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Le disque du jour - XXIV - Béla Bartók, intégrale des quatuors à cordes (Keller)

Les quatuors de Béla Bartók peuvent rebuter par leur aspect extrêmement vindicatif et sombre - et, d'une certaine façon, très complexe et abstrait. La discographie regorge de témoignages rugueux très engagés.

Pour les esthètes aux oreilles sensibles, néanmoins, il existe des solutions alternatives.

Les plus lyriques pourront par exemple choisir le Quatuor Alban Berg. Malgré un son un petit peu léché et grisaille, il est ici donné une lecture très internationale de cet ensemble, qui n'esquive pas la violence, mais dans un cadre beaucoup plus formel et traditionnellement germanique - à mettre entre toutes les oreilles.

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Mais, chez les farfadets guyennais, ce seront les Keller qui pourront nous émouvoir le plus vivement. Avec un son très fin, légèrement pincé (sans être typé à la tchèque, bien entendu), mais s'arrêtant toujours au seuil de la stridence, ce quatuor spécialiste du vingtième Mitteleuropa livre une lecture rêveuse de ces monuments.

La véhémence en est assez fortement bannie, au profit d'une introspection qui, d'un certain point de vue, tient plus de Chostakovitch - hésitant entre lyrisme postromantique très sobre et pause méditative bien plus contemporaine.

Chaque phrasé y porte son but, et la délicatesse partout présente n'évacue pas non plus l'inquiétude et surtout l'intensité propres à cette musique.

Aux antipodes des brutalités habituelles, une autre modernité plus apaisée - et sans doute mieux comprise, plus profonde.

Il faut dire que, mieux que tout autre, le Quatuor Keller, fondé il y a vingt-et-un ans par quatre hongrois au Conservatoire Liszt de Budapest (András Keller, János Pilz, Zoltán Gál et Judit Szabó), est à même de percevoir et de reproduire la place fondamentale (et exacte) du folklore dans les mouvements les plus typés de ces six quatuors. Et de l'assimiler à leur connaissance intime du répertoire du vingtième siècle. Ils sont aussi les auteurs de la meilleure (et de la plus complète) intégrale Kurtág, où les mêmes qualités de clarté, rigueur, souplesse, lyrisme et poésie font merveille.

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Il faut ajouter que la lisibilité des lignes y est idéale (des voix saisissantes y naissent...) et que le tout se trouve publié chez Apex - donc disponible à prix ridicule (6€ les deux CDs sur Amazon Marketplace).

Pour convaincre les plus sceptiques ou parachever leur dégoût, vous pouvez entendre cette intégrale légalement sur CSS.

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Par ailleurs, rappelons que le meilleur de la musique de Bartók, tous genres confondus,

se trouve peut-être poétiquement (à défaut de l'accomplissement technique qu'on cherchera plutôt chez Barbe-Bleue) dans ses quarante-quatre duos avec violon - plus tard prolongés par ceux de Berio dans une veine assez exactement similaire.

Si la compagnie des Keller vous a plu, il convient peut-être de préciser qu'ECM a publié la vision des deux violons du quatuor, András Keller et János Pilz, dans ces miniatures extrêmement touchantes, où l'on peut déjà observer les prémices des formes kurtágiennes - le lyrisme en plus, le webernisme en moins.


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Commentaires

1. Le vendredi 14 novembre 2008 à , par Papageno :: site

Les lutins ont encore bien travaillé ! Je découvre la version des Keller en lisant votre billet (à ré-écouter plus attentivement...). Sur les qualités de la version des Alban Berg, j'en ajouterai une: la clarté. Beaucoup d'éléments structurels (symétries, retour d'un thème, etc) sont clairement perceptibles à l'oreille, ils ne le sont pas autant dans les autres interprétations, et cela dénote un vrai travail d'analyse de la partition.

2. Le vendredi 14 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Merci Patrick, je leur transmettrai. :)

C'est vrai pour les Berg, mais je les trouve bien moins limpides, précisément, que les Keller - d'où ce silence coupable.

3. Le vendredi 14 novembre 2008 à , par sk†ns

Initials B.B. est affublé d'un curieux « Herzog » en allemand : une facétie des Grimm Bros à notre ami du Roy Perrault ?

4. Le vendredi 14 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

... et c'est Ritter chez Rezniček.

Le titre français fait le choix de supprimer le titre ducal, tandis que le titre allemand fait le choix de l'omission du lieu.

Mais le titre hongrois, lui, comporte bien la précision du rang : A Kékszakállú herceg vára.

Herceg, c'est-à-dire duc, ou bien prince (ce qui est peut-être plus joli, et change son caractère provincial en archétype 'contal').

