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Brèves autour de... la genèse d'Arabella - 1, Une suite


Et après ?

Arabella fait partie des oeuvres théâtrales dont on serait curieux de connaître la suite. Oh, bien sûr, il serait aisé de faire de Mandryka un succédané de Comte Almaviva dans quelque rifacimento du Mariage de Figaro - il est déjà jaloux et promptement inconstant lorsqu'il est courroucé ou triste [1]. Mais le problème plus fin se trouve ailleurs : Mandryka ne peut qu'être écrasé par sa faute, et en concluant l'union, c'est une alliance déséquilibrée qui s'effectue sur le plan moral (bien que toutes les apparences eussent conduit qui que ce soit à douter). Comment leur union pourrait-elle, sur le long terme, se montrer à la hauteur du pardon qui l'a scellée ?
C'est le même problème que pour la Callirhoé de Roy : le sublime de la figure de Corésus, qui sans espérer être aimé sauve les amants qui bravent son bon droit, rend compliquée la poursuite harmonieuse de l'histoire. Pour Callirhoé, un modèle restera à jamais figé, toujours en vis-à-vis de celui qui n'est pas mort pour elle, bien que l'ayant désiré, et qui devra en toute circonstance être comparé à cette sainte image qui ne se dégrade pas.

C'est là bien sûr de la spéculation psychologique sur des caractères de fiction prévus pour se développer sur trois ou cinq actes clos. Néanmoins, si cette perspective serait absolument hors style pour Callirhoé, la dernière comédie de Hofmannsthal se prête très bien au jeu. Pour deux raisons.


Siegmund Nimsgern, divinité locale, en Mandryka. Bien qu'il dispose de toute la rusticité nécessaire, point trop n'en faut, ce n'est pas là son meilleur rôle - Barak lui correspond plus.
Il s'agit d'une représentation au Teatro Colón de Buenos Aires et non de la soirée enregistrée avec l'orchestre de la RAI en 1973 et publiée en CD pour pas cher. [Cette intégrale, comme toutes les autres, a été présentée sur CSS.]


Tout d'abord parce qu'elle établit une étude de caractères sociaux, non exempts de faiblesses et suffisamment contemporains (Arabella se déroule dans les années 1860) pour être observés de façon prolongée ; on verrait ainsi leur évolution ainsi que la première pièce le faisait, sans chercher particulièrement à clôturer toutes les questions - une des forces de Hofmannsthal, qui sait laisser des réponses sans caractère définitif sur bien des points. On pourrait ainsi constater les progrès de Dominik auprès de Frau Waldner (dans les versions non coupées...), voire découvrir son passé et quelque enfant caché qui viendrait brouiller un peu plus les relations internes de la famille ; étudier la façon dont le revirement de Matteo, pistolet sur la tempe, possible à développer dans un récit de façon acceptable (ce que fit précisément Hofmannthal), peut être accepté par une psychologie aussi monomaniaque ; enfin, on l'a dit, s'interroger sur la possibilité de maintenir l'harmonie dans les relations qui seront forcément dissymétriques entre les époux principaux.

Ensuite et surtout...

Lire la suite.

Notes

[1] Voir le badinage un peu hardi avec Milli à la fin de l'acte II.


Ensuite et surtout parce que la structure bancale du conte appelle une relance. Arabella voit apparaître un prince merveilleux (ont verra à quel moment de la conception de l'ouvrage), qui sous une apparence pas toujours attractive, dissimule montre des richesses incommensurables aptes à aplanir toutes les détresses familiales et cache un coeur généreux et exalté. Ses maladresses tiennent bien sûr plus de la chronique que du fonds populaire de quelque tradition nationale, mais en contrepartie Strauss l'a doté (au grand effroi initial du poète) de thèmes traditionnels des Balkans. Cette union doit passer par une épreuve qualifiante, comme il se doit. Manquée par le Prince.

Deux choses l'une : soit Mandryka est un Prince raté, soit Arabella qui réussit l'épreuve tient le rôle du Prince. Et cette réussite tient justement dans l'abandon de l'idéal de perfection qu'elle s'était construit - dans l'abandon de l'idéal du conte de fées...

A la fin de l'ouvrage, et malgré sa magie très largement servie par la musique (le texte seul est nettement moins émerveillé, et laisse un goût doux-amer très spécifique, de pair avec la résolution finale qui reste fascinante et très agréable), le conte n'est pas tout à fait rééquilibré. On n'a pas vraiment répondu à toutes les questions posées par l'intrigue initialement : les dettes, bien sûr, la connaissance de soi, certes, mais le bonheur... ce n'est vraiment pas garanti par la maison Strauss & Hofmannsthal.

Il reste donc la place à d'autres événéments dramatiques pour tenter combler les déséquilibres. Sans y réussir totalement évidemment, vu la nature du premier volet. Mais le jeu de poids et balances peut très bien fonctionner ici.

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Cette introduction, malgré sa façon de bavardage général, n'est pas tout à fait innocente : les éléments du conte, à part peut-être la quête de la Clef magique, apparaissent tard dans la conception du nouveau drame musical de Strauss & Hofmannsthal. Et pourtant, ils structurent tellement l'oeuvre...
On verra comment tout cela apparaît.

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P.S. :

Il existe déjà un certain nombre de notules autour d'Arabella :

  1. Généalogie du prénom ;
  2. modulations et leitmotive ;
  3. vidéographie ;
  4. discographie ;
  5. introduction générale à l'oeuvre,

que vous pouvez retrouver dans la catégorie Richard Strauss de Carnets sur sol.


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Commentaires

1. Le mercredi 16 septembre 2009 à , par Era

Comme d'habitude très intéressant, je tiens à te le répéter !

Arabella dit qu'elle le pardonne, mais il y a un affront irréparable bien réel qui entache à jamais leur union.

2. Le mercredi 16 septembre 2009 à , par DavidLeMarrec

Merci encore Era, ne t'en prive surtout pas. :-)

A mon avis, ça va au delà de l'affront : elle pardonne, et on peut imaginer qu'elle sublime tout ça, et qu'avec le recul les choses reprennent leur aspect de vaudeville. En revanche, la suprématie morale qu'elle a montré crée une tension entre les deux personnages, et après cela, elle aura tout lieu de se montrer insatisfaite des égards de son mari...

Et puis comme tu le dis, ce qui est fait est fait. C'est aussi ce qui participe du conte raté : la fin est heureuse, mais un peu gâchée...

Et c'est précisément ce que j'aime beaucoup dans cet opéra et chez Hofmannsthal en général, ces sentiments qui ne sont jamais purs de mélanges, avec une belle finesse psychologique, même si bien sûr ces personnages ne sont pas vrais et restent des figures dramatiques - ce qui les rend intéressants à regarder évoluer bien entendu.

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