Carnet d'écoutes : Jansons / Boccherini - l'insolence pianissimo
Par DavidLeMarrec, mercredi 26 décembre 2007 à :: Carnet d'écoutes :: #807 :: rss
Singulier vertige à l'écoute de ce concert des Proms de Mariss Jansons - à la tête de son Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Un programme traditionnel à l'extrême : Ouverture / Concerto / Symphonie, avec des choix extrêmement prévisibles : Gazza Ladra (« Pie voleuse ») de Rossini, Deuxième concerto pour piano de Rachmaninov, Cinquième Symphonie de Chostakovitch. Dans une conception parfaitement réussie, sans la moindre baisse de tension - ce qui se révèle toujours délicat dans les méandres de la symphonie chostique. Tout concourt à ce but, comme une nécessité générale. Admirablement mené, avec une absence de gêne dans la générosité en décibels.
Public à bon droit enthousiaste. Viennent les bis (il en donne trois). Et surtout celui-ci.
L'insolence. Après la noirceur désespérée du compositeur qui doit renoncer à l'avant-garde et au « formalisme », après cette fanfare tout à la fois dépenaillée, grotesque et glaçante. Le célébrissime Menuet de Boccherini s'élève, et de quelle façon. Murmuré dans un pianissimo constant des cordes, qui semblent scintiller, discrètes étincelles. Dans ce répertoire classique, a priori le lieu par excellence de l'équilibre, on est frappé du choix de l'irrégularité des notes égales, admirablement dansante, qu'impose le chef ; la musique sussurée semble alors comme suspendue au milieu d'un vide imaginaire, gesticulant gracieusement sans pouvoir toucher le sol. Ce songe d'une délicatesse infinie se dissipe avec la plus grande délicatesse, dans un ralenti qui fait se suspendre la mécanique à la dernière reprise. Exceptionnel moment, si bref et hors du temps.
En une poignée de secondes, Mariss Jansons a prouvé sa capacité à repenser les répertoires - en privilégiant une conception baroque qui favorise la danse au sein d'une pièce très classique - tout en étalant avec autant d'ostentation que de goût la maîtrise technique invraisemblable de son orchestre.
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Après cette « boîte à musique » proprement magique, retour à un Elgar et un Wagner plus attendus. Un Prélude du III de Lohengrin notamment, toutes voiles dehors - avec cependant un solo de clarinette d'une éloquence immédiatement bouleversante.
Mais il était trop tard. Celui que nous considérions avant tout comme un technicien assez hédoniste, pas toujours concerné par des enjeux dramatiques de la musique, et rarement profond, nous avait cueilli. Certes par des moyens très largement techniques, mais avec quel coup d'oeil, quelle poésie éphémère !
Sans doute pas un philosophe ; mais déjà un esthète véritable, ce n'est pas si indigne.
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N'ayant pas enregistré le programme de la NRK (radio norvégienne en bokmål) qui le diffusait, nous ne sommes pas en mesure actuellement de vous en donner un aperçu. Mais le coup de chapeau sera tiré.
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[Tant que les habitudes ne sont pas prises, signalons également qu'il y eut du nouveau sur DSS hier.]
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