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Georges AURIC - La Rose et le Réséda

Extrait des Quatre Chants de la France malheureuse, un petit bijou. (Texte et extrait musical ci-après.)

Cette quatrième mélodie réussit un très beau tour de force textuel.

Alors que le langage d'Auric est en lui-même d'un postdebussysme très sage et assez convenu, on assiste ici à la transfiguration du poème d'Aragon. Le texte, bien connu, présente, comme d'autres Aragon, tout à la fois un certain prosaïsme revendiqué et une facilité d'expression qui confine parfois au négligé d'un premier jet. Sa fortune peut être également attribuée, comme à d'autres, à la dimension idéologique et aisément appropriable de son "message", très proche d'une certaine philosophie populaire du quotidien.

A priori une matière peu féconde pour le mélodiste. Pourtant Georges Auric, en s'appropriant ce texte, magnifie ce qui y est à l'origine insignifiant. Chaque épisode descriptif (un quatrain) est scandé par le même distique en forme de refrain, qui contient à lui seul une bonne part du programme du poème :

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Le parallélisme parfait : les deux vers et les deux destins entrent en coïncidence de façon très claire, et le texte tout entier martèle cette égalité de condition.

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L'évidence commandait un refrain très bref, et également très envahissant, représentant plus d'un tiers du total !

Georges Auric résout ce défi tout autrement. En effet, le texte fait retour, exaltant une forme d'idéal et d'héroïsme à laquelle il est manifeste que le compositeur adhère ; mais la musique, elle, offre un monde de libertés pour varier les couleurs de cette réitération.

Sur le même canevas rythmique et mélodique s'inscrivent des variations subtiles à chaque retour du refrain, mais surtout, l'harmonie change, tantôt consonante (pour l'issue exaltée), tantôt menaçante, tantôt désarticulée. La même ligne se trouve donc chargée de sens très différents selon le moment et l'harmonisation choisie.

De surcroît, cette belle marche idéaliste, avec ces coups d'accords modérément consonants et assez brefs dans le grave, prend des allures quelque peu boîteuses. Une histoire à la fois admirable et dérisoire.

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Georges Auric parvient donc à charger ce poème à l'allure négligée d'une diversité de significations et même d'une complexité qui n'étaient pas nécessairement présentes à l'origine.

Une belle leçon de littérature par la mise en musique - du côté de l'invention plus que de l'exégèse.

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Ne serait-ce que pour cette pièce (on n'en aurait pas beaucoup d'autres majeures à proposer, malheureusement...), le compositeur mérite un sérieux coup de chapeau.


Très belle lecture, limpide et présente, de Michel Carey, accompagné par Marcelle Dedieu-Vidal dans un disque également consacré à Honegger et Poulenc.
La Rose et le Réséda (Louis Aragon)
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Nos sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule, il coule, il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda

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