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Le disque du jour - XIV - Quatuors de Kurtág (les Microludes), Hakola, Heininen (et Koskinen)

C'est l'écoute des excellents quatuors de Leon Kirchner qui m'en rappelle le souvenir.

Un vieux compagnon de route, ce disque du quatuor Avanti!, issu de la formation à géométrie variable du même nom. Cette fois-ci, rien moins que Sakari Oramo au violon I. Chez Ondine.
Non pas qu'il ait été publié il y a fort longtemps, mais j'y reviens régulièrement.



Au programme ?

Quatre quatuors présentés dans un ordre à peu près chronologique, et surtout de la pièce la plus longue à la plus brève.






D'abord le Quatuor Op.32c de Paavo Heininen (1974). Une pièce caractéristique de cette tonalité intranquille du vingtième siècle, mais ici sans une once de facilité ou de sirop.




Puis le Quatuor de Kimmo Hakola (1986), compositeur encore quadragénaire (né en 1958) dont le concerto pour clarinette a pu durablement impressionner ceux qui l'ont entendu (création en 2002-3) : une vivacité héritée du Stravinky du Sacre, ce qui n'est pas fort original, mais surtout une couleur folklorique, une musique assez pulsée, presque dansante, et en tout cas extrêmement chantante. Un chant qui n'a rien de lyrique, bien entendu. Ici, le ton est tout autre, plus sévère, mais c'est surtout la fin qui impressionne, avec ses accords acharnés, identiques, qui s'espacent jusqu'à sombrer dans l'aphasie, ou plutôt une fin pianissimo du goût le plus exquis.




J'expédie immédiatement le quatuor qui clôt le disque, quatuor du fraîchement quadragénaire Jukka Koskinen (1987) et dont le principal mérite est la durée brève - qui n'atteint pas les quatre minutes. Il s'agit d'un catalogue assez exhaustif des possibilités d'effets sonores d'un quatuor dans une esthétique du bruitage très lachenmanienne. Ce n'est pas follement convaincant à mes oreilles, alors même que j'ai une certaine tendresse pour le maître Lachenmann.




Mais c'est la pièce précédente qui est le chef-d'oeuvre de ce disque, à savoir les Microludes Op.13 de KURTÁG György, qui fêtait cette année 2006 son quatre-vingtième anniversaire. Sa musique a été placée sur le devant de la scène à la chute du Rideau de Fer par Pierre Boulez (non, ce n'est pas lui qui a levé le Rideau et qui est passé de l'autre côté[1]) et n'est jamais retournée dans l'ombre depuis.
Très influencé par Webern, mais aussi par le folklore hongrois, il propose une écriture de la miniature, de piècettes souvent regroupées, n'exédant chacune que rarement la minute. Une musique absolument pas pulsée, lâchée dans un espace sans dimension fixe. L'unité d'expression esthétique n'est plus l'harmonie, l'accord, la ligne mélodique, mais la note, qui en elle seule crée cet univers, le tire hors du néant.
Un univers d'une grande poésie. L'écoute en concert est toujours un moment privilégié, particulièrement pour sa musique de chambre où figurent ses plus grandes réussites : ses quatre quatuors (n°1 Op.1, Microludes Op.13, Officium breve Op.21, Six Moments Musicaux Op.44[2]) et son trio Hommage à R. Schumann surtout.

Ces Microludes ne sont pas des esquisses, mais bien des études de possibles, qui valent en elles-mêmes, pleinement. Cette musique demande une attention précise, tout se joue en un instant, fugitif. Moins de citations que dans Officium Breve ; une oeuvre encore plus concentrée, donc.




L'interprétation du quatuor Avanti! n'est pas spécialement la référence absolue, bien qu'elle soit excellente. Son incisif mais beau, lecture très attentive, tout y est, tout simplement.

Mais d'autres ont également fait de l'excellent travail, comme les Párkányi (ex-Orlando), avec leur son étroit et corsé, de ton plus 'folkorique', ou les Keller, qui livrent sans doute la lecture la plus diverse, la plus engagée et la plus complète, habitant cette partition plus qu'ils ne l'exécutent, mais pas dépourvue de stridences. On connaît leur intégrale de la musique pour quatuor de Kurtág - l'avantage avec ce compositeur est qu'on pourra inclure le quatrième quatuor sans ajouter un disque supplémentaire !

Je n'ai pas évoqué les Arditti, considérés comme la Haute Autorité à l'Exécution de la Musique Contemporaine Novatrice, et on leur doit en effet un défrichage de répertoire considérable et passionnant, qui n'aurait jamais été publié sans eux. Il faut aimer l'âpreté extrême, l'absence intégrale de vibrato, la "saleté" apparente du jeu - qui ne me semblent pas toujours justifiées à ce point, par exemple dans Kurtág et Rihm. Les Keller réussissent admirablement l'équilibre chez Kurtág, pas besoin de convoquer les dépanneurs de l'extrême pour cette fois-ci, à mon sens.

