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Opéra de Bordeaux, saison 2008-2009 - A, les opéras - 6, Monteverdi (Le Couronnement de Poppée) - Alessandrini / Carsen

Le dernier opéra de la saison. Distribution, introduction, commentaire et point sur la saison d'opéra.

La suite arrive bientôt. (Et on n'oublie pas le quatuor non plus...)
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Claudio MONTEVERDI
L'Incoronazione di Poppea (Le Couronnement de Poppée)
8, 10 ,12, 14, 16 et 17 juin 2009
Mise en scène : Robert Carsen
Direction musicale : Rinaldo Alessandrini
-
Poppea : Karine Deshayes
Octavia : Lola Casariego
Ottone : Max Emmanuel Cencic
Nerone : Jeremy Ovenden
Seneca : Jérôme Varnier
-
Nutrice : Martin Oro
Arnalta : Jean-Paul Fouchécourt
Drusilla : Jaël Azzaretti
Valletto : Daphné Touchais
-
La Fortuna : Ingrid Perruche
La Virtù : Julie Pastouraud
L'Amore : Khatouna Gadelia
-
Une demoiselle : Alexandra Resztik
Licteur / Tribun :  Jean-Manuel Candenot
Mercure / Tribun / Un familier : Trevor Scheuneman
Lucain / un soldat / consul : Luca Dordolo
Libertus / un soldat : Fredrik Akselberg
-
Concerto Italiano et musiciens de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine (ONBA)

Commentaire :

Dernier opéra au service d'une saison concentrée mais variée (et surtout d'une grande qualité), Le Couronnement de Poppée dirigé par Alessandrini. Une oeuvre à la fois un peu longue et uniforme stylistiquement, dans une esthétique comparable au Retour d'Ulysse, mais très animée sur le plan théâtral. Vraiment payant à voir sur scène.

Robert Carsen représente l'un des metteurs en scène d'opéra les plus en vue de ces dernières années. On peut résumer son style assez aisément :
- transpositions systématiques en costume-cravate ;
- toujours de très belles idées esthétiques, de belles images de théâtre dans le théâtre ;
- mais entre ces idées, des baisses de tension dans le propos et dans la direction d'acteurs.
Très travaillé et esthétique, mais pas nécessairement profond, en somme. Poppée peut tout de même fort bien se prêter à ce genre de travail (contrairement sans doute à l'Armide de Lully qu'il nous prépare). Les lecteurs de CSS ont probablement vu, au moins dans leur téléviseur, certaines productions récentes : Rusalka de
Dvořák à Bastille, Les Boréades de Rameau à Garnier, Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach à Bastille, Der Rosenkavalier de Richard Strauss à Salzbourg, Capriccio du même à Garnier, Tannhäuser de Wagner à Bastille... Il faut dire qu'il se trouve très en cour auprès des directeurs d'Opéra. Et à juste titre, d'une certaine façon, puisqu'il dispense à chacune de ses mises en scène des idées jamais vues auparavant.

Côté exécution musicale, l'affectation constante du récent Orfeo de Rinaldo Alessandrini a irrité les lutins, mais on ne peut pas le considérer comme un interprète de troisième zone. Manifestement, le Concerto Italiano ne sera mobilisé que pour les choeurs (on imagine mal le mélange instrumental anciens / modernes, autrement). Jouer Monteverdi est désormais devenu totalement l'apanage de formations spécialistes (alors qu'il subsiste des exceptions pour Haendel, en particulier à... Bordeaux), et on s'interroge sur l'état final. Alessandrini, cela dit, a l'habitude de diriger des orchestres modernes - mais il faut rappeler pour mémoire que Louis Langrée avait renoncé à la direction de l'ONBA parce que la moitié des musiciens seulement était intéressée par des stages de formation en instruments anciens. Alors, inconnu absolu, d'autant que cette musique supporte mal la mollesse et la grisaille.
Concernant le pronostic de CSS, le moyen terme obtenu entre la grande sècheresse, la tendance à la surinterprétation d'Alessandrini et sa nécessaire adaptation à un orchestre généraliste (ce qu'il sait faire admirablement) peut produire un résultat intéressant.

Distribution très avisée et luxueuse.