5. Le vendredi 14 novembre 2008 à , par sk†ns

J'aurais donc un insolite « Herzog Blaubarts Burg » (Varady/son époux/Sawallisch/DG).

Pour ce qui est de Ritter, j'aime particulièrement celui-ci :
http://www.ritter-sport.com/#/en_GB/home/gateway/

6. Le vendredi 14 novembre 2008 à , par sk†ns

J'allais oublier : merci pour ces instructives & polyglottiques précisions.

7. Le vendredi 14 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Pour ce qui est de Ritter, j'aime particulièrement celui-ci :
http://www.ritter-sport.com/#/en_GB/home/gateway/

Et ça se croit marron...


Insolite, je ne sais pas, il a eu une longue tradition d'interprétation en allemand de cette oeuvre (dommage qu'on ne puisse entendre Júlia Várady dans sa langue maternelle). On trouve déjà DFD avec Hertha Töpper chez Fricsay en 1958, et toujours en allemand.

En revanche, je pensais que le titre était Herzog Blaubart tout court (en tout cas pour la version Fricsay). Dont acte.


(Au contraire, merci à toi de tes rebonds. :-)

8. Le dimanche 16 novembre 2008 à , par Inactuel :: site

Jeudi dernier, j'ai entendu une très belle interprétation du quatrième quatuor par les Jerusalem: très joli son ! Pour le CD, j'écoute la version des Végh, enregistrée à la Chaux-de-Fonds en 1972, très homogène d'un bout à l'autre.

9. Le dimanche 16 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Ah, pour ça, les Jerusalem, c'est plus qu'un joli son, ils sont capables aussi bien de la rondeur la plus voluptueuse que des incisivités héritées de la manière baroqueuse.

Et puis une profondeur de vue... Ils jouent Kurtág d'une façon assez inouïe.

10. Le mercredi 19 novembre 2008 à , par sk†ns

Je viens de "percuter" sur la jaquette des quatuors : l'iconographique de chez Apex s'est bien amusé.

11. Le jeudi 20 novembre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

C'est que Béla est une valeur sûre, un mortier solide.

12. Le dimanche 11 janvier 2009 à , par Olivier

Bonjour David,

je me demandais : quel disque conseilles-tu pour les duos de Berio ?

13. Le dimanche 11 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

Je ne connais pas par le disque. :)

Mais à choisir, je prendrais celui avec Maryvonne Le Dizès et Christophe Poiget, parce que c'est intelligemment couplé avec Widmung de Maderna et Huit Duos de Kurtág. Plutôt que d'empiler du Berio plus ou moins essentiel (on le trouve très souvent avec la Sequenza pour violon...).

14. Le dimanche 11 janvier 2009 à , par Elemer qu'on voit danser


Hepepep !
Le Barbe-Bleue de Sawallisch/Vadary/Dieskau (DG) est chanté en hongrois !

15. Le dimanche 11 janvier 2009 à , par DavidLeMarrec

Et Mlle Vadary chante bien ?

Soit dit en passant, je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça, je n'ai même pas de goût immodéré pour Júlia Várady et Sass/Kovács/Solti fait absolument mon affaire pour le hongrois. 0:-E

Donc il existe un Várady et en hongrois. Merci, il ne me reste plus qu'à l'écouter...

16. Le mercredi 27 mars 2013 à , par Cololi :: site

Moi je préfère les Juilliards ! (la version très répandue).
Il arrive à tout concilier je trouve.

17. Le mercredi 27 mars 2013 à , par David Le Marrec

C'est une lecture comme toujours plus brute, moins raffinée - et vraiment, vraiment moins dansante. Une autre lecture. Mais ma recommandation est meilleure. Dixi.

18. Le vendredi 16 décembre 2016 à , par Luckas

Bonjour David,

Connaissez-vous la 1ère version du Quatuor Vegh, enregistrée dans les années 1950 ? Et si oui qu'en pensez-vous ?

(une nouvelle édition est annoncée pour janvier 2017 chez Praga Digitals et devrait, en principe, être techniquement plus soignée que les précédentes).

D'avance merci pour vos conseils !

19. Le lundi 19 décembre 2016 à , par DavidLeMarrec

Bonjour Luckas,

Non, je ne l'ai pas essayée ! Mais a priori, des gens si proches du bain culturel adéquat, et à leur date où les accords sont les plus denses et le son le plus franc, leurs arêtes dures et leur géométrie assez carrée, ça fait assez envie, quelque chose qu'on peut supposer à la fois classicisant et vraiment rugueux. Mais ce ne sont que des conjectures.

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