Bedřich SMETANA - Prodaná Nevĕsta (La Fiancée Vendue) - Jiří Bĕlohlávek / Gilbert Deflo (Paris, 11 octobre 2008)
Par DavidLeMarrec, vendredi 17 octobre 2008 à :: Disques et représentations :: #1057 :: rss
Un mot sur cette production « vue » à Garnier depuis une place d'où l'on ne percevait, debout, à peu près que les surtitres. La perte n'était pas immense, loin s'en faut, vu le degré de METisation inoffensive de la mise en scène de Gilbert Deflo - à moins qu'il n'ait été frappé de génie sur le côté cour qui m'était masqué. (Dans un village entièrement transposé dans le cirque de carton-pâte de l'acte III, le jeu de scène s'est longtemps limité à s'asseoir, se lever ou se dresser sur le même plot au centre.)
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La musique, malgré le superbe enthousiasme de ses récitatifs, se révèle à la scène un peu indigeste, modulant très peu, réutilisant sans cesse les mêmes motifs (sans que cela fasse vraiment sens, juste une unité - voire une uniformité - du propos). On songe à Donizetti (d'autant plus que la trame n'est pas sans parentés avec les quiproquos affectifs et les changements d'objet amoureux de l'Elixir d'Amour), et pas forcément pour le meilleur.
Peut-être à cause de l'absence de support visuel et de confort, et malgré une compagnie délicieuse toute la soirée, cette belle musique toujours semblable, comme en boucle, lasse un peu sur la durée de la soirée. [Mais nous étions un peu épuisés par une semaine chargée, le voyage du matin, la journée à courir en tout sens, peut-être faut-il chercher un peu d'explication de ce côté. Bien assis au parterre, sans doute que...]
Disons qu'à ce niveau de confort, le sacrifice ne se trouvait pas totalement compensé par le caractère captivant du spectacle.
Ces constantes musicales étaient accentuées par l'Orchestre de l'Opéra de Paris, qui bien que d'un haut niveau, jouait sans cesse, sous la direction de Jiří Bĕlohlávek, au même degré de forte - ce qui accentue bien entendu le sentiment de lassitude. [Ce chef, très à la mode ces temps-ci, ne nous a jamais démesurément convaincu. Pour ce répertoire tchèque, on gagnerait beaucoup à engager - même s'il est russe et moitié moins âgé - Kirill Petrenko, qui s'est déjà distingué au Klangbogen de Vienne pour un superbe Dálibor en 2004 - de surcroît splendidement distribué.]
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Mais les spectateurs n'étaient pas à plaindre non plus : à la belle musique s'ajoutait une distribution remarquable.
Deux voix graves dont les timbres se confondaient étrangement. Franz Hawlata dans un bon jour, avec une certaine tenue ; Oleg Bryjak étonnamment un peu moins à son aise, alors que nous l'attendions très impatiemment. Alberich fascinant et très attachant dans le Ring de Neuhold [1], baryton-basse capable de soutenir aussi bien un Iago arrogant (un vrai rôle de baryton, assez aigu) qu'un Schicchi (rôle de caractère qui réclame de contrefaire sa voix), un Telramund [2] (baryton héroïque, pas forcément très aigu, mais ample) ou un Sachs (baryton-basse tirant sur la basse, qu'il interprète avec un profil plus barytonnant que la moyenne il est vrai). [Très loin, donc, de la tradition des bûcherons kazakhs...] Ici, il rayonnait moins - fatigue passagère ou rôle un peu grave. Mais il est vrai que nous n'étions pas placé au mieux.
Trois ténors admirables.
Aleš Briscein (Jeník, le jeune premier), pur produit de la formation pragoise, dans le format exact du ténor lyrique tchèque traditionnel. Voix très légère, mais très bien placée, extrêmement claire et gracieuse, qui nous assure de très beaux moments dans son air rêveur. On se situe totalement dans l'héritage de la technique Blachut, versant léger. Un délice.
Christoph Homberger (Vašek, le grotesque riche prétendant bègue), doté d'une technique assez similaire, parvient à imposer dans un rôle de caractère potentiellement bouffon une très belle ligne de chant, rivalisant de séduction mélodique avec son rival - bien qu'il n'existe à aucun moment de duo entre les deux personnages.