Seul point d'inquiétude, mais sur un seul rôle, pas déterminant et très payant, Lola Casariego, qui nous avait vraiment indisposé en Charlotte de Werther la saison passée (à tel point qu'on avait renoncé à parler de toute une partie de la représentation, pour ne pas verser dans le catalogue aigre). La voix rassemblait tous les défauts caractéristiques des "voix de conservatoire" (opacité totale de la pâte, écrasement de l'ensemble des registres, diction impossible, neutralité de l'expression...), à un point qui finissait par faire écran sur le rôle.
Il est très rare que les artistes, une fois débuté une carrière, réforment significativement leur rapport à l'interprétation, mais des progrès vocaux et surtout de vastes différences d'une langue à l'autre sont tout à fait possibles. Quoi qu'il en soit, vu la difficulté moindre du rôle, la plus grande habitude de l'italien, et la nécessité d'allègement, on peut s'attendre à beaucoup mieux.

Pour le reste, bombance.

Karine Deshayes n'est pas toujours très sonore dans le médium, mais il y a du goût, un tissu agréable, et des talents d'actrice très utiles pour Poppée. Jeremy Ovenden est un ténor à forte extension aiguë, habitué au rôle de Néron. Quant à Max-Emmanuel Cencic, il faut le présenter comme l'un des tout meilleurs falsettistes en activité, avec une voix étonnamment incisive pour un contre-ténor (mais sans agressivité), et également un beau tissu timbral. Des qualités expressives qui outrepassent nettement les habitudes de sa catégorie, aussi. On peut attendre, chose très rare, un Ottone qui ne soit pas braillé, mais au contraire fortement touchant. La liste des rôles principaux s'achève avec Jérôme Varnier, une voix grave d'un grand naturel, d'une vaste présence sonore, d'une volupté sans égale dans le bas de la tessiture. Une diction absolument parfaite en français, un peu déformée en italien mais claire cependant, une musicalité sans faille, des phrasés toujours extrêmement pensés, soignés, touchants. Malheureusement trop peu sollicité pour des récitals ou des rôles vastes, on pourra l'entendre dans un rôle plus à sa mesure avec ce Sénèque, qui promet des bouffées de chaleur aux mélomanes de catégorie 2*. Et de très beaux moments de théâtre.

Du côté des rôles plus brefs, pêle-mêle la haute-contre Jean-Paul Fouchécourt, grand liedersänger et mélodiste devant l'Eternel, en Arnalta, un très joli rôle bouffon travesti ; Jaël Azzaretti, un lyrique très léger rompu au baroque ; Daphné Touchais, l'imagination et la grâce même, toujours pétillante en scène (avec un brin de jeunesse et de métal qui ne s'entendent pas au disque) - elle a déjà écrasé toute la concurrence en Musique-factotum pour Orfeo à Lyon (avec Philip Pickett) et on l'attend ici avec une impatience non dissimulée ; Ingrid Perruche dans le rôle allégorique de la Fortune (une superbe voix parlée au passage), une voix qu'on peut trouver un peu ronde pour le répertoire s'il faut vraiment chercher une réserve, mais rompue au baroque et très efficacement expressive dans ses bons jours ; Jean-Manuel Candenot, diseur très expressif, doté d'un médium et d'un graves hors du commun pour sa tessiture (on l'avait déjà admiré dans Genitrix de Lászlo Tihányi l'an passé) ; enfin Luca Dordolo, qui comme d'autres seconds rôle, fait une belle carrière (il a notamment gravé un bel Orfeo de l'Euridice de Peri, premier opéra dont nous disposions d'une partition complète), et notamment un Don Ottavio absolument majeur dans la veine 'vocale' et 'idéaliste', voix très ronde, conduite des phrases souveraine et musicale, extrêmement attachant.

Du grand luxe en tout cas - reste à observer la traduction de ces richesses dans l'urgence théâtrale et la cohérence musicale.


=> A l'image, en tout cas, d'une très belle saison, variée et extrêmement bien distribuée. Pas la moindre réserve globale à formuler... L'Opéra de Bordeaux tourne définitivement la page, après deux saisons d'ascension, d'années difficiles (et dire que le budget va toujours très mal...).


Notes
* Mélomanes de catégorie 2 : attachés avant tout à la beauté de la performance instrumentale ou vocale, au timbre, à la volupté sonore. (Selon une nomenclature propre aux lutins en passe de s'imposer, confesserons-nous en toute modestie, dans le langage courant.)


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Commentaires

1. Le jeudi 5 juin 2008 à , par Lavinie :: site

Nous on a eu Giulio Cesare à Lausanne avec Andreas Scholl, nananère!

2. Le jeudi 5 juin 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

[mode snob]Pouah, un contre-ténor dans un rôle de castrat.[/mode]

-<]:o))

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