Je ne crois pas que les Párkányi[3] aient enregistré l'oeuvre, ce serait donc bel et bien l'interprétation du quatuor Avanti! que je recommanderais pour ce complément de programme finnois original, à moins de vouloir l'intégrale (ce qui se justifie !), auquel cas les Keller s'imposent.


Comme je n'ai pas mon disque Avanti! sous la main, je propose un extrait tiré d'un concert des Keller. Microludes 4,6,10 et 5.




Pour plus amples informations, je renvoie à la série de miniatures sur Kurtág proposée ici même en 2005.

Je signale aussi que le Quatuor de Jérusalem donnait il y a quelque temps une splendide version (assez romantisée mais fine et bouleversante) d' Officium breve dans leurs programmes. Si jamais ils placent encore de temps à autre cette pièce en concert, c'est à entendre absolument.

Notes

[1] Chacun sait qu'il s'agit en réalité de Werther.

[2] Les Six Moments musicaux, créés en 2005, n'ont toujours pas été édités.

[3] Les "á" en hongrois - le nom de ce quatuor provient du patronyme de son premier violon István - marquent une position très ouverte, et non une accentuation comme en tchèque ou en slovaque (ou en espagnol si vous préférez). Les mots hongrois sont généralement accentués fortement sur la première syllabe, tout en prononçant distinctement les syllabes suivantes.


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Commentaires

1. Le samedi 6 janvier 2007 à , par Bra :: site

Je rajoute à ma liste d'achat de nouveaux enregistrements !

2. Le samedi 6 janvier 2007 à , par DavidLeMarrec

Au fait Bra, si A. me demande à propos des finances de son promis, je ne suis pas là. :-)

3. Le samedi 12 janvier 2008 à , par Morloch

C'est donc ici que ça se passe !

Bon, donc une grande liste de choses à découvrir...

4. Le samedi 12 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

Oui, c'est ici, et aussi, plus anciennement, .

Mais au risque d'insister, c'est la musique de chambre (quatuors et trio) qui me paraît la plus superlative. Le laboratoire Játékok (« Jeux »), un vaste recueil pédagogique de pièces pour piano très brèves où se lit, pudiquement, le journal de bord de Kurtág (notamment les décès de ses proches, sous forme de dédicace), est aussi à connaître. On y trouve la matrice de beaucoup de ses oeuvres comme les Microludes ou Officium Breve, dans leur essence la plus nue.
Tu y rencontreras aussi des parodies de musique tonale, de pièces célèbres « La fille aux cheveux de lin – enragée », de lointains souvenirs de musique traditionnelle hongroise, etc.
Comme pour le Makrokosmos de Crumb (compositeur plus jeune au demeurant), le modèle est ici évidemment celui du Mikrokosmos de Bartók.

C'est une manière très aphoristique, très proche de Webern, où la musique se fait instant. Très peu d'intervalles conjoints, l'unité musicale n'est en réalité pas le phrasé ou même le motif, mais la note, qui vaut en elle-même. C'est cette réinvention de l'usage de la musique qui porte toute la charge poétique de Kurtág, en réalité.
C'est pourquoi, alors même qu'il emploie beaucoup de matériaux de nature tonale ou modale (très souvent des accords parfaits troublés par une note agrégée en demi-ton), les enchaînements, eux, restent parfaitement atonals.


Ce compositeur demande une attention très précise, puisqu'il expose tout en quelques secondes (la durée d'une pièce ou d'un mouvement varie généralement entre trente secondes et une minute), mais ses séductions ne sont pas si difficiles d'accès : tout y est bref et évocateur.

5. Le samedi 12 janvier 2008 à , par Morloch

Eh ben, pour quelqu'un qui a déjà beaucoup écrit sur le sujet Kurtag, tu as encore de la vigueur :)

Merci de cette présentation, je me sens des affinités avec ce compositeur, je ais essayer de creuser un peu.

J'ai vu ce disque, tu le connais :

6. Le samedi 12 janvier 2008 à , par Morloch

Si tu ne le connais pas, je craque :)

7. Le samedi 12 janvier 2008 à , par DavidLeMarrec :: site

C'est, je crois, l'anthologie anniversaire. Elle regroupe apparemment pas mal de choses qui ont déjà paru : Márta et György dans les Játékok, la musiue pour quatuor et trio par les Keller, Quasi una fantasia dirigé par Kocsis...

Il faudrait que tu me dises le détail, mais a priori, c'est du très bon. Sinon, tu peux commencer par l'intégrale pour quatuor des Keller (il manque juste ses Six Moments musicaux, sa toute dernière pièce pour quatuor, qui date de 2005).

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