Enfin Heinz Zednik en Maître de manège, minuscule rôle peut-être, mais qui révèle un timbre intact, une belle projection - et toujours ce sens du mot. Impressionnant, et pas seulement en regard de l'âge de ses cordes.
Evidemment, Christiane Oelze dans le rôle-titre (Mařenka) distille la musicalité dont elle est coutumière, avec de très belles lignes. Moins expressive que dans ses Webern, mais avec des tours vocaux qui savent toujours capter l'attention. La voix, légère, n'a bien sûr pas un impact plus formidable en salle qu'au disque ; pourtant on l'admire, assurément (surtout lorsqu'on retrouve des inflexions entendues dans ses Webern...). Son air est en particulier plus émouvant que le reste de sa partie et de son interprétation.
Les choeurs d'Oulan-Bator de Paris se sont tirés avec les honneurs (beau timbre d'ensemble, diction correcte) de la partition.
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Le metteur en scène a été assez chaleureusement applaudi ce soir de première - tandis que l'Armide de Carsen a été sifflée, allez donc vous fatiguer à réfléchir, quand l'esthétique Met est la seule qui mette à l'abri des fâcheux.
Mise en scène : Gilbert Deflo
Décors et costumes : William Orlandi
Lumières : Roberto Venturi
Chorégraphie : Micha van Hoecke
Assistant chorégraphe : Guy de Bock
Chef des Choeurs : Winfried Maczewski
Krušina : Oleg Bryjak
Ludmila : Pippa Longworth
Mařenka : Christiane Oelze
Mícha : Stefan Kocán
Háta : Helene Schneiderman
Vašek : Christoph Homberger
Jeník : Aleš Briscein
Kecal : Franz Hawlata
Le Maître de manège : Heinz Zednik
Esmeralda : Amanda Squitieri
L’Indien : Ugo Rabec
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Direction : Jiří Bĕlohlávek
(A noter, les fiches de distribution distribuées, contrairement au site de l'Opéra, contiennent les signes diacritiques tchèques sur les lettres. Merci.)
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Nous visitions pour la première fois le Palais Garnier, que nous ne connaissions qu'à travers de superbes ouvrages illustrés. La surprise vu grande devant la foire chamarrée extrêmement tocarde de la salle, infiniment plus séduisante en photo. Du parterre, l'ensemble est fort banal (comparable à n'importe quel mauvais théâtre d'Europe Centrale). Des loges, l'artificialité du style carton-plus-que-chargé a de quoi écoeurer jusqu'aux amoureux des styles Meyerbeer et Napoléon III... Le pompon revenant à l'épouvantable Grand Foyer, paré de faux ors comme l'enfer déborde de vrais diables. Plus terrifiant qu'une huile sur bois de Bosch.
Les fonds de loge extrêmement spacieux, les coins isolés comme la rotonde des abonnés laissent rêveur sur la destination bien connue de l'ensemble - la débauche, ou plutôt la tolérance. Les ballets imposés dans le Grand Opéra depuis Rossini et Meyerbeer tiennent beaucoup, précisément, au désir des mécènes de pouvoir disposer d'une occasion pour rencontrer leurs danseuses protégées. Garnier leur a donc par la suite fourni un espace très adapté à leurs besoins.
Seuls les volumes destinés à la balade des filles à marier se sauvent donc, avec l'escalier bigarré que l'on sait, inspiré de Victor Louis et vraiment captivant, tant les textures et les perspectives diffèrent en chaque point. Plus attachant qu'élégant, sans nul doute, mais réussi.
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Un remerciement ému à François, notre guide et chaperon de la soirée - sans qui le plaisir de guetter, debout, les déplacements épisodiques de la mise en scène de Deflo n'aurait pas été le même.
Commentaires
1. Le mardi 21 octobre 2008 à , par Morloch
2. Le mardi 21 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
3. Le mercredi 22 octobre 2008 à , par Morloch
4. Le jeudi 23 octobre 2008 à , par Bajazet le Bref :: site
5. Le jeudi 23 octobre 2008 à , par DavidLeMarrec :: site
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7. Le vendredi 24 octobre 2008 à , par Morloch
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9. Le samedi 25 octobre 2008 à , par Bajazet le Bref :: site
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