeu presque exactement naturel jusqu'à mettre en évidence l'artifice de la recréation, à notre intention, de ce monde poétisé ; le pianiste assume également les accents presque didonesques dont se charge Das Verlassene Mägdlein, proprement déchirant ; lui aussi nous apparaît plus familier de la rhétorique musicale de Wolf, et à deux, il entreprennent ainsi l'oubli de l'ascétisme initial désormais faussement justifié pour s'unir autour de la richesse harmonique - mère d'une incarnation scintillante des sentiments de délaissement qui habitent les trois derniers poèmes - du mezzo-soprano.


Le dernier volet de ce récital quadripartite était dévolu à Henri Duparc. Une clausule en apothéose. Dès la fameuse Invitation au voyage, Angelika Kirchschlager fait montre d'un français parfaitement maîtrisé, avec des nasales particulièrement soignées, d'un naturel à faire pâlir nombre de grands interprètes francophones. Le haut médium poursuit sa détente, le raffinement de la ligne fait merveille, le fruité du timbre marque une notable expansion, la diversité des expressions compense la forme trop strophique de cette très sage mise en musique : l'approche assez peu audacieuse qu'avait Duparc de ce texte, apposée à la recherche esthétique baudelairienne, se trouve ainsi fabuleusement intensifiée, et le tout s'écoute avec une fascination certaine.
La Vie antérieure - dont le traitement musical par Duparc semble plus approprié : plus varié et atypique que la mélodie précédemment évoquée - et la Chanson triste d'après Lahor se partagent respectivement élégance et grâce suprêmes. Dernière pièce de l'ultime volet du programme officiel, Phidylé révèle une fraîcheur intacte qui, mêlée à l'élan de Helmut Deutsch, masque à peu près totalement les rares signes de fatigue que découvre un blanchissement léger de la voix, par instants. Un récital de toute évidence très finement proportionné!


Les trois courts bis offerts n'avaient quant à eux pas d'autre prétention que de prolonger l'enchantement par le don d'une interprétation à l'aspect plus détendu, transition apportée entre le recueillement de l'écoute et le réjouissement d'avoir écouté. Ainsi la première pièce qui conserve très largement les si charmantes rondeurs vocales des volets précédents, tout en limitant très efficacement la saveur acidulée qui perce, symptôme de légère fatigue, installe-t-elle immédiatement une atmosphère de plus grande légèreté et le public, comme libéré de la tension accumulée, semble à chaque instant frémir de plaisir, visiblement satisfait. Le Schubert du second bis, tout en apportant une belle preuve de la maîtrise de ce répertoire par l'interprète, clôt l'ensemble du programme sérieux. Et le tout s'achève sur une riante berceuse, Schlafen sie meine Kinder an…, caressante issue choisie d'un récital sur des poèmes romantiques et post-romantiques aux tonalités plus sombres.

Une leçon de raffinement vocal - projection percutante, rondeur fruitée du timbre, conduite de la ligne -, de style - quelle distinction! - et de bonne humeur - lisible dans le jeu, qui outrepasse les limites des pièces pour se loger jusque dans les saluts.


L'utilisation de la scène reste cependant sobre, usant d'une concision extraordinairement expressive : tantôt suggérant, tantôt affirmant, le plus souvent sous forme d'interpellations gestuelles, ou d'attitudes complices. Y compris au coeur de chaque volet, lorsqu'elles ne s'adressent donc pas directement au public ; si le caractère esthétique du récital se montre modéré dans ses audaces, on ne décèlera pas le moindre goût pour la pose que pourraient susciter l'allongement du temps par le traitement lyrique des textes et l'immobilité du récital. Au contraire, une bienfaisante progression s'est montrée à l'oeuvre au sein même des pièces, dont l'ensemble se trouvait ce soir-là animé par une véritable dynamique musicale.





David Le Marrec


Et donc, sans doute bientôt, d'autres propos autour de l'interprète. Il faudrait par exemple causer de son livre-disque Schumann avec Helmut Deutsch.


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