Mravinsky dirige
Par DavidLeMarrec, mardi 18 décembre 2007 à :: Portraits :: #801 :: rss
Etrange impression en visionnant des témoignages de Mravinsky dans ses répertoires d'élection.
Une attitude proprement démiurgique. Par moment cessant totalement de battre la mesure (mais sans l'ostentation humoristique de Rozhdestvensky, bien évidemment), n'esquissant pas un geste devant un déchaînement sonore programmé par lui en amont du concert ; juste une indication de départ, simple, seule, précise, qui produit comme par magie un effet disproportionné à l'autre bout de l'orchestre.
A l'opposé, en fin de compte, des chefs qui (« improvisateurs » ou non, d'ailleurs) communiquent leur énergie au cours du concert - les gestes précis et nerveux, débordant de force intérieure, de Paavo Järvi, par exemple, qui semblent exhorter plus encore que diriger.
(Plus jeune, Mravinsky se contentait essentiellement, gestuellement parlant, de battre la mesure, mais produisait tout de même, de ce fait, des gestes - et avec baguette. )
Les extraits de répétitions dont nous disposons sont à ce titre éloquents : tout est préparé dans un soin infini du détail. Grommelant quelques aphorismes ici et là, il désapprouve le plus souvent d'un râclement de gorge, et, chose assez exceptionnelle dans les orchestres professionnels [1], n'hésite pas à faire reprendre une phrase, sans commentaire, jusqu'à ce qu'elle parvienne à son idée.
De ce fait, et considérant la durée de collaboration quasiment exclusive avec l'Orchestre de Léningrad, le résultat que nous connaissons bien s'explique aisément : chaque phrasé se trouve pleinement préparé et façonné, et dégage une évidence - comme s'il comprenait l'idéal inscrit dans le texte de la partition.
Cette sculpture qui, malgré les débordements connus en concert, tient plutôt de l'orfèvrerie, en réalité, explique le consensus qui s'est imposé en particulier autour de ses Tchaïkovsky, dont chaque trait semble évident, inévitable, pertinent au dernier degré. Une sorte d'incarnation de la perception intime que l'auditeur peut avoir de cette partition. Quelque chose d'étrange et d'à peu près absolument sans équivalent ailleurs.
(La question serait sans doute différente pour ses autres répertoires. Comme on ne pourrait s'étendre sur tout, de ses Zhivotov à ses Debussy, signalons-la simplement pour ses Chostakovitch, où la tension et l'atmosphère seront ses premières vertus.)
Notes
[1] C'est qu'en principe, on considère que les professionnels, contrairement aux amateurs, peuvent réagir immédiatement à une consigne et la tenir pour dite jusqu'à la fin de la collaboration.
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